VI

LE PROBLÈME KANTIEN

Le .21 août 1770, dans le grand auditoire de l'Université de Kœnigsberg, « horis matutinis et pomeridianisconsuetis », le « magister » Emmanuel Kant présentait à la discussion publique, la dissertation « pro loco professionis ordinariae logicae et metaphysicae rite sibi vindicando » que prescrivaient les règlements académiques. Il avait 47 ans sonnés, et depuis 1755, date de son doctorat et de son habilitation, il avait patiemment attendu, quinze longues années, cette issue atix misères et aux tribulations du <• privatdozent » et les 236 Thalers de traitement fixe qui l'accompagnaient.

Kant arrivait bien tard. Ce n'est pas qu'on méconnût ses mérites. Le zèle avec lequel il se dépensait au service de la jeunesse studieuse, faisant certains semestres jusqu'à 28 heures de leçons ; la valeur scientifique et l'agrément de son enseignement ; des écrits nombreux qui embrassaient, de même que ses cours, les branches les plus variées, de la géographie physique et de l'astronomie jusqu'aux fondements de la morale et de la métaphysique ; une réputation que ses élèves répandaient déjà à travers l'Allemagne : tous ces titres lui valaient l'appui le plus complet du sénat académique et les réponses des ministres de Berlin témoignent d'une bienveillance admirablement renseignée. Mais les circonstances n'avaient point été favorables : la guerre de Sept Ans avait vidé le trésor prussien, l'occupation de Kœnigsberg par les armées russes avait soumis pendant quelque temps les nominations au bon