Anne Crahay, Michel Serres. La mutation du cogito. Genèse du transcendantal objectif. Préface de Jean Ladrière (Le point philosophique). Un vol. 23 x 16 de 104 pp. Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1988.

Originaire du Sud-Ouest, Michel Serres parle avec cet amour du verbe propre aux gens du sud et grâce auquel les aèdes nous transmirent, pour le plaisir de les écouter, les vers d'Homère. Il nous explique qu'il est né «non loin d'Espagne, avant la dernière guerre mondiale, dans une vieille maison de marinier au bord de la Garonne». Fasciné par les corridas, il a couru, dit Anne Crahay, «sauté, volé sur les manèges des kermesses, fait l'école buissonnière, bu du vin des vignobles des douces collines, il a joué au rugby, cassé des cailloux sur des chantiers, il s'est engagé comme marin et a manqué de mourir dans un incendie avant d'étudier les mathématiques et la philosophie».

Son œuvre, Hermès, constitua un événement lors de sa publication. Elle révélait l'homme qui goûtait à la saveur des choses et contemplait l'eau du fleuve comme un philosophe soumis aux rigueurs de l'abstraction. Que sont devenus les odeurs, les couleurs, le foisonnement luxuriant, la variété des sons, toute la réalité bruyante et chatoyante qui habitait la vieille maison du marinier? Tout cela s'est-il dissous dans le rationnel, vaporisé dans l'abstrait?

Non! dit M. Serres: car le réel n'est pas rationnel, il échappe à l'emprise du système, à Pencapsulement dans une représentation, une formule, une structure. En d'autres termes, la réalité des choses se distingue de leur essence. Le philosophe rejette l'idéalisme qui, dit-il, «met le monde des objets entre parenthèses pour n'être plus attentif qu'à nos représentations» et vous emprisonne dans les textes, les mots, les phrases, le langage. Or, les choses ne sont pas un produit des mots,