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Compléments en ligne : Clio a lu
Ouvrages collectifs

Yannick Ripa (dir.), L’étonnante histoire des belles-mères

Paris, Belin, 2015
Sylvie Perrier
Référence(s) :

Yannick Ripa (dir.), L’étonnante histoire des belles-mères. Paris, Belin, 2015, 238 p.

Texte intégral

1Si l’on en croit la très brève introduction de Yannick Ripa, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre de renommée internationale et professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Paris 8, ce livre serait né d’une frustration. En effet, de tous les rôles endossés par les femmes du passé, celui de la belle-mère, c’est-à-dire la mère de l’époux ou de l’épouse, serait le grand négligé de l’historiographie foisonnante des rapports familiaux. Les livres et articles savants sur les mères, les veuves, les marâtres, les célibataires, les marraines et les grands-mères abondent, mais aucune étude sérieuse n’existe sur les belles-mères. Pourtant, des clichés bien enracinés font de la belle-mère, au mieux, un ressort comique qui exploite sa présence gênante dans la vie des couples et, au pire, un être méchant et néfaste, véritable obstacle au bonheur. Pourquoi la belle-mère n’a-t-elle pas été l’objet de l’attention des spécialistes ? C’est pour résoudre cette énigme et « mettre fin à cet escamotage historique » (p. 8) que Yannick Ripa a réuni autour d’elle un groupe d’historiens et d’historiennes qui se sont penchés sur la question pour produire collectivement ce livre destiné à un large public.

2La première partie du livre, intitulée « Guerre aux belles-mères! », a pour but de convaincre le lecteur du mérite de l’entreprise en établissant tout d’abord le portrait de la belle-mère-cliché, dont l’origine se trouverait, en France, au XIXe siècle. Yannick Ripa, auteure du premier chapitre, se place d’emblée au niveau des représentations et repère un moment clé, vers 1880, où les expressions culturelles devinrent très défavorables aux belles-mères, ce qu’elle explique partiellement par le processus de nucléarisation de la famille tout au long du siècle et par l’attitude changeante face au divorce, de nouveau autorisé après la loi Naquet (1884). Anne Simon-Carrière lui emboîte le pas en passant en revue les chansons françaises de 1895 à 1939 qui évoquent avec humour les belles-mères et la place exagérée qu’elles occupent au sein du couple de leur fille et de leur gendre. Delphine Chedaleux emprunte la même démarche dans son analyse rigoureuse du cinéma français depuis les années trente. Entre le vaudeville Congrès des belles-mères (1954), qui caricature les aspirations des femmes à la pleine citoyenneté et à la participation politique à travers les actes d’un groupe de belles-mères, et Belle-maman (1999) qui met en vedette Catherine Deneuve jouant une belle-mère sexuellement épanouie et indépendante, toutes les déclinaisons de ce rôle familial ambigu furent exploitées sur le grand écran. En totale rupture avec ce qui précède, le dernier article de cette partie porte sur le Japon. Emmanuel Lozerand trace d’abord à grands traits l’évolution des pratiques discursives sur le rôle de la belle-mère depuis l’an mil et lie la teneur de ce discours à l’évolution de la famille japonaise, après quoi il se consacre à l’analyse d’un récit de l’écrivain Mori Ôgai (1862-1922). L’inclusion de cet article est un choix éditorial inexplicable dans une collection qui n’a pas de visée comparatiste formelle, car sa portée est tellement limitée qu’il n’entre pas en dialogue avec le reste de l’ouvrage.

3Sous le titre « Une histoire millénaire », la deuxième partie entreprend la longue histoire des belles-mères. Débutant au IIe millénaire avant J.-C. dans la civilisation babylonienne, ce parcours met en lumière les liens étroits qui existaient entre le mode de cohabitation familiale et le traitement des belles-mères, car plus étroits étaient les contacts et plus tendues devenaient les relations. Les auteurs de cette partie (Francis Joannès, Geneviève Bührer-Thierry, Juliette Dumas, Christiane Klapisch-Zuber, Karine Lambert) ont fouillé leurs dossiers de recherche respectifs pour y traquer les élusives belles-mères, avouant tous au passage que leurs archives ne faisaient pas une grande place à ce rôle féminin. Le système patriarcal, les jeux de pouvoirs, le mode de transmission patrimoniale et les enjeux économiques sont autant de variables à prendre en compte dans l’analyse des relations entre les belles-mères et leur bru ou gendre. La belle-mère était ainsi toujours dans une situation de double-identité qui déterminait son rôle : belle-mère veuve indépendante ou mariée, fortunée ou à charge, en position de pouvoir politique ou soumise etc. Dans ce sens, cette partie démontre que les belles-mères sont réellement sans histoire propre avant le XIXe siècle, puisque la position de belle-mère n’était pas suffisante en soi pour lui attribuer un ensemble de caractères identitaires définis. Au-delà de ce constat, tout essai de chronologie est prématuré.

4La dernière partie pose la question des complicités féminines en développant quatre études de cas inscrites dans des contextes bien spécifiques à partir desquels il est difficile de distinguer des modèles généraux de comportement. Dans la première étude, Denise Z. Davidson s’appuie sur une riche correspondance pour décrire les liens privilégiés établis entre une belle-mère et son gendre dans la France du début du XIXe siècle, avant que la cohabitation ne mette fin à leur relation épistolaire. Le contraste est fort entre ce bon gendre, proche en âge et partageant les mêmes valeurs bourgeoises que sa belle-mère, et un autre gendre, celui-là malhonnête et mauvais gestionnaire, que la famille tente de contrôler pour éviter que la réputation du clan tout entier soit entachée. Marie-Josèphe Bonnet enchaîne ensuite avec une lecture très personnelle d’un épisode biblique tiré du livre de Ruth et une analyse de ses représentations par quelques artistes. Le lien très fort entre Ruth et sa belle-mère Noémie a interpelé les artistes mais, nous dit l’auteure, a aussi constitué un défi car il ne correspondait à aucun modèle établi dans des sociétés patriarcales. C’est dans le contexte des tensions sociales et économiques de la Révolution française et du premier Empire qu’Anne Verjus observe la famille Morand de Jouffrey. Si des contestations patrimoniales rendent les relations entre belle-mère et bru conflictuelles, celles-ci construisent tout de même leur complicité à travers les événements familiaux tels que les accouchements et les négociations de mariage. Le dernier article nous transporte dans la Grèce du XXe siècle où la belle étude anthropologique de Marie-Élisabeth Handman montre la perte de statut des belles-mères à mesure que se déroule le processus de modernisation de la société grecque et que se redéfinissent les hiérarchies familiales.

5Comme le dit Yannick Ripa, espérons d’autres études! Maintenant que l’invitation à la recherche est lancée, il faudrait reprendre tout le dossier de manière plus systématique avec un questionnaire qui prendra pleinement en compte les positions relatives des belles-mères et beaux-pères au sein de la famille par rapport à leurs brus et à leurs gendres, en précisant les variables fondamentales que sont la cohabitation et le contrôle du patrimoine. Ainsi, la belle-mère essentialisée, du cliché développé au XIXe siècle, pourra-t-elle disparaître au profit d’un portrait nuancé qui montrera les belles-mères dans leurs rôles simultanés et complexes de femmes en contexte familial et social. Une attention accrue au vocabulaire sera nécessaire. Ainsi, pourquoi utiliser « belle-fille », qui correspond comme « belle-mère » à deux positions possibles (épouse du fils ou fille de l’époux) alors que « bru » existe toujours comme son équivalent masculin « gendre » largement utilisé dans ce collectif? Par ailleurs, une comparaison continue entre les belles-mères et les beaux-pères s’impose pour bien contraster leurs rôles respectifs selon leur position familiale. Après la lecture de ce livre, nous ne pouvons que conclure que le beau-père est le plus grand absent de l’histoire, encore plus difficile à sortir de l’ombre que le parâtre, voire que la belle-mère elle-même. Se cache-t-il sous une autre identité familiale, un rôle plus important au sein des sociétés patriarcales qui le protège des regards et des attaques? La domination masculine suffit-elle à expliquer les attaques pluriséculaires contre les marâtres et plus récentes contre les belles-mères? D’ailleurs pourquoi cet apparent décalage entre ces deux rôles féminins? Une approche de genre plus rigoureuse, centrée sur les rôles familiaux et les logiques de substitution, révèlera sans doute certaines belles-mères très discrètes et des rôles masculins qui n’ont que très peu d’impact sur les dynamiques familiales, alors que d’autres femmes et d’autres hommes ont occupé des positions d’autorité. Les auteurs de cet ouvrage ont proposé des analyses intéressantes et des pistes stimulantes à partir d’études de cas, ouvrant la voie à de nouvelles directions de recherche. Ainsi, les liens affectifs doivent continuer d’être explorés, surtout pour les époques plus récentes où les sources intimes sont plus abondantes, car ils révèlent qu’au-delà de l’autorité et du patrimoine des complicités peuvent se tisser au sein des familles. Toutes ces questions témoignent du potentiel extrêmement riche du chantier de recherche que ce le livre a permis de découvrir.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sylvie Perrier, « Yannick Ripa (dir.), L’étonnante histoire des belles-mères »Clio [En ligne], 46 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2017, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/clio/13877 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.13877

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Auteur

Sylvie Perrier

Université d’Ottawa (Canada)

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