Si l'inconscient est structuré comme un langage ...
Voilà déjà belle lurette — quelque quarante ans — que l'œuvre psychanalytique de J. Lacan s'offre à notre regard. Certes n'est-elle pas uniforme dans son déroulement et pourrait-on utilement tenter d'en repérer les scansions, d'en marquer les virages depuis les premiers travaux sur la paranoïa jusqu'aux récents mathemes. Il se dissimule en ce parcours une architectonique, dont l'articulation nécessitante est encore peu perçue et qu'il serait d'un grand intérêt d'exhiber1. Comment s'engendrent, et éventuellement à la faveur de quelles mutations, le Lacan du célèbre «stade du miroir», le Lacan de la parole, le Lacan du langage et celui du mathème? Doit-on penser qu'en cette génération celui qui vient supplante celui qui fut? Dans les limites actuelles de notre propos, il est exclu de répondre vraiment à ces questions. Gardons-nous, du reste, de conclure précipitamment, quelle que soit l'urgence d'une certitude anticipée et la hâte qu'elle requiert18. Si nous ne sommes plus, quant à
1 C'est ce qu'échoue à faire, à notre avis, la plus récente en date des études d'ensemble sur l'œuvre de J. Lacan: A. Kremer-Marietti, Lacan et la rhétorique de l'inconscient. Paris, Aubier-Montaigne, 1978, 250 p. Nous verrions volontiers le «symptôme» de cet échec dans la multiplication des «guises de transition» (pp. 27, 67, 104, 147, 190) qui pointent le problème plus qu'elles ne le résolvent. Quoiqu'on se défende mal, à le lire, d'une impression de «collage», ce livre constitue probablement, à ce jour, la meilleure introduction générale à Lacan, assez supérieure, par exemple, aux travaux, non sans mérites mais lénifiants, de Palmier {Lacan. Paris, éd. univ., 1972. Coll. «Psychothèque») et Rifflet-Lemaire (Jacques Lacan. Bruxelles, Dessart, 1 970. Coll. «Psychologie et sciences humaines»).
la Pareille fièvre enflamme le pamphlet encore tout chaud de F. George, L'Effet 'Yau de Poêle (Paris, Hachette, 1979). Les considérations les plus pertinentes, agrémentées quelquefois d'un humour féroce, s'y mêlent aux invectives ordurières et aux insinuations les plus grotesques. Tel est le lot de ce genre d'écrit, d'être emporté par sa haine dans une fureur maniaque et frapper à l'aveugle jusqu'à ses propres arguments, comme Ajax ses troupeaux.
Critiquer Lacan ne saurait vouloir dire que ceci : en faire une lecture critique. Mais lire de la sorte, c'est-à-dire lire tout court, — la turbulence de l'écrit dût-elle en faire vaciller le regard — exige plus de patience et de circonspection que la charge d'un «spécialiste de la démystification» (sic)\
Quand un sauteur manque grossièrement la barre qu'il voulait franchir, c'est en général qu'il a mal pris ses marques, qu'il faut repartir en bout de piste.
