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Compléments en ligne : Clio a lu

Anne-Emmanuelle Demartini, Violette Nozière, la fleur du mal. Une histoire des années trente

Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017
Sandrine Pons
Référence(s) :

Anne-Emmanuelle Demartini, Violette Nozière, la fleur du mal. Une histoire des années trente, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017, 420 p.

Texte intégral

1Anne-Emmanuelle Demartini est professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris 3 et avait consacré sa thèse au criminel Lacenaire ; elle y décortiquait la construction d’un monstre polymorphe et surtout l’utilisait pour interroger l’imaginaire social de la monarchie de Juillet. Avec ce nouvel ouvrage, centré sur la parricide Violette Nozière, elle réussit de nouveau à déployer tout l’imaginaire social des années 1930 et propose in fine « une manière de faire de l’histoire avec une affaire judiciaire » (p. 9). Cette source, exploitée par les historiens de l’époque contemporaine à partir de la décennie 1970, suscite un fort engouement depuis les années 1990, qui voient l’histoire du genre investir l’histoire de la justice et de la criminalité.

2Violette Nozière commet un double parricide par empoisonnement dans la nuit du 22 au 23 août 1933. Son mobile ? La cupidité ? Elle, invoque les relations incestueuses que lui impose son père. Elle a 18 ans, quelques amants, aime fréquenter les cafés et soigne son apparence. La presse s’empare du fait divers et fait de Violette Nozière un personnage célèbre en quelques jours, avec ce crime hors-norme, qui défie les tabous du parricide et de l’inceste et réactive l’archétype de la femme empoisonneuse. Une jeune femme qui tue ses parents – sa mère en réchappe – n’a-t-elle pas un complice ? Est-elle crédible lorsqu’elle souille la dépouille de son père par l’inceste ? Lui bénéficie d’une réputation respectable, économe, il est prêt à se sacrifier pour favoriser l’ascension sociale de sa fille, elle a des mœurs répréhensibles. La complicité, la réputation participent à la construction judiciaire du genre. Violette Nozière est aussi « la fille aux poisons » (titre du chapitre 3), potentiellement contagieuse (elle est soignée pour syphilis), actrice d’un crime perçu comme féminin et lâche. « Stéréotype de genre et idéologie de la virilité convergent pour attribuer le poison aux femmes, dépourvues de force physique et de courage » (p. 139). Finalement, les places de victime et de coupable deviennent floues.

3L’affaire Violette Nozière, qui n’est pas « l’idéal-type de l’Affaire » (p. 231), parce qu’au contraire de Dreyfus elle n’est pas innocente, propulse sur le devant de la scène des questions sociétales : les relations parents/enfants, le rôle paternel dans l’éducation, les enfants maltraités, le rôle des mères (celle de Violette Nozière qui se porte partie civile et refuse la passivité attendue d’une victime, parait dénaturée), la jeunesse et les changements sociaux qui l’accompagnent, les conflits générationnels, l’inceste. Les surréalistes s’intéressent à l’affaire, comme ils l’avaient déjà fait pour les sœurs Papin : ils publient un recueil de poésies et de dessins en hommage à la criminelle, où ils abordent sans détour l’inceste qu’elle aurait subi. La crudité des mots qu’ils emploient contraste avec le « tabou linguistique » qui verrouille la presse dans ces années 1930. Mais cet engagement n’a pas l’audience d’un « J’accuse ». Si l’inceste reste rarement traité frontalement dans la presse de l’époque, l’affaire libère la parole de victimes qui écrivent des lettres à la justice et donnent leur avis sur celle-ci, au vu de leur expérience propre. Le temps du procès est l’occasion de nouveaux débats : l’ouverture des jurys d’assises aux femmes, l’exécution capitale des femmes. En 1934, Violette Nozière est condamnée à mort, puis graciée. Sa peine est finalement commuée en 12 années de prison durant lesquelles elle obtient le pardon de sa mère et se transforme en prisonnière soumise, puis une fois libérée, en épouse et mère modèle. Elle qui semblait avoir transgressé toutes les normes (de son milieu, de la morale, de la loi, du genre), se rachète et incarne le meilleur argument contre la peine de mort.

4Anne-Emmanuelle Demartini a constitué un riche corpus de sources : dossier d’assises, articles de presse, photographies (dont les analyses sont passionnantes), mémoires du commissaire en charge de l’affaire, témoignages oraux, lettres d’anonymes… qui permettent de confronter des discours et des acteurs multiples (des magistrats et des experts jusqu’aux journalistes, artistes ou anonymes, en passant par l’entourage de Violette Nozière). Sa démarche de micro-histoire, à partir de cette affaire rendue célèbre par la presse, lui permet de saisir les « moments de discussion des valeurs et des normes » (p. 9) et de replacer dans son époque le quotidien d’une famille ouvrière de la classe moyenne dont est issue la criminelle. Croisant les données de genre, d’âge, de classe sociale, l’auteure montre, en faisant émerger bien des représentations collectives, comment la figure de la criminelle, pourtant issue d’une famille banale, a été construite par la presse, commentée par les médecins et des anonymes. Au point qu’un fait divers a pu bouleverser la hiérarchie des évènements – songeons à Brasillach qui redoute l’attention trop grande portée par les Français à « la fleur du mal » plutôt qu’à Hitler.

5L’intérêt de cette étude repose donc, au-delà de l’imaginaire social des années 1930 auquel elle donne accès, sur la démarche historique employée pour l’analyse d’une grande affaire judiciaire. Elle a également le mérite de poser une réflexion sur l’histoire, le rôle de l’historien et ses limites. Violette Nozière a-t-elle menti lorsqu’elle accusait son père d’inceste ? Confrontant la masse d’informations biographiques recueillies à la bibliographie actuelle sur l’inceste, Anne-Emmanuelle Demartini ne le pense pas. Le rôle de l’historien est-il d’énoncer la vérité, de révéler ce qui est de l’ordre du dicible aujourd’hui quand il était peu audible à d’autres époques ? Vaste question. « Eu égard aux conditions de possibilité que les moments historiques offrent aux individus, on constatera que tuer son père a été plus faisable que porter plainte en justice : le parricide a été le seul moyen que la jeune fille a trouvé pour sortir de l’inceste » (p. 372).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sandrine Pons, « Anne-Emmanuelle Demartini, Violette Nozière, la fleur du mal. Une histoire des années trente »Clio [En ligne], 47 | 2018, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/clio/14485 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.14485

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Auteur

Sandrine Pons

Université Jean Jaurès de Toulouse - Framespa

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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