Un vol. 23 x 14 de 278 pp. Paris, Bernard Grasset, 1990. Prix: 120 FF.

L'homme n'est rien par nature. Robert Legros nous montre comment ce constat est, à l'époque moderne, à l'origine de deux façons divergentes et paradoxales de penser l'humanité. La philosophie des Lumières place l'humanité de l'homme dans son auto-engendrement originaire, dans sa capacité à s'arracher à la naturalisation par laquelle il tend à s'enfermer en une humanité particulière. Pour les romantiques, cette idée de l'humanité est à la fois illusoire parce que historiquement engendrée et déshumanisante parce qu'elle le définit par son appartenance à une espèce biologique. L'humanité de l'homme réside en son appartenance originaire à une humanité particulière, à une tradition. Mais alors «comment sauvegarder le proprement humain — penser, juger et agir par soi-même?». Robert Legros repère deux tentatives de lever, ou au moins de penser, les paradoxes que laissent poindre les Lumières et le Romantisme. La première est celle de Tocqueville. La seconde celle de la phénoménologie.

Contrairement aux interprétations reçues, la pensée de Tocqueville est selon R. Legros profondément enracinée dans le romantisme. Elle dépasse toutefois celui-ci lorsqu'elle considère que l'arrachement à la naturalisation n'est pas nécessairement générateur d'aliénation car «il est en lui-même le fait d'une inscription originelle» dans une humanité particulière. Dès lors «l'aliénation humaine réside à la fois dans la soumission à une tradition qui par principe échappe à la discussion et dans la prétention de se soustraire à toute tradition». La démocratie est le régime politique qui tente de faire droit à l'humain dans l'homme en permettant à celui-ci de s'individualiser, de penser et d'agir par lui- même, en s'inscrivant dans une forme de vie sociale particulière.

Au xxe siècle, la question de l'homme est reprise par la phénoménologie: celle de Husserl qui prolonge à sa manière la philosophie des Lumières; celle de Heidegger qui, loin d'être un anti-humanisme, considère l'homme comme «originellement arraché à la nature immédiate en tant qu'il est originellement naturalisé, inscrit en un monde» qui d'emblée fait sens. Toutefois Heidegger ne dépasse pas vraiment les difficultés qui pesaient sur la pensée romantique. Nul n'ira dans cette voie aussi loin qu'Arendt. Ni l'arrachement d'un sujet isolé, ni la soumission à la tradition ne sont générateurs de l'humain. Seule l'inscrip-