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AccueilNumérosvol. 14, n° 2Des enjeux éthiques généraux à l'...Une éthique appliquée ?

Des enjeux éthiques généraux à l'ère du numérique

Une éthique appliquée ?

Considérations pour une éthique du numérique
Marcello Vitali Rosati

Résumés

Lorsque l’on s’interroge sur l’éthique du numérique, deux approches sont possibles. La première consiste à la considérer comme une éthique appliquée, une branche de l’éthique générale. Les principes éthiques généraux nous donneraient la capacité de discerner le bien et le mal ; les appliquer au numérique nous permettrait ainsi d’expliciter, à partir de ces principes, des normes de comportements dans ce domaine particulier. Mais cette approche ne prend pas en compte le fait que les principes éthiques puissent découler des conditions concrètes de leurs applications. Nous pouvons donc considérer une seconde approche, qui consisterait à partir de l’analyse du domaine du numérique pour fonder sur ses caractéristiques la réflexion morale. Par conséquent, l’éthique du numérique ne serait pas une éthique appliquée, mais une éthique première. Cet article tente de poser les bases pour une réflexion sur l’éthique du numérique qui prendrait en considération les changements de culture et de valeurs engendrés par les nouvelles technologies.

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Texte intégral

Pourquoi une éthique du numérique ?

  • 1  La structure théorique de mon raisonnement doit beaucoup aux travaux et à l’enseignement d’Adriano (...)

1Le besoin d’une réflexion éthique semble s’imposer avec force croissante dans le domaine du numérique. Se demander d’où vient ce besoin pourrait sembler oisif, mais c’est en réalité la seule manière pour comprendre quels sont les enjeux éthiques liés aux développements technologiques. La question éthique ne s’impose pas dans tous les domaines et surtout pas de la même façon de l’un et de l’autre1.

2Pour qu’il y ait le besoin, et la possibilité, d’une éthique du numérique, il faut d’abord considérer que ce dernier produit un espace d’action particulier et spécifique. Il convient donc de préciser cet espace d’action, de l’identifier et de le décrire avant de commencer à développer un discours éthique. Pour ce faire, il faut d’abord limiter la signification de cet adjectif « numérique », dont la valeur sémantique n’est pas toujours assez claire. Il ne s’agit pas tant de désigner, avec cet adjectif, l’ensemble des technologies basées sur des ordinateurs que d’essayer d’identifier les enjeux spécifiques d’une culture du réseau, issue du développement d’Internet en général et, plus particulièrement, du Web. Le Web est bien évidemment une des manifestations du numérique, mais il est en train de prendre une importance croissante dans l’ensemble des technologies : on pourrait dire que le Web a tendance de plus en plus à occuper la totalité de l’espace numérique. C’est donc du Web en premier lieu, et de ses implications, en particulier, que nous allons parler ici.

3Le Web peut être considéré comme un espace d’action. Ou, pour être plus précis, le Web s’impose aujourd’hui comme l’espace principal de nos actions. Voilà pourquoi la question éthique se présente avec tant de force et d’urgence. Une telle affirmation nous oblige à définir rapidement comment on doit considérer le Web comme un espace et comment on peut parler, dans ce domaine, d’actions.

Un espace concret

  • 2  « un espace non physique et géographiquement illimité » (je traduis).

4À partir des années 1980, on a souvent eu tendance à définir l’espace numérique comme un espace imaginaire, fictif ou du moins non physique. La lutte contre la déréalisation a été engagée par des personnalités telles que Jean Baudrillard (1995) ou Paul Virilio (2001). Nombre d’auteurs ont été probablement conditionnés par l’idée que les nouvelles technologies produiraient un monde parallèle – idée plutôt issue par ailleurs de la science-fiction que du réel développement technique. Dans ce sens, Cees J. Hamelink définit le cyberespace comme a geographically unlimited, non-physical space (2000 : 92).

5Si cette thèse était vraie, la question éthique ne se poserait pas dans l’espace numérique. Les technologies seraient des objets ne produisant pas un espace d’action où l’on puisse se poser la question de comment agir. Il faudrait tout simplement se demander comment réglementer l’emploi de ces outils.

6Mais une plus grande familiarité avec les technologies numériques nous fait désormais comprendre que l’espace qu’elles produisent est un espace concret, réel et probablement aussi physique. Comme tout espace, l’espace numérique est l’agencement d’une série de relations entre des choses. Ces relations sont concrètes ou ne sont pas. Il s’agit de relations de proximité ou de distance, de plus ou moins forte accessibilité ou visibilité. Les objets numériques peuvent avoir des relations, car ils se trouvent dans un espace. Ou, pour mieux formuler cette idée : le fait que l’on puisse parler d’objets numériques au pluriel – et donc d’un ensemble d’objets – implique qu’il y a des relations entre ces objets, et ces relations peuvent être interprétées comme étant un espace.

7À titre d’exemple de ces relations, notamment dans l’espace particulier du Web, on peut citer les liens de proximité ou d’éloignement d’un profil Facebook avec un autre. Mon profil est plus ou moins proche d’un autre selon les amis communs qui nous lient. Ou la proximité d’une page par rapport à une autre – s’il y a un lien direct, ou deux ou trois liens pour arriver d’une page à l’autre, ou encore si les deux font partie de la même liste, de la même indexation d’un moteur de recherche.

8Ces relations sont en mouvement – comme dans l’espace non numérique. Ce mouvement implique que l’espace n’est pas figé : il n’a de sens que tant qu’il est habité par des instances qui mettent en place et parcourent ces liens entre les objets.

9Il est utile, pour terminer, de mettre en question l’idée selon laquelle il s’agirait d’un espace non physique. Je pense que cette position peut nuire à la compréhension des enjeux éthiques et politiques du numérique, car elle implique une impression de volatilité liée aux nouvelles technologies : elles ne sont pas physiques, donc elles ne font pas partie de la vraie vie, elles sont des jeux, donc elles ne sont pas sérieuses. Si l’espace du Web est non physique, alors il n’y a pas d’enjeux majeurs – ni politiques, ni éthiques, ni économiques – à son égard. Après une analyse attentive, on se rend facilement compte que les notions de « physique » ou « non physique » sont très obscures et abstraites : il est très difficile de comprendre ce que l’on veut signifier avec ces termes. On part, probablement, du constat que l’on ne peut pas toucher les objets numériques – mais on ne peut pas non plus toucher la lumière, qui est pourtant tout à fait physique. La complexité du support numérique est une autre raison pouvant pousser des auteurs comme Hamelink à considérer le cyberespace comme non physique : c’est un support qui devient de plus en plus transparent – on ne voit pas Internet par exemple, pas plus que la plupart des technologies, qui ont tendance à ne pas montrer leur présence. Mais il y a bien un support qui conditionne les relations entre les objets numériques. Des ordinateurs, des câbles, de l’énergie – et tout cela est bien physique et matériel – sont les supports qui encadrent l’agencement de l’espace numérique, même s’ils ne le déterminent pas complètement.

10Finalement, l’idée de « non physique » finit par renvoyer au sentiment de déréalisation que l’on vient de traiter, comme si les objets numériques étaient de faux objets. Mais ce n’est pas le cas : est-ce que l’on affirmerait que ce que je communique à l’aide de la fenêtre de clavardage de Facebook n’est pas vrai ? Est-ce qu’on penserait que les achats que je fais via Amazon ne sont pas réels ? Est-ce qu’on dirait que l’article que je lis sur un journal électronique n’est pas un vrai article ? Qu’a cet article de moins matériel, de moins physique ou de moins concret par rapport à un article publié sur papier ? Le support est différent, mais il s’agit toujours d’un support, physique, matériel, concret : si l’on éteint le serveur où l’article est hébergé, si l’on casse le disque dur, si l’on coupe un câble, l’article n’existe plus tout comme si l’on brûle le papier sur lequel il a été imprimé.

Un espace d’action

11Il n’y a donc rien de fictif ni d’imaginaire dans l’espace numérique. Et l’emploi de l’adjectif « non physique » est trop vague, pour ne pas dire absolument abstrait.

12Cette idée est cautionnée par un autre constat : le numérique, et le Web en particulier, est devenu notre principal espace d’action, ou du moins un des espaces privilégiés de nos actions. Une grande partie de nos travaux se fait à l’aide d’Internet, nous communiquons avec nos amis et nos familles sur le Web, nous nous y informons et nous y amusons, nous y lisons, organisons nos voyages, faisons nos courses, gérons notre argent. Une partie importante de nos actions quotidiennes se fait dans l’espace numérique. Et la tendance de cet espace est d’occuper de plus en plus notre vie en englobant l’espace non numérique. Le développement numérique des objets va dans cette direction : tout objet – mais aussi toute personne – peut devenir numérique et être ainsi contrôlé via l’espace numérique ; il suffit que l’objet – ou la personne – soit identifié par un code et connecté au réseau.

13On peut alors se demander ce que sont les actions du Web, de quelle manière elles sont structurées, de quelle étoffe elles sont faites. Comme le souligne Paul Mathias (2012), le Web peut être considéré fondamentalement comme écriture. Ses actions sont des actions d’écriture : agir sur le Web signifie écrire.

14En effet, la plupart des pratiques numériques sont de l’écriture au sens propre du mot : on écrit un billet de blogue, on écrit son « statut » Facebook, on écrit un commentaire sur un article, on clavarde avec un ami via la messagerie instantanée d’un réseau social ou d’un autre, on écrit les mots que nous voulons rechercher dans un moteur de recherche, on écrit une URL dans la barre des adresses.

15Mais il n’y a pas que ce type d’écriture. D’autres pratiques sont plus difficilement identifiables comme écriture : les clics et la lecture. Cliquer est une des actions les plus courantes sur le Web. Du clic sur un lien pour rejoindre une page au clic sur « J’aime » de Facebook. Mais, après une analyse plus attentive, on se rend compte que les clics, eux aussi, produisent de l’écriture : des traces de code qui sont écrites sur les bases de données – dans le cas du « J’aime », par exemple – ou dans les caches de certains serveurs – dans le cas du clic sur un lien.

16Même un parcours de lecture crée donc de l’écriture. Lire une page, puis une autre, signifie créer un lien entre ces deux pages, lien qui sera enregistré, sous forme d’une série de caractères, sur un ordinateur. Par exemple, chaque fournisseur d’accès Internet a l’obligation d’enregistrer tous les parcours de lecture de ses clients : chaque clic crée un lien matériel entre les pages et les objets.

17On peut définir ainsi une autre caractéristique fondamentale du numérique : il est fait d’écriture. Ce qui ne veut pas dire que les objets qui peuplent son espace ne soient que de l’écriture. La porte d’un immeuble peut être un objet de l’espace numérique du moment qu’elle est connectée et que je peux l’ouvrir à partir de mon ordinateur. Mais les actions qui produisent les relations entre ces objets sont de l’écriture, du code écrit qui produit du mouvement.

Éthique générale, éthiques appliquées

18Pour résumer : le numérique est un espace concret constitué par des relations entre des objets. Ces relations se tissent grâce au fait que l’on habite cet espace et que l’on y agit. Les actions qui se produisent dans l’espace numérique peuvent être interprétées comme étant de l’écriture. C’est justement pour ces raisons que la question éthique s’impose par rapport au numérique. Je le répète : si l’espace numérique était non physique et donc non concret et finalement irréel, cela n’aurait pas de sens de parler d’éthique. Ce serait comme s’interroger sur l’éthique d’une action simulée.

19Mais essayons maintenant de définir en quoi consiste cette question éthique et quelle est la relation qu’elle entretient avec le domaine du numérique. L’éthique peut être définie comme une réflexion sur l’action. La question que l’éthique se pose est traditionnellement : comment dois-je agir ? Mais, pour pouvoir répondre à cette question, il faut d’abord s’en poser une autre : pourquoi agir d’une manière plutôt qu’une autre ?

20Le besoin qui déclenche la réflexion sur l’action est celui de régler les comportements, de donner des normes, des pistes, des codes auxquels pouvoir se tenir et auxquels pouvoir demander à l’ensemble de la société de s’y tenir. C’est un besoin social, politique. Si l’on en restait à ce premier élan vers la question éthique, celle-ci ne saurait se distinguer en rien de la politique.

21Mais, en tant que réflexion sur l’action, l’éthique va plus loin : on se rend vite compte que, avant de produire une série de normes à respecter, il faut en chercher le sens. La question éthique devient ainsi une question de sens. Le « comment » se transforme en « pourquoi ». L’éthique, plus qu’ensemble de normes, devient la recherche d’une justification de ces normes.

22La tâche la plus importante dans la réflexion éthique est donc de définir les conditions et la méthode qui nous permettent d’aller à la recherche des principes pouvant donner un sens au choix d’agir d’une manière ou d’une autre. Voilà à quoi l’éthique est appelée en premier lieu : elle nous conduit à sonder les raisons qui peuvent justifier le fait d’avoir agi selon une norme plutôt qu’une autre.

23On s’aperçoit donc qu’une autre exigence caractérise le raisonnement éthique : il prétend à – ou du moins recherche – l’universalité. La justification d’une action ne peut pas être une justification subjective, mais elle doit découler d’un principe qui puisse être valable pour tous. De l’universalité dépend le sens, le fait que la raison de mon choix soit reconnaissable et acceptable pour les autres.

24Si l’on prend en considération le raisonnement que propose Aristote au début de l’Éthique à Nicomaque, on voit un exemple – et peut-être l’exemple par excellence – du parcours argumentatif que je viens de formuler.

25Le Stagirite commence par souligner le fait que chaque action a une raison : « toute action et tout choix tendent vers quelque bien » (Éthique à Nicomaque, 1094a). Ce qu’Aristote définit de « bien » est justement le principe sur lequel nous pouvons baser la justification d’une action. Pourquoi fais-je cela ? Pour atteindre un quelque bien.

26Or, si chaque action tend vers un bien, il y a donc plusieurs biens. Mais ces biens sont hiérarchisés. Si on remonte l’échelle des raisons qui nous poussent à agir, on arrive facilement au bien suprême : le bonheur. Le bonheur est donc le principe général et universel sur lequel peut se baser l’éthique. Tout type d’action, dans n’importe quel domaine, peut être analysé à partir de la façon dont il contribue à atteindre le bonheur.

27C’est à partir d’une telle idée de hiérarchisation des biens – et donc des principes sur lesquels se base l’action – que l’on peut identifier deux types d’éthique : une éthique générale et une éthique appliquée. L’éthique générale est celle qui s’occupe de réfléchir aux principes – ou mieux, au principe unique – sur lesquels doit se baser l’action en général. Les éthiques appliquées réfléchiront plutôt aux comportements et aux actions dans un domaine précis. Elles analyseront donc des principes dérivés des principes généraux.

28En d’autres termes : l’éthique générale répond à la question « comment dois-je agir en général ? », et l’éthique appliquée, à la question « comment dois-je agir dans ce domaine particulier ? ».

29Les éthiques appliquées peuvent, dans une certaine mesure, être déduites de l’éthique générale. Elles dépendent de la réflexion de l’éthique générale et doivent être cohérentes avec elle. En ce sens, les éthiques appliquées sont des éthiques mineures, elles se limitent à appliquer à un domaine particulier les principes définis par l’éthique générale.

30Les principes de l’éthique générale se déclinent ensuite dans des domaines particuliers : de l’éthique générale naissent l’éthique de la communication, la bioéthique, l’éthique d’entreprise et, plus récemment, l’éthique du numérique ou l’éthique d’Internet.

La nétiquette

31Basons-nous sur cette idée du rapport entre éthique générale et éthique appliquée et essayons de comprendre ce que devrait être l’éthique du numérique.

32Son objectif serait de repérer les problèmes spécifiques du domaine d’action ouvert par les technologies du numérique et d’essayer d’adapter les principes éthiques généraux à ce secteur particulier.

33Il est évident, en effet, que les nouvelles technologies ont produit de nouvelles formes d’action, de nouvelles possibilités de communication – par exemple, de production et diffusion des contenus –, de nouvelles possibilités d’agrégation sociale, etc. Mais si l’on adopte le point de vue de l’éthique appliquée, ces changements ne devraient pas mettre en discussion la valeur des principes éthiques généraux, mais seulement demander un effort pour les adapter à des cas particuliers.

  • 3  Consultable en ligne : http//:tools.ietf.org/html/rfc1855

34On peut comprendre dans cette optique le sens et la valeur de ce que l’on a appelé « nétiquette3 », un ensemble de règles à respecter dans nos comportements sur Internet. Il s’agit d’une véritable liste de normes à suivre dans notre façon d’écrire un courriel, de participer à un forum ou de poster des informations sur un blogue. On y trouvera, par exemple, la règle selon laquelle on ne doit pas écrire en majuscules, car c’est un manque de respect pour le lecteur. Écrire en majuscules signifie agresser visuellement le lecteur et peut donc être comparé à crier dans la communication orale. Si l’on accepte un principe d’éthique générale selon lequel il faut respecter les autres, alors il est évident qu’il ne faut pas écrire en majuscules.

35La nétiquette donne des préceptes précis, mais elle ne les explique pas, car les principes sur lesquels se basent ses règles ne lui sont pas propres, ils appartiennent à l’éthique générale. C’est donc la tâche de l’éthique générale d’en démontrer la validité.

36Le développement des pratiques numériques a montré que certains domaines de l’action sont plus problématiques que d’autres et que c’est donc sur ceux-là que la réflexion éthique doit se pencher de façon plus urgente.

37À partir du milieu des années 1990 se sont ainsi posées les questions du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle, de la cybercriminalité, de la protection de l’enfance ou de la vie privée…

38La démarche de l’éthique appliquée est de prendre en compte chacun de ces sujets avec un apparat d’outils conceptuels déjà prêts à l’emploi. L’éthique appliquée considère que les notions en jeu sont déjà claires et qu’il faut simplement montrer comment appliquer les principes d’une éthique générale.

39Prenons l’exemple de la propriété intellectuelle. Si l’éthique du numérique est une éthique appliquée, alors nous pouvons considérer que ce qu’est une propriété, un auteur, un droit est déjà défini par l’éthique générale. Nous considérons aussi comme acquis le fait qu’il faille respecter une propriété, le fait que le vol soit un mal. Sur cette base se fonde une publicité qui circule depuis quelques années en France, promouvant le respect de la propriété intellectuelle des films. Cette publicité montre une personne en train de télécharger un film. Pendant le téléchargement, en montage parallèle, on voit une succession de personnes en train de voler une voiture, un sac, un DVD. Un texte s’affiche à chaque séquence : « Voler une voiture ? Jamais ! Voler un sac ? Jamais !… » Finalement, le téléchargement est arrêté : « Le piratage, c’est du vol. »

40Le raisonnement consiste à prendre un principe d’éthique générale et à l’appliquer à des domaines d’action différents pour en démontrer la validité universelle. À partir de ce parcours, on peut induire sa validité dans le domaine du numérique également.

41La question qu’il faut se poser est donc la suivante : cette application de principes éthiques à un domaine particulier, est-elle une déduction ou une induction ? En d’autres termes : peut-on vraiment définir des principes généraux ou bien les principes ne se produisent que dans un contexte d’action déterminé ?

  • 4  La dinde qui, après plusieurs jours à la ferme, induit que tous les matins elle sera nourrie à 9h. (...)

42Le raisonnement de la publicité citée, est-il une déduction syllogistique ou bien l’erreur de la dinde inductiviste de Russel4 ?

Le renversement

43Répondre à ces questions signifie repenser le rapport entre éthique générale et éthique appliquée. Pour ce faire, il faut donc reconsidérer le domaine d’action produit par les technologies numériques et se demander quel est son rapport avec les autres domaines de l’action.

44Le rapport entre action dans le domaine numérique et action en général peut être compris de manière différente selon l’interprétation que l’on donne au rapport entre la technique et l’humain. J’essaie de m’expliquer.

45On peut proposer deux modèles d’interprétation. En premier lieu, on peut considérer qu’il y a une action proprement humaine qui se définit à partir d’une « nature » de l’Homme. La technologie ne serait qu’un outil neutre qui nous permet d’accomplir nos actions plus facilement. En ce sens, la technique ne modifierait en rien la signification d’une action, ne changerait pas, pour ainsi dire, sa qualité, mais seulement sa quantité. Exemple : il y a un espace déterminé qu’un homme veut traverser ; 100 km, admettons. L’action est définie avant d’aborder la question de la façon dont il va réaliser ce parcours. Le sens et la signification de l’action sont définis à partir de quelque chose d’objectif : 100 km et le fait que quelqu’un va les parcourir. La technique viendrait après et permettrait de réaliser ce parcours plus ou moins rapidement.

46Ainsi la valeur de l’action est-elle indépendante de la technique : le fait que l’on parcoure cette distance en train, en avion, en voiture ou à pied ne change pas le fait que l’on parcourt une distance. Le jugement moral peut être donné avant de se poser la question technique. La question est de savoir s’il est bien ou mal de faire ce parcours. Si c’est bien, la technique m’aidera à réaliser une bonne action ; si c’est mal, la technique m’aidera à réaliser une mauvaise action. C’est le discours qui se transforme dans l’idée reçue : « la technique n’est ni bonne ni mauvaise, cela dépend de comment on s’en sert ».

47L’idée proposée par Joseph Migga Kizza correspond complètement à ce modèle :

  • 5  « La technologie n'est pas une valeur. Sa valeur dépend de l'usage que l'on en fait. La technologi (...)

Technology is not a value. Its value depends on how we use it. Indeed, technology is a utility tool like a device, system, or method that represents the process to the good life (2002 : 255).

48Mais cette idée peut être renversée : on peut proposer une interprétation qui se base sur un modèle complètement opposé si l’on pense que ce sont les conditions réelles de production d’une action qui en déterminent le sens. Pour reprendre notre exemple : parcourir 100 km à pied, en voiture ou en avion sont des actions différentes, et non pas les déclinaisons d’une même action. Et cela parce que les 100 km sont différents selon qu’on les traverse à pied, en voiture ou en avion. En d’autres termes : les choses n’ont pas une essence absolue, car leur signification ne peut être établie que sur la base des rapports et des relations qu’elles entretiennent avec le reste du monde. La technique engendre les relations entre les choses et organise différemment leurs rapports. La technique modifie donc le sens et la qualité d’une action, et non seulement sa quantité.

49Le premier modèle d’interprétation se révèle abstrait ou du moins naïf : il perd de vue la réalité des actions, se fiant à une hypothétique valeur de principe de l’action elle-même. Mais faisant ainsi, on discute d’une action abstraite dont on ne connaît plus les caractéristiques. L’idée d’une éthique générale dont dériveraient les éthiques appliquées est essentialiste et en définitive dogmatique. Et le dogmatisme ne peut qu’être antithétique par rapport à toute réflexion éthique qui, justement en tant que réflexion, doit pouvoir mettre en discussion, argumenter, défendre ou attaquer les principes sur lesquels se base l’action.

50On est donc devant un renversement : l’objectif d’une éthique du numérique n’est pas d’appliquer au domaine des technologies de l’information et de la communication des principes éthiques généraux. La tâche, beaucoup plus difficile, d’une éthique du numérique est de comprendre ce que devient l’action à l’époque du numérique, ce que sont ses présupposés et ses bases.

Les présupposés de l’action numérique

51Quelles sont donc les notions et les structures qui déterminent, façonnent et agencent l’action dans l’espace numérique ? Quels sont les principes propres au numérique qui déterminent l’approche éthique et le conditionnent en en jetant les bases théoriques ?

52Se poser la question de l’éthique du numérique revient à s’interroger sur la particularité de l’action numérique. Il faudra donc reprendre le raisonnement entamé au début de cet article pour essayer de comprendre ce que c’est qu’agir dans l’espace numérique.

53Nous avons dit qu’agir dans l’espace numérique signifie écrire. L’action numérique est de l’écriture. La première caractéristique de cette écriture est donc de ne pas se présenter en premier lieu comme une représentation du monde, mais comme un acte. On pourrait en effet penser qu’écrire signifie avoir pensé le monde et le transcrire. L’écriture serait en ce sens un après-coup de l’action. Après avoir vu, après avoir fait, après avoir vécu, on écrit ce qu’on a vu, fait, vécu. C’est une façon d’interpréter, par exemple, l’écriture d’un journal : le soir, une fois que la journée est finie, je la représente sur un cahier.

54L’écriture numérique ne peut être interprétée de cette manière : elle est tout d’abord action. On voit, on fait et on vit dans l’espace numérique en écrivant. Comme nous l’avons dit, même en lisant quelque chose en ligne, nous écrivons. En regardant ce qui se passe dans une ville à l’aide d’une webcam, nous écrivons : nous laissons des traces faites de code sur des serveurs. Quand nous communiquons avec un ami, nous écrivons ; lorsque nous achetons quelque chose, nous écrivons. L’écriture est l’action et non pas la représentation de l’action.

55En ce sens, l’écriture numérique doit être plutôt pensée comme « écrire » que comme « écrit ». L’écrit est la trace immobile qui reste après que l’écriture n’est plus une action. Ce qui reste après l’acte, lorsque l’acteur n’est plus là.

56L’espace numérique est l’espace du temps réel, à savoir un monde où ce qui compte est ce qui est en train de se produire au moment même où cela se produit. C’est le monde de l’action contre le monde de la représentation. Un blogue est différent d’un journal intime en ce qu’il est l’action même de vivre et non pas la représentation de la vie. On écrit son journal le soir après que l’action est finie, pour la raconter, la re-présenter une fois qu’elle n’est plus. On blogue pendant la journée, car bloguer c’est agir, c’est vivre, c’est être dans le temps du mouvement et non dans sa représentation. Le journal intime recueillait un écrit figé et immobile qui essayait de reproduire le mouvement. Le blogue est ce mouvement même.

57En même temps, il y a quelque chose de paradoxal dans le monde numérique : le fait d’être dans le mouvement, dans ce temps réel, dans le temps de l’action s’oppose à la constitution technique même du moyen. Le numérique est une discrétisation du réel.

58Le mouvement continu que nous ressentons sur le Web est en réalité une simulation technique du mouvement : le fonctionnement du numérique se base sur la possibilité d’échantillonner le mouvement réel pour le réduire à une série de numéros naturels – et finalement de 1 et de 0. L’action en mouvement de l’écrire n’est en réalité qu’une série d’écrits – échantillons immobiles, mais à très haute définition de la continuité du réel.

59À l’instar des 24 photogrammes par seconde qui font la fausse continuité du mouvement du cinéma, les 0 et les 1 du numérique s’opposent à la continuité de l’analogique.

60À bien voir, cette caractéristique est la première propriété de l’écriture et de notre langage en général. Dire le monde signifie le discrétiser, reporter sa continuité au discret d’une série de sons et de caractères qui peuvent être contés et étalés. Le langage essaye de dire le mouvement sans y arriver complètement. L’écriture fait le même essai. Le cinéma y parvient presque. Le numérique n’est rien d’autre qu’une forme d’écriture particulièrement développée qui parvient à nous donner l’impression que nous nous trouvons dans la continuité réelle du mouvement.

61Or, la tendance à discrétiser le continu du réel a toujours caractérisé la façon qu’a l’homme d’habiter le monde. Justement parce que la discrétisation est pour l’homme la seule manière d’appréhender le monde, de le comprendre et de le maîtriser. En ce sens, le numérique peut être compris dans une continuité. Pour citer Pierre Lévy, on peut affirmer que le numérique fait partie du processus d’hominisation (1995).

62Le changement provoqué par le numérique consiste à avoir perfectionné la précision de l’échantillonnage du réel et d’avoir presque anéanti l’écart entre espace d’action et espace de représentation de l’action. L’espace numérique devient de plus en plus l’espace principal de l’action. Justement parce que l’action numérique vit dans cette ambiguïté d’être en même temps une action réelle, dans le mouvement du réel, continue, mais aussi discrète, trace d’elle-même, représentation d’elle-même et donc plus facile à maîtriser, à gérer et finalement à contrôler.

63C’est à partir de cette ambigüité de l’action numérique que la réflexion éthique doit commencer sa démarche. Il n’y a qu’en pensant cette ambivalence que l’on peut essayer de poser des principes de l’action. Appliquer des principes généraux voudrait dire rater la spécificité de l’action numérique et imposer des valeurs abstraites à un espace qui ne peut leur donner aucun sens.

64Cette ambiguïté pose l’enjeu principal d’une éthique du numérique : celui d’interroger le rapport entre action et représentation de l’action, entre mouvement continu et gestion discrète de ce mouvement. Le numérique est l’espace où la liberté semble être sans borne, car tout est dans la continuité du mouvement. En même temps, ce mouvement est finalement discret et donc facilement contrôlable. Je peux faire ce que je veux sur Internet, je peux accéder à toutes les informations, je peux m’exprimer, créer des communautés ; mais, en même temps, toutes mes actions sont des caractères cristallisés qui restent en tant que traces sur un serveur qui peut être analysé par la suite.

65L’éthique du numérique doit essayer de penser le rapport entre geste et cristallisation du geste.

Liberté normative et contrôle normé

66Essayons d’aller plus loin dans l’analyse de cette ambiguïté constitutive du numérique à l’aide de quelques exemples.

67Prenons en compte le cas le plus simple d’action sur le Web : une navigation d’un lien à l’autre. Le Web est dynamique et ouvert : le parcours que l’utilisateur produit est une création extemporanée qui se fait donc au moment même où l’utilisateur agit. Exactement comme une véritable navigation : c’est le passage du bateau qui crée le parcours. L’action de l’utilisateur est donc normative : c’est un acte qui crée quelque chose qui n’existait pas auparavant – ou du moins pas de cette manière. L’utilisateur, pendant qu’il agit, produit des possibilités. Cela est une expression de sa liberté et, en même temps, la production d’une nouvelle possibilité pour les autres. L’instant du mouvement continu, l’instant de l’action est aussi le moment de la liberté.

68On a dit que le parcours effectué par l’utilisateur peut être considéré comme une action, et plus précisément une action d’écriture. Cet acte normatif et libre est un écrire. Mais cet écrire se transforme, par la nature même du numérique, en écrit. Il s’immobilise en une série de caractères discrets : des chiffres, des 0 et des 1. Le temps du mouvement continu se transforme dans une série d’arrêts sur image, le geste d’écrire devient une trace écrite. On est dans le temps de la norme. Et en effet ce code qui reste en tant que trace, cette photographie immobile d’un mouvement qui n’est peut-être plus imposé comme instrument de contrôle : le parcours effectué par l’utilisateur devient une donnée significative pour étudier ses comportements, pour construire des statistiques, pour cibler des publicités. Le système des témoins de connexion se base sur ce principe, de même que l’enregistrement des navigations de la part des serveurs qui étudient le comportement des utilisateurs.

69Toute action numérique est assujettie à cette ambiguïté : chaque fois que nous produisons librement un geste normatif, ce geste se cristallise ensuite dans un écrit normé et peut devenir un instrument de contrôle. Si l’on prend en considération la création d’outils ou de pratiques innovantes sur Internet, on s’aperçoit que cette ambiguïté ne peut jamais être évitée. Google lui-même naît comme acte créatif et normatif et se cristallise ensuite en géant normé. Les débuts de Google sont le résultat d’un geste innovant d’un groupe de chercheurs qui produisent de nouvelles pratiques tout simplement en agissant. Leur écriture est un geste normatif qui produit de nouvelles possibilités et ouvre l’espace de liberté, justement par le fait d’agir. C’est seulement l’après-coup de cette action qui produit un code – dans ce cas un algorithme – se présentant comme mètre normé, instrument qui impose des pratiques et mesure les actions des autres. Il faut paradoxalement s’adapter au Page Rank si l’on veut être référencé et donc visible.

70À partir de cette réflexion, on peut établir un principe général de l’éthique du numérique : une action est éthique si elle est un geste normatif se produisant dans l’instant du mouvement. Dans le domaine du numérique, il faut essayer de faire revenir tout écrit à un écrire, de remettre en mouvement les traces immobiles en produisant de nouveaux gestes, de dédire la norme avec de nouvelles actions normatives.

71Pour rendre plus concret ce raisonnement, je propose d’analyser un autre exemple : celui du droit d’auteur.

72Poser ce problème en considérant l’éthique du numérique comme une éthique appliquée porterait à un contresens : l’idée générale de respect de celui qui a produit une œuvre intellectuelle est inapplicable au numérique.

73Si l’on prend sérieusement en considération la structure du numérique, on se rend rapidement compte que le problème est ailleurs : il ne s’agit pas de voir comment faire respecter le droit d’auteur, mais plutôt de se demander si l’on peut parler d’auteur dans l’espace numérique.

74Si l’écriture numérique est action, il est évident qu’il y a des acteurs de cette écriture. L’auteur est ce qui reste après l’acte d’écrire, à savoir quand l’écriture se transforme en écrit.

75Dans l’optique du numérique, la figure de l’auteur est un reste, une trace immobile qui ne sert qu’à limiter le mouvement libre de l’action. Ce qui compte et qu’il faut mettre en avant dans l’action de produire, par exemple, un article, est le moment de l’écriture, le moment où l’on est en train d’écrire. Après cette écriture, il ne reste qu’à essayer de récupérer ce qui s’est immobilisé dans un écrit pour lui redonner une vie, pour le remettre en mouvement. L’écrit peut donc impliquer une lecture créative qui est, elle aussi, un écrire. La trace normée peut être continuellement transformée en geste d’écriture nouvelle.

76La publicité analysée dans les pages précédentes, qui applique l’idée générale de propriété intellectuelle au domaine du numérique, tombe donc dans un contresens. Faire circuler du matériel numérique est une manière de rouvrir un espace de liberté.

77Cela nous oblige, dans ce cas particulier, à repenser les modèles économiques à partir des structures spécifiques du numérique. Les systèmes de rétributions des producteurs de contenus devraient se baser sur le geste de production et non sur la trace laissée. On pourrait peut-être commencer à parler de « droit d’acteur » au lieu de « droit d’auteur ».

78Un autre exemple significatif est celui du rapport entre espace privé et espace public. Dans une optique d’éthique appliquée, on devrait imposer le respect d’une division nette et claire des deux espaces. Mais dans le monde numérique, où c’est le mouvement normatif de l’action qui prime, cette distinction figée et normée ne peut avoir de sens. Il faut concentrer l’attention sur les pratiques qui produisent la structuration de l’espace. Dans son action, l’utilisateur engendre l’espace qui l’entoure en le normant. Ce sont mes pratiques, mes clics, mon écriture qui créent la structure de mon espace, qui définissent au fur et à mesure les rapports de visibilité et de confidentialité qui inventent les dispositifs d’intimité ou de publicité. Ce qui pose problème n’est pas le fait que la séparation privé-public ne soit pas respectée, mais le fait qu’il soit possible de cristalliser l’action normative produisant la structuration de l’espace et de l’utiliser comme instrument de contrôle. Facebook, par exemple, permet d’une part la production et la structuration d’un espace de relations, mais d’autre part cristallise cette structure pour pouvoir l’exploiter. L’impossibilité d’effacer un profil ou des images – qui restent toujours sur les serveurs – est un signe de cette cristallisation.

Intérieur-extérieur

79Une objection principale pourrait être soulevée contre l’approche que j’ai proposée : fonder la réflexion éthique sur les structures internes du numérique risque de faire perdre toute possibilité critique. L’éthique du numérique deviendrait ainsi une justification des pratiques numériques existantes. Tout serait justifié, car tout dérive de la structure même du domaine d’action sur lequel nous nous interrogeons. Ainsi serait-il impossible de regarder ce qui se produit dans l’espace numérique depuis l’extérieur pour l’analyser et le critiquer.

80C’est une sorte de dialectique intérieur-extérieur qui se met en place, dialectique qui rappelle, comme le remarque Milad Doueihi (2011 : 46), des récits de science-fiction tels que le film Tron. Le film raconte la guerre entre des informaticiens et un ordinateur qui gère une réalité virtuelle, celle des jeux qui ont été créés par les informaticiens. Le monde créé par les informaticiens est complètement géré par l’ordinateur (le Master Control Program) et les informaticiens ne peuvent plus le changer. Pour reprendre la maîtrise du monde artificiel, il faut qu’un informaticien y entre. Il est donc projeté dans la machine, dans le code, pour pouvoir le modifier avec son action.

81La question est là : comment pouvons-nous être maîtres du numérique si ses règles sont internes à son espace ? Comment pouvons-nous introduire dans l’espace numérique des éléments extérieurs ?

82La question est à mon sens très importante aujourd’hui. L’espace numérique acquiert une place de plus en plus centrale dans notre vie et dans notre culture. Le numérique s’élargit de jour en jour : il est probable que très rapidement, l’espace numérique couvrira la totalité de notre espace sans laisser aucune marge d’espace non numérique. C’est la tendance du Web des objets : une fois que tout – les objets comme les personnes – est connecté, connu et joignable par les serveurs, tout devient numérique.

83Le risque est donc que le numérique dicte avec son développement les valeurs qui lui sont propres sans plus laisser la possibilité du choix. L’éthique du numérique deviendrait une justification d’une culture numérique qui s’imposerait comme culture universelle.

84Il faut donc se demander si l’espace numérique est vraiment imperméable. Est-ce qu’il y a vraiment cette opposition entre intérieur et extérieur ?

85L’élargissement de l’espace numérique est dû en grande partie à la souplesse du numérique lui-même. Le numérique est caractérisé par son ouverture et son dynamisme ; voilà pourquoi il arrive à recouvrir progressivement l’ensemble de l’activité humaine. Cette souplesse et ce dynamisme sont les signes de la valeur normative du numérique : celui-ci est l’espace d’une liberté normative en tant qu’espace d’action en acte, d’écriture en tant qu’écrire.

86La clôture de l’espace numérique en un intérieur ne se fait qu’au moment de la normalisation, au moment où l’écrire devient un écrit, s’arrête, se cristallise. L’ambiguïté qui caractérise le numérique est aussi la possibilité de son ouverture et donc la possibilité de la liberté.

87Le rôle de l’éthique du numérique est de montrer la possibilité de reporter tout écrit à un écrire, ouvrant ainsi l’espace de la liberté numérique.

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Bibliographie

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Vitali Rosati, Marcello (2012), S’orienter dans le virtuel, Paris, Hermann.

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Notes

1  La structure théorique de mon raisonnement doit beaucoup aux travaux et à l’enseignement d’Adriano Fabris (2006 ; 2007), que je remercie.

2  « un espace non physique et géographiquement illimité » (je traduis).

3  Consultable en ligne : http//:tools.ietf.org/html/rfc1855

4  La dinde qui, après plusieurs jours à la ferme, induit que tous les matins elle sera nourrie à 9h. Son induction se révèle fausse quand le matin de Noël à 9h, on lui tord le cou.

5  « La technologie n'est pas une valeur. Sa valeur dépend de l'usage que l'on en fait. La technologie est un outil comme un dispositif, un système ou une méthode qui enclenche un processus d'améliorations de la vie » (je traduis).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marcello Vitali Rosati, « Une éthique appliquée ? »Éthique publique [En ligne], vol. 14, n° 2 | 2012, mis en ligne le 23 août 2013, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ethiquepublique/995 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ethiquepublique.995

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Auteur

Marcello Vitali Rosati

Marcello Vitali Rosati est professeur de littérature et culture numérique à l’Université de Montréal. Docteur en philosophie (avec une thèse intitulée « Corps et virtuel. Pour un discours métaontologique à partir de Merleau-Ponty », Pise-Paris IV Sorbonne, 2006), il développe une réflexion philo­sophique sur les technologies numériques, et a notamment publié S’orien­ter dans le virtuel (Paris, Hermann, 2012).

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