Journal of the History of Philosophy

Trois penseurs du d61aissement: Maitre Eckhart, Heidegger, Suzuki Part Two REINER S C ~ 2.4 "Vivre sans pourquoi'" De m~me que le bouvier, apr~s l'exp6dence de l'an6antissement de la rathe, de lui-mSme, de la nature, de toutes ehoses enfin, retoume sur la place du march6 "poitrine nue, pieds nus," de m~me la perc~e au--del~tde Dieu, chez Maitre Ecldaart, se traduit en une nouvelle fa~on d'exister dam le monde. 11appelle cette fa~on d'exister "vivre sans pourquoi," sunder warumbe.126 Ainsi lorsqu'on interroge un homme: "pourquoi manges-tu?"---"Atin d'avoir de la force." --"Pourquoi dors-tu?"--"Pour la mEme raison." I1 enest ainsi de toutes les theses qui sent dans le temps. Mais quelqu'un qui demanderait gtun heroine ben: "Pourquoi aimes-tu Dieu?"--"Je ne le sais pas, ~tcause de Dieu."--"Pourquoi aimes-tu la v~rit~?"~"A cause de la v~rit6."~"Pourquoi aimes-tu la justice?"--"A cause de la justice."---"Pourquoi aimes-tu la bont~?"~"A cause de la bont~."~"Pourquoi vis-tu?"--"Ma parole! Je l'ignore! Mais je suis heureux de vivre.''127 "Toutes les choses qui sent dam le temps" sent radicalement indigentes. Ce qui est soumis au temps et au lieu ne se suflit pas ~ soi-m~me, sa raison suffisante r6side en Dieu. Le er66 a "un pourquoi." Les hommes mangent et dorment "pour" avoir des forces, ils agissent avec un "pourquoi"; ils cherchent Dieu "pour" son utilit6 de plus riehe dispensateur de bien, ils agissent encore avee un "pourquoi." Tant que tu vis avee un "pourquoi ," dit Maitre Eckhart, tune te eonnais ni toi-m~me, ni Dieu. Tu cherches avec Dieu quelque chose, et tu te conduis absolument comme si tu transformais Dieu en une chandelle, afin de t'en servir pour trouver quelque chose. Et quand on a trouv6 ce qu'on cherchait, on jette la chandeUe. Tu agis de mSme: ce que tu cherches avec Dieu est n6ant, quoi que ce puisse &re.l:s Pourquoi les ehoses? Pourquoi le monde? Pourquoi la vie? Pourquoi Dieu? Pourquoi moi-m~me? L'homme parfaitement d6laissd qui a dprouvd la nuditd au-dd~ de tout ce qui porte nora, ne s'interroge plus ainsi. I1 a ddsappris la recherche des causes et des buts. I1ne eherche plus, et e'est pourquoi il a trouvd: 129l'arch3 et le telos qu'il a dprouv6s sent n6ant. I1 sait: ee qui est----est. Sans pourquoi. Ne plus demander raison il ce qui est, ce fut pour lui trouver l'unique raison, ~t savoir la solitude aride de la ddit6 o~ tout demeure semenee. Ne plus chereher de pourquoi parmi le er66, e'est done trouver son 12e Sermon Qui sequitur iustitiam, DW, II, 289, 3 et ailleurs. 1~7 Sermon Mulier venit hera, DW, II, 27, 4-10. lea Sermon Omne datum optimum, DW, I, 69, 2-5. 129 Sermon Got h#t die armen, Pf, p. 177, 12. [43] 44 HISTORY OF PHILOSOPHY unique pourquoi: l'incr66. Un homme parfaitement dtlaiss6 vivrait comme un cheval de race, lane6 h fond de train sur la spacieuse 6tendue d'un pr6 verdoyant: sa nature l'incite h se rEpandre en galops et en bondissements autant clue ses forces le lui permettent,la~ De m~me cet homme. I1 a trouv6 le secret de la vie. Dieu, l'homme, le monde, se morttrent ~ lui dam le fibre jeu de leur identit6 originaire. Dans son agir, il n'est p/us motiv6 par aueun mobile exttrieur. "Ceux qui cherchent quelque chose avee leurs oeuvres, ceux qui agissent pour un pourquoi, ce sont des serfs et des mercenaires.''xax A la penste reprtsentative, h la tMorie des substances, cette doctrine du sans-pourquoi est folie. La m&aphysique ne peut penser l'origine autrement que comme supreme fondement. Pour le mttaphysicien, auctme 'cause' au-del~ de Dieu, cause du or66, ne peut ~tre cherchte. Parler d'un ursprinc, jaillissement, commun h Dieu, l'homme, au monde, c'est proprement fabuleux. Vivre sans pourquoi paraSt alors aussi subversif pour les moeurs, que la percte au-del~t de Dieu paralt insenste pour le dogme. La penste indicative...