Revue des sciences religieuses 11 n° 3 (2003), p. 367-388

CE QUI SE REFUSE À LA PENSÉE :

LA CONNAISSANCE DE L'INFINI

CHEZ BONAVENTURE, MAÎTRE ECKHART

ET NICOLAS DE CUES (*)

I

On peut parler d'un commencement de deux manières : soit au sens d'un début réel, historique : quelque chose est trouvé pour la première fois articulé, conceptualisé, soit au point de vue systématique, au sens d'un principe ou d'une origine dans lequel - du point de vue de la théorie de principes - un commencement peut prendre corps. Pour la philosophie, la première question n'est pas d'un très grand intérêt. Car tous les contes originaires, toutes les etiologies comme celles de Pythagore et Socrate se révèlent, à y regarder de près, comme des fictions historiographiques, qui renvoient à la question fondamentale de la philosophie, au fondement de la pensée et ainsi à la présence d'un principe que Ton peut nommer le principe de raison.

Par rapport à la raison elle-même ce principe n'a pas été découvert. Il est toujours là aussi longtemps que la pensée existe. En outre il est là au sens emphatique, dans la mesure où la pensée cherche à assurer son propre fondement, à savoir à propos de la question du principe de raison, c'est-à-dire, dans la mesure où la philosophie s'exerce. Qui voudrait le contester ! Cette question du principe de raison constitue depuis le début le destin de la philosophie car elle est sous le verdict en même temps du plus connu et du plus inconnu. Le randonneur qui, en sortant de la grotte, se met sur une route rocheuse, ne voit rien de tout ce qui lui est donné pour le vrai {République 515d-e). Au contraire, il est dépendant de l'ombre {skiai) et des images (eidola), de la lumière de la lune et des étoiles de la nuit {République 516a). Platon explique certes que la connaissance de l'Idée du Bien est possible pour celui qui l'a longtemps exercée en contemplant son