Revue des sciences religieuses 74 n° 4 (2000), p. 507-523

DU MAL

Le mercredi 22 juillet 1 942 commence la déportation des habitants du ghetto de Varsovie. Le 16 mai 1943, Stroop envoie à Himmler le télégramme suivant : « Es gibt keinenjudischen Wohnbezirk in Wars- chau mehr » (1). Les « agents du Mal » (2) ont tâche accomplie. Hillel Seidmann, un des rares rescapés de l'extermination, utilise cette expression du Talmud pour désigner les S. S. et leurs sbires, commis à ce que l'on va nommer Shoah pour désigner l'événement, singulier dans l'histoire, de l'éradication d'un peuple au nom d'un savoir qui revendique la nécessité. Dans la bouche de Seidmann, Mal possède une double signification. Il désigne à la fois l'horreur subie par la victime, le mal enduré, et le mal en tant que cause, c'est-à-dire celui qu'incarne et réalise le commando nazi, l'Einsatz Reinhard.

La double acception du mot qui traduit l'action et la passion et renvoie au bourreau et à la victime constitue la difficulté qui obère toute réflexion un peu poussée sur le mal. Peut-on le définir, sous les espèces de la cause, comme Mal absolu, ou doit-on admettre qu'il relève de l'appréciation subjective de qui le subit? Cette question traverse l'histoire de la pensée, pendant que les réponses gardent toutes la trace du scandale originaire surgi avec l'humanité. De l'épopée de Gilgamesh à Kant, Nietzsche ou Freud en passant par Platon et la Bible, l'énigme du Mal insiste, exigeant explication et remède : pourquoi la souffrance et la mort, et pourquoi l'injustice qu'elles emportent derrière elles ? Il est impossible de présenter ici l'ensemble des réponses. Je me limiterai donc à rapporter celles de Platon et de Kant qui tournent autour de la question du sujet, puis celle de la psychanalyse qui la reprend à nouveaux frais.

J'ouvrirai mon parcours par une remarque préliminaire ayant trait au caractère éthique de ces réponses et je commencerai par distinguer les termes éthique et morale souvent considérés comme équivalents. La distinction n'est pas gratuite. En effet, l'inflation présente du