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Recensions

Ellul, Jacques, Éthique de la liberté, t. I et II | Ellul, Jacques, Les combats de la liberté, Éthique de la liberté, t. III

Genève, Labor et Fides, 2019, 715 p. | Genève, Labor et Fides, 20202, 488 p.
Marie-Jo Thiel
p. 193-195
Référence(s) :

Ellul, Jacques, Éthique de la liberté, t. I et II, Genève, Labor et Fides, 2019, 715 p.

Ellul, Jacques, Les combats de la liberté, Éthique de la liberté, t. III, Genève, Labor et Fides, 20202, 488 p.

Texte intégral

1L’édition de ces deux ouvrages s’inscrit dans la publication complète de l’œuvre de Jacques Ellul (1912-1980) qui fut professeur de droit à Bordeaux, penseur protestant de première importance en particulier autour de l’éthique de la technique, chrétien engagé inscrivant sa réflexion dans la Bible, comme c’est le cas pour les présents travaux écrits entre 1960 et 1966 et qui doivent être mis en relation avec l’Introduction à l’éthique (dont seule la première partie était alors publiée sous le titre : Le vouloir et le Faire. Recherches éthiques pour les chrétiens. Introduction, 1964, 20132) ; la seconde partie ne fut jamais publiée du vivant de l’A., mais seulement en 2018 sous le titre : Les sources de l’éthique chrétienne. Le Vouloir et le Faire. Parties IV et V.

2Au final, c’est donc un énorme corpus d’éthique – faut-il dire d’éthique théologique ? – que nous propose l’A., tant l’éthique doit découler chez lui de la relation avec le Christ. Pour autant il ne parle pas d’éthique théologique, mais il structure sa réflexion à partir de sa lecture biblique serrée et plus précisément encore, des vertus théologales, comme il l’explique au début du tome 1 (p. 10), et appuyée sur la médiation du Christ. Chacune des vertus doit correspondre à un « secteur » de la vie chrétienne : « J’avais conçu qu’à l’Espérance devait correspondre une éthique de la liberté, à la Foi une éthique de la Sainteté, à l’Agapê une éthique de la relation » (p. 10). Et, dit-il, en 1960, il s’est résolu « à écrire l’Éthique de la liberté […] parce qu’il m’apparaissait de plus en plus certain que la liberté était le lieu, la condition, le champ de toute l’Éthique chrétienne, et qu’il ne pouvait y avoir Sainteté et Relation qu’en fonction et à partir de la liberté » (p. 10 ; les majuscules sont celles de l’A.).

3On l’aura compris : il n’y a de liberté qu’en Christ. « Ce qui nous est acquis en Christ, c’est la liberté. […] L’homme libre l’est parce qu’il est libéré par Dieu et de ce fait soumis à l’exigence de Dieu » (p. 15). À tel point que « tout discours théologique devient un médiateur illégitime de cette relation directe » et que « tout discours éthique vient amputer cette liberté » (p. 15). Plus encore, « la liberté est le visage éthique de l’espérance » (p. 18), elle est « réponse de Dieu à l’espérance de l’homme pour donner à cet homme la possibilité de vivre concrètement, effectivement, quotidiennement l’espérance, d’une façon qui ne soit pas hypothétique ou sentimentale. Il y a alors rigoureusement réciprocité entre espérance et liberté. Dieu aime, l’homme espère, Dieu libère » (p. 19). En Christ, en effet, l’espérance atteste à l’homme qu’il y a un avenir, qu’il peut échapper à un destin tout tracé puisque la Vie a triomphé de la mort et qu’ainsi rien n’est joué d’avance. La liberté l’engage du coup à construire une histoire « choisie, voulue » (p. 26) de façon responsable afin de rester libre. Les titres du tome I suffisent à montrer l’itinéraire : « L’homme aliéné et la libération en Christ », « L’objet de la liberté et la volonté de l’homme », et enfin « Assumer sa liberté ». L’amour du prochain et la recherche de la gloire de Dieu sont les deux orientations de cette liberté.

4Le tome II (toujours dans le volume I) aborde ensuite deux points : « La liberté dégagée et la liberté impliquée », puis « La liberté dégagée : liberté de l’individu ». « Dégagée » signifie que la liberté est considérée dans son niveau individuel, vécue pour soi. L’A. reprend d’ailleurs cette thèse au début du tome III où il résume son propos : « J’essayais d’y examiner les “catégories de la liberté pour l’éthique”, montrant qu’en définitive ce qui exprime concrètement la liberté chrétienne, c’est l’inutilité, le provisoire et le relatif » (p. 12, t. III). Il s’agit de devenir un homme dans la multitude des engagements du siècle présent, en toute indépendance, sans se laisser perturber par des peurs ou des règles. On passe ainsi d’une liberté dégagée à une liberté qui s’engage dans toutes les sphères de la société.

5Une telle liberté est l’objet du tome 3, « Les combats de la liberté », car cette liberté en Christ n’existe que si elle est mise en acte. Mais, « la liberté en Christ n’a jamais pour but que la société soit meilleure ou fonctionne mieux : cela peut normalement se produire, on peut l’attendre et l’espérer. Mais ce sera donné par surcroît… » (p. 19). Pour l’A., la liberté vécue dans le monde a une triple orientation : elle a un rôle « évangélistique » (p. 19) au sens où « seul le chrétien libre qui s’engage dans le monde peut évangéliser » (p. 19) ; un rôle missionnaire (l’objectif est alors d’assurer la présence du Christ à l’autre) ; et enfin un rôle de médiation (le chrétien comme agent de sanctification par le sacrifice du Christ). Une telle éthique de la « liberté impliquée » ne procure pas de « solutions simples », elle invite, grâce aux « armes de la théologie », à s’engager : « Maintenant, à vous de jouer et de trouver, non pas intellectuellement, mais en vivant votre foi dans cette situation » (p. 21, italique de l’A.). Or dans cette perspective, la liberté est paradoxale aussi bien au niveau théologique, qu’au niveau des « contradictions incessantes » qu’elle exprime (p. 22) et des conduites qu’elle implique. C’est l’objet des douze chapitres de ce tome 3. Afin de bien marquer le caractère à la fois exigeant et décapant de cette Éthique de la liberté, l’auteur refuse d’apporter une conclusion qui fermerait la réflexion, puisqu’il achève son volume sur un ultime « chapitre » intitulé « sans conclusion », évoquant principalement la libération de la femme…

6Les deux ouvrages développent ainsi une réflexion volumineuse et très dense, dans tous les sens du terme. La lecture n’est pas difficile au sens littéral, mais reste ardue en raison du peu de sous-titres et parce que l’A., pour préciser sa pensée, cultive le paradoxe. On peut ne pas partager toutes les idées d’Ellul ; celui-ci propose cependant une argumentation nourrie de la Bible qui tient la route, et témoigne d’une grande finesse de pensée en introduisant des renversements d’affirmations devenues banales en théologie. Sa réflexion est exigeante mais mérite vraiment l’implication du lecteur.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie-Jo Thiel, « Ellul, Jacques, Éthique de la liberté, t. I et II | Ellul, Jacques, Les combats de la liberté, Éthique de la liberté, t. III »Revue des sciences religieuses, 95/1-2 | 2021, 193-195.

Référence électronique

Marie-Jo Thiel, « Ellul, Jacques, Éthique de la liberté, t. I et II | Ellul, Jacques, Les combats de la liberté, Éthique de la liberté, t. III »Revue des sciences religieuses [En ligne], 95/1-2 | 2021, mis en ligne le 30 décembre 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rsr/10697 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsr.10697

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Auteur

Marie-Jo Thiel

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