Hostname: page-component-848d4c4894-wzw2p Total loading time: 0 Render date: 2024-05-30T07:46:44.545Z Has data issue: false hasContentIssue false

Un constructivisme enraciné : élucidation, ontologie et création de concepts chez Cornelius Castoriadis

Published online by Cambridge University Press:  10 March 2022

Thibault Tranchant*
Affiliation:
Département de philosophie, Collège Édouard-Montpetit, Longueuil, Québec, Canada
*
*Auteur-ressource. Courriel : thibault.tranchant@cegepmontpetit.ca
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Résumé

Jean-Marc Ferry objectait à Cornelius Castoriadis que sa philosophie repose sur une décision ontologique arbitraire transgressant les limites de la critique kantienne de la raison. Dans cet article, je réponds à cette objection en commentant l'opération méthodologique sur laquelle repose l'ontologie de Castoriadis : l’élucidation. Je montre qu'elle ne dépasse pas les limites prescrites par la finitude kantienne et qu'elle lui permet de justifier ses concepts ontologiques. J'explique ensuite dans quelle mesure on peut qualifier la méthode de Castoriadis de « constructivisme enraciné » et quel est son apport pour les théories philosophiques constructivistes.

Abstract

Abstract

Jean-Marc Ferry stands opposed to the philosophy of Cornelius Castoriadis, claiming that it relies upon an arbitrary ontological decision. According to Ferry, Castoriadis’ philosophy does not respect the Kantian critique of reason. In this contribution, I reply to this objection. I comment on his specific methodological operation: elucidation. I show that this method does not go beyond Kantian finitude, and that it allows him to justify his ontological concepts. In the last part of this article, I interpret his method as a ‘grounded constructivism’ and I explain how it contributes to those philosophical theories.

Type
Article
Copyright
Copyright © The Author(s), 2022. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Philosophical Association/Publié par Cambridge University Press au nom de l’Association canadienne de philosophie

Cornelius Castoriadis pensait que le renouvellement du « projet d'autonomie » avait pour l'une de ses conditions la refonte des catégories et des présupposés de l'ontologie occidentale. C'est la raison pour laquelle, après s’être interrogé pendant plus de vingt ans à l’époque de Socialisme ou barbarie sur le mouvement ouvrier et le « contenu du socialisme », l'auteur de L'institution imaginaire de la société s'est engagé dans une vaste et ambitieuse critique de la « pensée héritée ». Le fer de lance de cette dernière était une notion radicale de création comme surgissement ex nihilo de nouvelles formes de l’être à travers le temps, censée faire voler en éclat le rationalisme déterministe parcourant selon lui l'histoire de la philosophie et ouvrir la pratique sur de nouveaux possibles. Il en vint dans ce contexte à soutenir un pluralisme ontologique fort. Il considérait, avec Aristote, que « l’être se dit en plusieurs sens » et qu'il est composé de « régions » ou de « strates » irréductibles les unes aux autres, chacune d'entre elles devant faire l'objet d'une connaissance sui generis, impliquant la création de logiques multiples. Parmi les différentes régions de l’être, Castoriadis voyait dans le « social-historique » une couche irréductible de sens, caractérisée par l’émergence immotivée de « significations imaginaires sociales », conçues par lui comme des conditions a priori de la pratique des individus.

Jürgen Habermas et Axel Honneth ont formulé une importante critique à Castoriadis (Habermas, Reference Habermas1988, p. 387–396 ; Honneth, Reference Honneth and Busino1989). Selon eux, ce dernier n'aurait pas réussi, malgré ses intentions, à refonder la philosophie de la praxis. En choisissant la voie de l'ontologie, à plus forte raison celle d'une ontologie de l’être-social et de la création ex nihilo, Castoriadis aurait échoué à identifier et à situer les pratiques effectives à partir desquelles une rationalisation éthique du social pourrait advenir. Habermas et Honneth, en somme, voient en Castoriadis un spontanéiste au cœur naïf : comment faire l'autonomie si sa condition fondamentale est le surgissement immotivé d'une nouvelle « signification » trouvant son siège dans un imaginaire social inaccessible aux pratiques ? Si cette critique a depuis été écartée avec pertinence par des commentateurs de Castoriadis comme Nicolas Poirier (Reference Poirier2011, p. 505–508), Philippe Caumières et Arnaud Tomès (Reference Caumières and Tomès2011, p. 131–160), une objection bien plus profonde, formulée par Jean-Marc Ferry (Reference Ferry1987, p. 441–473), n'a pas suffisamment attiré l'attentionFootnote 1. Elle est pourtant bien plus grave, car elle touche en plein cœur le projet politico-philosophique de Castoriadis, qui repose sur la relégitimation de l'enquête ontologique. Ferry objecte à Castoriadis qu'il transgresse non seulement les coordonnées postmétaphysiques dans lesquelles s'inscrit la pensée philosophique depuis Kant, mais surtout qu'il ne fournit aucune justification épistémique à son ontologie. Ferry lui objecte sobrement qu'il reconduit le travers qu'il pense voir dans l'histoire de la philosophie : déduire l’être du concept. En somme, Castoriadis ontologiserait des hypothèses, il ferait jouer une décision ontologique (l'indétermination) contre une autre (la détermination). De ce point de vue, il régresserait à un stade philosophique précritique et dogmatique, celui dont la voie avait été barrée par Kant à partir de sa Critique de la raison pure.

Je souhaite dans cet article répondre à cette objection. Sur quelles bases Castoriadis entendait-il relégitimer l'enquête ontologique et comment justifiait-il le contenu de ses affirmations ontologiques ? Quelles sont les opérations méthodologiques sur lesquelles elles reposent et quelles sont leurs conditions ? Je montrerai dans un premier temps que l'ontologie de Castoriadis ne repose pas sur une décision arbitraire, mais sur une opération méthodologique singulière, l’élucidation. Je montrerai dans un second temps que le contenu de son ontologie est acquis grâce à une élucidation des apories de la pratique scientifique moderne. Dans ces deux sections, je chercherai à montrer que l'ontologie castoriadienne demeure, contrairement à ce que pense Ferry, à l'intérieur des limites de la critique kantienne de la métaphysique. L’élucidation, en effet, n'est pas une spéculation métaphysique, mais bel et bien une création de concepts, de « figures du pensable », quand bien même celle-ci cherche à rendre compte d'une objectivité extra-phénoménale. Dans un troisième et dernier temps, je tirerai les conclusions exégétiques de cette caractérisation de l’élucidation castoriadienne en la décrivant comme une forme originale de constructivisme philosophique. L’élucidation ontologique lui permet, en effet, d'interroger les conditions objectives de la création des concepts et de leur effectivité, si bien qu'il propose ce que l'on pourrait nommer un constructivisme enraciné.

1. Les origines politiques et psychanalytiques d'une méthode philosophique : l’élucidation

Les principaux concepts ontologiques employés par Castoriadis, par exemple celui de « magma » ou de « strates de l’être », sont acquis dans le cadre d'une « élucidation » des apories de la pratique scientifique moderne. Contrairement à ce qu'affirme Jean-Marc Ferry, une telle ontologie n'est donc pas le résultat d'une « décision ontologique », mais repose sur des orientations méthodologiques qui peuvent être expliquées. Avant d'en venir à la manière dont Castoriadis a produit son ontologie dans le cadre d'une réflexion sur l'histoire de la science, je souhaite replacer sa méthode dans le contexte de son parcours militant et intellectuel en explicitant ses ancrages politiques et psychanalytiques.

1.1. Les origines politiques

Un aspect tout à fait singulier du discours philosophique et politique de Castoriadis est d'avoir constamment recours à la notion d’élucidation plutôt qu’à celles, par exemple, mieux balisées d'explication ou de compréhension. Pourtant, cette notion, qui intervient à des moments cruciaux et stratégiques de son argumentaire, n'a pas fait l'objet d'une thématisation ou d'un traitement méthodologique explicites. Castoriadis conceptualise plutôt ce schème méthodologique à l'intérieur de développements plus généraux sur les rapports entre théorie et pratique — lesquels sont un des points de départ, sinon le point de départ, de la réflexion castoriadienne, comme l'atteste déjà en 1949 la présentation du premier numéro de Socialisme ou barbarie, qui fait de la réification de la théorie et de la bureaucratisation du mouvement ouvrier le problème majeur que ce dernier doit affronter (Castoriadis, 1949/Reference Castoriadis1973).

La première thématisation explicite de cette notion se situe au cœur de « Marxisme et théorie révolutionnaire », reproduit comme première partie de L'institution imaginaire de la société (1975/1999c)Footnote 2, et qui fait le bilan de toute la critique immanente du marxisme-léninisme de Socialisme ou barbarie. Ce sont donc des interrogations politiques qui sont le creuset de ce schème méthodologique, ensuite réinvesti sur le plan de l'enquête ontologique, comme on le verra. Dans la seconde partie de « Marxisme et théorie révolutionnaire », « Théorie et projet révolutionnaire », Castoriadis se demande, dans le sillage de la philosophie marxienne de la praxis, quel doit être le statut spécifique d'une théorie révolutionnaire ou, plus précisément, quel rapport spécifique elle doit entretenir avec la pratique afin de servir d'appui et de repère à un véritable processus de transformation émancipateur. Pour lui, la dégénérescence du mouvement ouvrier et sa captation contre-révolutionnaire par des « avant-gardes éclairées », autrement dit la pratique effective du marxisme-léninisme, proviennent d'une compréhension erronée de la théorie comme saisie panoptique et surplombante des « causes sociales » et des « conditions objectives » afin de déterminer le contenu et les fins de l'action. La réduction de l'action à un geste technique et la constitution d'une bureaucratie ouvrière, reconduisant le clivage capitaliste entre dirigeant et exécutant, ont ainsi pour origine, selon Castoriadis, un concept fort et déterministe de théorie. « Exiger que le projet révolutionnaire soit fondé sur une théorie complète, c'est donc en fait assimiler la politique à une technique, et poser son domaine d'action — l'histoire — comme objet possible d'un savoir fini et exhaustif » (Castoriadis, 1975/Reference Castoriadis1999c, p. 111). Or, ajoute Castoriadis, le domaine historique, en raison de son imprévisibilité constitutive, ne peut faire l'objet d'une forme de rationalité causaliste et déterministe ; il convient donc de distinguer les modalités du faire selon les domaines où il se déploie. Si la technique et son rapport propre à un concept fort de théorie sont une modalité de l'action adéquate dans certaines circonstances, il convient de ne pas la confondre avec la praxis, qui suppose un autre rapport entre faire et théorie.

C'est dans ce cadre que Castoriadis en vient pour la première fois à thématiser la notion d’élucidation. Cette dernière est comprise comme une relation entre la théorie et la pratique requise par les contingences de l'histoire en vue de sa transformation selon un intérêt pour l’émancipation. La praxis, définie par Castoriadis comme modalité du faire visant l'autonomie de l'individu et du collectif dans des circonstances contingentes (ce qui en soi est une redéfinition originale de la notion marxienne de praxis, qui désignait beaucoup plus largement la pratique d'autoproduction de l’être humain de ses conditions d'existence [Tosel, Reference Tosel, Labica and Bensussan1999]), s'appuie sur des inductions théoriques provisoires qu'elle crée dans son propre auto-déploiement : l'universalité de la théorie est toujours reconduite par la particularité de la situation historico-pratique, « la praxis elle-même fait surgir constamment un nouveau savoir, car elle fait parler le monde dans un langage à la fois singulier et universel » (Castoriadis, 1975/Reference Castoriadis1999c, p. 113). Ainsi, l’élucidation est définie comme ce processus constant de création conceptuelle à partir et en vue du développement d'une pratique transformatrice : « Élucidation et transformation du réel progressent, dans la praxis, dans un conditionnement réciproque » (Castoriadis, 1975/Reference Castoriadis1999c, p. 113). L’élucidation est le mode d’être d'un rapport désaliéné de la pratique à la théorie où la pratique crée des formations théoriques et où ces dernières, en retour, transforment le sujet pratique lui-même. L’élucidation est indissociablement objectivation thétique et subjectivation pratique.

1.2. Les origines psychanalytiques

Cette première approche de l’élucidation trouvera dans la pratique psychanalytique un second souffle. Contrairement aux lacaniens, Castoriadis ne pense pas que l'inconscient soit structuré comme un langage. Sans revenir en détail sur la critique du lacanisme par Castoriadis, particulièrement féroce (Castoriadis, 1977/Reference Castoriadis1998b), soulignons simplement qu'il conceptualise l'inconscient à partir d'un concept radical d'imagination productrice (Castoriadis, 1986/Reference Castoriadis2000b). L'inconscient, quand bien même il possède une dimension logique qu'une certaine épistémologie structurale peut reconstituer partiellement, n'est pas réductible à une structure différentielle de signes ; il est au contraire le lieu constant de surgissement d'images, de significations et de représentations, qui entretiennent un rapport spécifique aux instances psychiques conscientes et qui, dans certains cas, peuvent les grever et impliquer des névroses ou des psychoses. À partir d'une telle compréhension indéterministe, poïétique, de l'inconscient, Castoriadis se demande à nouveau quel doit être le statut de la théorie métapsychologique dans le cadre de la pratique psychanalytique. Si l'inconscient, dont les formations sont chaque fois spécifiques à un individu, est l'origine imprévisible d'images, de représentations, d'affects et de percepts, sur quel genre de théorie l'analyste peut-il faire reposer la pratique clinique afin d'aider l'analysant à accéder à l'autonomie ?

À l'instar de la praxis révolutionnaire, la pratique clinique ne saurait pour Castoriadis se déployer à partir d'un savoir surplombant, le domaine psychique étant, comme celui de l'histoire, imprévisible. De même, tout comme la théorie révolutionnaire, la métapsychologie est inséparable d'un intérêt pratique pour l'autonomie et, plus encore, d'une transformation créatrice de la subjectivité. Agir révolutionnaire et pratique clinique sont ainsi une « activité practico-poïétique » (Castoriadis, 1968/Reference Castoriadis1998a, p. 46). C'est dans ce cadre que Castoriadis conceptualise à nouveau l'idée d’élucidation. Dans « Épilégomènes à une théorie de l’âme que l'on a pu présenter comme science » (Castoriadis, 1968/Reference Castoriadis1998a), succédant de quelques années seulement à « Marxisme et théorie révolutionnaire », il souligne que l'universalité métapsychologique, c'est-à-dire les formations conceptuelles et théoriques censées valoir universellement dans le cadre clinique, trouvent leur origine dans un processus « d'abstraction réelle » (Castoriadis, 1968/Reference Castoriadis1998a, p. 66) de ce qui se donne à l'expérience : « le réel est ici transcendantal » (Castoriadis, 1968/Reference Castoriadis1998a, p. 43). Mais ce qui ne paraît être ici qu'une induction ou une généralisation des données cliniques est à son tour pris dans la boucle de la pratique d'autocréation et d'autotransformation distinctive de la clinique. Si l'universalité de la théorie métapsychologique peut trouver une effectivité dans la pratique clinique, il n'en reste pas moins que la singularité de l'analysant expose l'universalité métapsychologique à l’échec et à sa propre transformation. L'universalité métapsychologique ne peut donc prétendre au même statut de rigueur qu'une science hypothético-déductive, contrairement, selon Castoriadis, au projet positiviste de Freud ou structuraliste de Lacan, en raison du mode d’être de l'inconscient. Plus encore, vouloir légitimer la psychanalyse en transférant en son sein les critères de scientificité galiléo-cartésiens des sciences de la nature est le meilleur moyen pour évacuer ce qu'elle a de plus précieux, à savoir la dialectique constante entre la singularité et l'universalité dont l’élucidation, et non l'explication ou la compréhension, est la modalité practico-théorique sui generis.

Il est donc vrai de dire que la psychanalyse n'est pas une science (Castoriadis, 1968/Reference Castoriadis1998a, p. 69), ce qui ne signifie pas qu'elle n'ait aucune portée gnoséologique. Au contraire, elle nous donne à voir une forme particulière de relation entre la connaissance et la pratique transformatrice où celle-ci et celle-là se répondent dialectiquement en vue de la liberté : l’élucidation, qui, à partir d'une expérience orientée par une conceptualité a priori (la métapsychologie), crée de nouvelles hypothèses et de nouvelles déterminations conceptuelles au contact de cette expérience elle-même (la clinique). C'est cette boucle historicisée et créatrice entre aprioricité et expérience, selon un intérêt pratique pour la liberté, que désigne la notion d’élucidation, laquelle se situe par là à égale distance d'une conception anhistorique du transcendantal et d'un empirisme relativiste. Quand bien même l’élucidation est une conception historicisée de la méthode, il n'en reste pas moins qu'elle se tient dans le sillage d'un idéalisme postkantien : ouverte et sensible aux faits de l'expérience, l’élucidation demeure une pratique idéellement médiatisée et qui a l'aprioricité comme condition première et inéliminable. Il ne faudrait donc pas confondre l’élucidation avec un positivisme naïf qui considérerait que l'on a un accès « direct » aux faits de l'expérience ou avec une simple induction théorique de « données pures ». Au contraire, tout l'enjeu de cette notion est de donner à penser l'ancrage du transcendantal dans l'histoire et la pratique, de voir en eux sa condition et le principe de son autocréation constante en vue de la vérité et de la liberté.

2. Élucidation, pratique scientifique et ontologie : comment reposer la question ontologique dans un contexte postmétaphysique ?

Kant a barré la voie à un usage immodéré de la raison qui, à l'instar de la « colombe légère » s'imaginant « qu'elle réussirait encore bien mieux dans l'espace vide d'air » (Kant, Reference Kant2006, p. 99), voudrait s'affranchir des conditions de sa propre expérience et côtoyer les idéalités métaphysiques par-delà sa propre finitude. Comment justifier la légitimité d'une ontologie sans retomber dans les ornières du réalisme dogmatique dont nous a arraché la critique kantienne ? Dans le contexte postmétaphysique hérité de Kant, par quelle voie la raison peut-elle toujours espérer prendre son envol ?

Je souhaite désormais montrer que la relégitimation par Castoriadis de l'enquête ontologique ne contrevient pas, contrairement à l'objection de Jean-Marc Ferry, au contexte postmétaphysique dans lequel se déploie la philosophie depuis Kant. Castoriadis ne propose pas une ontologie dogmatique, mais plutôt une ontologie hypothétique à l'intérieur de coordonnées quasi transcendantales (c'est-à-dire concevant la phénoménalité comme le corrélat d'une création idéelle et apriorique, mais historicisant les catégories et schèmes a priori de l'expérience). Pour ce faire, il lui a fallu mettre à égale distance le criticisme anhistorique d'un Kant et la philosophie dialectique de Hegel afin de penser la science comme un faire générateur de concepts et d'hypothèses ontologiques, de figures du pensable. En d'autres termes, l'ontologie générale de Castoriadis est acquise à l'intérieur d'une interprétation de l'histoire de la science comme faire élucidant.

2.1. Le faire scientifique comme élucidation et la portée ontologique de l'histoire de la science

L'ouverture par Castoriadis de l'enquête ontologique dans un contexte postmétaphysique suppose donc de renvoyer dos à dos criticisme et « panlogisme », mais elle va avoir besoin d'un schème méthodologique plus précis. Ce schème, ce sera celui de l’élucidation, développé auparavant, comme on vient de le voir, grâce à sa réflexion sur les rapports entre théorie et pratique dans la pratique révolutionnaire et psychanalytique.

Cette synthèse sera réalisée dans un article quelque peu ébouriffant d’érudition et paru dans l’Encyclopædia Universalis en 1973, « Science moderne et interrogation philosophique » (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c), où il passe en revue les apories sur lesquelles avait débouché le développement immanent de disciplines anciennes comme la physique et les mathématiques, mais aussi nouvelles, à l'instar de la cybernétique et de ses applications dans les sciences du vivant. Au cœur de cet article se trouve une réflexion sur « le problème de l'histoire de la science », dans laquelle Castoriadis rejette les « interprétations habituelles de l’évolution de la science » afin de la qualifier comme un faire et, par conséquent, comme un procès d’élucidation. C'est sur cette base qu'il va affirmer que l'histoire de la science a une portée ontologique que la philosophie doit ressaisir sous la forme de nouvelles hypothèses ontologiques. C'est ainsi qu'il présentera son ontologie comme une création conceptuelle prolongeant la crise de la science moderne, et non comme une spéculation dogmatique précritique.

Pour qualifier la science, à l'instar de la pratique révolutionnaire ou de la clinique psychanalytique, comme une forme d’élucidation (ou une activité « practico-poïétique »), Castoriadis commence donc par mettre à distance les « interprétation habituelles de l’évolution de la science » (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 215). Il entend, en effet, renvoyer dos à dos les interprétations à la Popper qui présentent la science comme une histoire progressive et cumulative et celles, à la Kuhn ou à la Foucault, qui la présentent au contraire comme la succession de paradigmes ou d’épistémès irréductibles les uns aux autres. S'il est vrai, remarque Castoriadis au sujet des thèses du progrès et de la cumulation additive des théories, que, diachroniquement, les théories et modèles se succèdent les uns aux autres en falsifiant les précédents et en conférant un meilleur pouvoir explicatif, il n'en reste pas moins que, sur le plan synchronique, l'ensemble des théories n'est pas additif : la succession de la théorie de la relativité générale à celle de la relativité restreinte, par exemple, implique une rupture et une certaine incommensurabilité entre les prémisses de chacune des théories. Plus encore, ajoute Castoriadis, une telle conception de la science repose sur un présupposé ontologique massif selon lequel il existe une unité du monde et une réduction générale de la diversité ontique à un système de relations logiques. Or, le développement récent de la science, en particulier la conceptualisation du domaine quantique, montre qu'une telle unité onto-logique n'est pas donnée, ce qui met en échec une conception de la science comme mathesis universalis cheminant, par le truchement de la falsification, vers une compréhension unifiée et totale de l’être (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 217–218). Ainsi, le passage de Newton à Einstein n'est pas une « addition », mais bien la création d'une nouvelle structure logique pour rendre compte d'une nouvelle « couche » de la phénoménalité ; et une telle création est indissociable d'une pratique qui, au contact d'une phénoménalité médiatisée idéellement, consiste à inventer de nouvelles déterminations logiques et, par-là, à les objectiver. On voit ainsi que le présupposé ontologique d'une conception progressiste et linéaire de la science (l'organisation générale de l’être que l'on pourrait découvrir par un effort collectif à travers le temps) éclate en raison de la pratique scientifique elle-même qui, dans son histoire, doit créer des déterminations logiques irréductibles les unes aux autres afin de rendre compte des nouveaux objets ou domaines surgissant dans le développement de sa pratique.

D'un autre côté, la conception historique adverse, à savoir celle selon laquelle la science n'est qu'une suite de « ruptures », n'est pas davantage susceptible de rendre compte de la nature de l’élucidation scientifique. Dès lors que l'on conçoit l'histoire de la science comme une suite de paradigmes, de nouvelles questions surgissent :

de quoi ces ruptures sont-elles ruptures, autrement dit, qu'est-ce qui, à chaque étape et à travers toutes les étapes, constitue « l'essence » du système scientifique accepté ? Quels sont les facteurs qui, à chaque fois, conduisent à la rupture ? Quelle est, enfin, la relation entre les étapes ainsi distinguées et, corrélativement, des connaissances scientifiques successivement produites ? (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 218)

Castoriadis insiste notamment sur le fait que le constructivisme radical d'un Kuhn ou d'un Foucault (du moins tel que Castoriadis le comprend) liquide, malgré son intention initiale, l'historicité même de la science, qui est indissociable d'une pratique de création de concepts au contact d'une phénoménalité idéellement médiatisée. En présentant l'histoire comme le font Kuhn ou Foucault, « on pulvérise à la fois le fait théorique des hommes et son objet » (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 219, je souligne). En effet, selon Castoriadis, la conception discontinuiste de l'histoire de la science obère que la création catégorielle, celle d'un nouveau paradigme ou d'une nouvelle épistémè, n'est jamais le fait d'une subjectivité solipsiste et désincarnée, mais est toujours initiée par les apories découlant du contact entre la théorie et la phénoménalité. En d'autres termes, c'est au contact du phénomène que se produit la création conceptuelle, ce qui suppose aussi de réfléchir sur ce qui est, sur ce qui, du côté de l'objet, rend possible une nouvelle catégorialité ayant une valeur de vérité :

Poser ces questions, c'est donc, bien sûr s'interroger sur l'organisation et le contenu du « savoir scientifique » à chaque étape ou à chaque époque ; mais c'est aussi, évidemment, s'interroger sur ce qui est ainsi chaque fois connu, autrement dit sur l'organisation et le contenu de ce qui, simplement, est (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 219–220).

L'histoire de la science est donc à comprendre comme une élucidation, c'est-à-dire un projet de théorie qui, dans sa propre pratique, requiert la création de nouvelles déterminations conceptuelles afin de rendre compte d'une phénoménalité idéellement médiatisée, qui, en retour, expose la catégorialité à ses propres limites.

En proposant une telle conception de l'histoire de la science, Castoriadis retrouve évidemment ses interrogations de jeunesseFootnote 3 au sujet de l'opposition entre le transcendantal et la dialectique. Selon lui, l'histoire de la philosophie ne nous propose aucun modèle théorique satisfaisant afin de comprendre l'histoire de la science comme élucidation. Si le criticisme kantien nous permet de penser l'aprioricité constitutive de l'activité scientifique, elle n'est d'aucun secours pour « rendre compte de l'existence d'une relation entre les “catégories” et le “matériel phénoménal” assurant que celui-ci est bien pensable et organisable par celles-là » (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 221). Soulignant que le Kant de la Critique de la faculté de juger avait qualifié d’« heureux hasard » la possibilité de la déduction transcendantale, Castoriadis considère que l'on ne saurait se contenter d'une telle réponse, et que la question de la condition objective d'effectivité de la catégorialité doit être posée. En d'autres termes, l'histoire de la science expose le criticisme à l'une de ses apories constitutives : quelles sont les conditions d'effectivité de l'aprioricité et comment expliquer que la succession historique des catégories trouve dans l'objet, certes ultimement inconnaissable, une condition de possibilité ? Pourquoi, en d'autres termes, plusieurs logiques sont-elles possibles ? Poser cette question, c'est renouer avec l'ontologie, avec l'interrogation sur les qualités de l’être en tant qu’être, et non simplement en tant que phénomène pour une conscience transcendantale. Mais, d'un autre côté, Castoriadis soutient que l'histoire de la science ruine également le programme dialectique hégélien, qui, voulant renouer avec l'absolu, postule qu’« il n'y a pas de séparation de la forme et de la matière » (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 222), et qui voit dans l’être le siège d'une logique objective que la science, pour ainsi dire, « traduit » imparfaitement jusqu’à sa connaissance absolue. En effet, l'histoire de la science nous montre l'irréductibilité du faire scientifique à une logique immanente de l’être ; elle nous montre la part inéliminable d’imagination créatrice de l’élucidation scientifique de la phénoménalité (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 221–222).

On comprend dès lors mieux en quoi Castoriadis pouvait affirmer que l'histoire de la science a une portée ontologique. Ce qu'elle nous montre, c'est, en effet, que le processus de création conceptuelle et théorique propre à l'activité scientifique rencontre dans l'objet des conditions d'effectivité, autrement dit que l’être se prête à une organisation catégoriale, mais aussi qu'il est suffisamment indéterminé pour se soumettre à des logiques différentes. D'où cette formulation selon laquelle « ce processus de connaître dit quelque chose aussi bien sur ce qui est — donc, sur ce qui est — que sur celui qui connaît » (Castoriadis, 1985-1987/Reference Castoriadis1999d, p. 527). L'histoire de la science nous montre une détermination et une indétermination partielle de l’être ; elle nous montre aussi que la subjectivité connaissante n'est pas un système transcendantal anhistorique, mais un sujet pratique engagé dans un processus créateur d’élucidation d'une phénoménalité ultimement inconnaissable.

Il est remarquable qu'une telle relégitimation de la question ontologique se situe à l'intérieur des coordonnées postmétaphysiques du criticisme kantien. En effet, si l'histoire de la science expose le transcendantal kantien à des apories, il n'en reste pas moins que ces dernières surgissent, comme on vient de le voir, d'un procès créateur de phénoménalisation (l’élucidation), qui n'est autre qu'un processus de création de médiations aprioriques (catégories, concepts, schèmes, etc.). Comme l’écrit Castoriadis, « ce n'est qu'au contact des étants que la question de leur être peut être discutée et même simplement soulevée » (Castoriadis, 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 231). C'est aussi pourquoi il s'oppose fermement à la distinction heideggérienne entre l’être et l’étant, qui laisse faussement entrevoir selon lui une sortie du régime critique (au sens kantien) de la pensée, un saut impossible dans l'absolu de l’être (Castoriadis, Reference Castoriadis2004, p. 261–263 ; 1970-1973/Reference Castoriadis1998c, p. 198 ; 1986-1989/Reference Castoriadis2000a, p. 301). Il est donc tout à fait faux de dire que Castoriadis transgresse les limites criticistes du régime postkantien de la philosophie : l'ontologie n'est pas chez lui une spéculation métaphénoménale, ni un sacrifice de la raison, mais une question soulevée par l'histoire même de la science comme pratique de création de concepts en vue de la vérité.

2.2. Ce que l'histoire de la science nous dit de l’être : l'exemple de la stratification

Mais comment Castoriadis passe-t-il de la réflexion sur l'histoire de la science à la formulation d'hypothèses ontologiques spécifiques ? Si l'on vient de montrer qu'il reste à l'intérieur d'un régime critique, bien qu'historicisé, de la pensée, il reste à comprendre, en vue d’écarter l'objection d'un éventuel « décisionnisme ontologique », comment il produit ses hypothèses ontologiques à partir de l'histoire de la science. Étant donné qu'il s'agit, dans cet article, de donner à comprendre les opérations méthodologiques qui rendent possible le renouvellement de la question ontologique chez Castoriadis, il n'est pas nécessaire de proposer une description de toute son ontologie, notamment de ses concepts régionaux comme l'imagination radicale (pour le domaine psychique) ou l'imaginaire social (pour le domaine social-historique). On illustrera plutôt ici l’élucidation ontologique castoriadienne en prenant pour exemple son concept de stratification.

L'histoire contemporaine des sciences physiques occupe une place centrale dans la conceptualisation par Castoriadis de la notion ontologique de stratification (et en général dans sa réflexion ontologique)Footnote 4. Dans « Science moderne et interrogation philosophique », il rappelle que la physique moderne, celle de Galilée, de Descartes et de Newton, est indissociable d'une conception unitariste du monde et du sujet connaissant. La physique moderne est constituée par « le programme d'un savoir constituant son objet comme processus en soi indépendant du sujet, repérable sur un référentiel spatio-temporel valant pour tous et privé de mystère, assignable à des catégories indiscutables et univoques (identité, substance, causalité), exprimable, enfin, dans un langage mathématique à la puissance illimitée, dont ni la préadaptation miraculeuse à l'objet ni la cohérence interne ne semblaient poser de question » (Castoriadis, 1970-1973/1998c, p. 196). La physique moderne, reine des sciences modernes avec la mécanique, est indissociable d'une mathesis universalis, d'un projet d'unification de la totalité de l'expérience moyennant des médiations logico-mathématiques univoques dont le sujet transcendantal est le siège, et, par conséquent, d'une forme de réductionnisme abstrait. À cet égard, l'idée aristotélicienne d'un partage de l’être en régions irréductibles ne peut recevoir dans un tel « paradigme » qu'une fin de non-recevoir, ou n'avoir qu'un statut précaire à l'intérieur d'une image unifiée de la totalité par la logique (comme chez Hegel, ainsi que l'a bien souligné Emmanuel Renault [Reference Renault and Bloch2019]).

Or, pour Castoriadis, les « bouleversements qui se sont produits depuis 1900 » dans la théorie physique ont ruiné un tel paradigme onto-logique moniste et réductionniste : « ce sont les catégories même de la pensée physique, et finalement la nature de l'objet physique, la nature de l'activité du physicien et le physicien comme tel, à savoir comme entendement scientifique opérant, qui ont été mis en question » (Castoriadis, 1970-1973/1998c, p. 206). Parmi ces bouleversements, Castoriadis insiste sur les « fractures » au sein de la physique qu'ont occasionné, entre autres, les découvertes quantiques : les lois et catégories de la physique classique ne sont plus valides dans le domaine microphysique, ce qui n'empêche pas, par ailleurs, de développer pour chacun de ces « niveaux » une catégorialité sui generis reposant sur des outils mathématiques aux axiomes distincts (Castoriadis, 1970-1973/1998c, p. 207–208). Ce constat, repris dans « Portée ontologique de l'histoire de la science », autorise Castoriadis à formuler une conclusion de nature ontologique renouant avec le pluralisme aristotélicien :

La conclusion est inéluctable : il existe des strates hétérogènes de l’être/étant physique. Chacune de ces strates comporte une dimension ensidique [c'est-à-dire, pour le dire très brièvement, logico-mathématique] ou se prête, indéfiniment, à une élaboration ensidique, à une ensidisation. Mais leur relation ne s'y prête pas. « Empiriquement », il n'y a pas d'incohérence positive […]. Mais, théoriquement et logiquement, il y a manque de rapport. Les axiomes, les concepts fondamentaux et la structure logique des théories correspondantes sont autres. […] Ce changement d'axiomes, au niveau de la théorie, correspond à la fracture au niveau de l'objet (Castoriadis, 1985-1987/Reference Castoriadis1999d, p. 560).

Cette dernière phrase est tout à fait révélatrice de la manière dont Castoriadis produit sa conceptualité ontologique. Il s'agit pour lui d'imaginer des hypothèses ontologiques à partir de l’état donné des savoirs scientifiques. Ces hypothèses, une fois formulées, servent de « nouveaux points de départ », à l'image d'un mathématicien qui poserait des axiomes artificiels dans un modèle non standard et qui en découlerait toutes les conséquences pour, enfin, en vérifier la pertinence au regard des conclusions qu'ils permettent. Dans un passage peu remarqué, Castoriadis écrit ainsi dans la préface aux Domaines de l'homme que sa méthode consiste en un tel aller-retour entre les conclusions et les prémisses à partir des données de l'expérience. S'appuyant sur le commentaire aristotélicien de Platon dans le premier livre de l’Éthique à Nicomaque, il écrit :

« Car c'est avec raison que Platon restait dans l'embarras et se demandait si le bon chemin [odos] est celui qui part des principes [arkhai] ou celui qui va vers les principes ». Cette remarque d'Aristote à propos du bon chemin, de la bonne voie de l'enquête — de l’odos, qui donne méthodos, méthode — peut d'autant plus trouver sa place ici que, comme le lecteur le verra, cet « embarras » même est ma méthode (Castoriadis, 1985/Reference Castoriadis1999e, p. 9).

L’élucidation est création d'hypothèses conceptuelles au contact du phénomène, qui prennent dès lors le statut de postulats pour une compréhension renouvelée de l'expérience.

Notons, pour finir sur cette question, que Castoriadis produira aussi des hypothèses ontologiques pour chacune des strates de l’être et qu'il aura, pour ce faire, recours à une méthode similaire. Ainsi, l'ontologie de l’être social-historique, qui est pour lui une strate de l’être irréductible caractérisée par l’émergence de significations imaginaires socialesFootnote 5, est acquise à l'intérieur d'une réflexion sur les sciences sociales qui repart des apories que rencontrent les modèles sociologiques et historiques actuellement disponibles tels que l'individualisme méthodologique, le fonctionnalisme, le structuralisme ou le matérialisme historiqueFootnote 6. De même, pour son ontologie de l’être psychique, elle sera produite à l'intérieur d'une élucidation des savoirs sur le psychique moyennant la pratique clinique. Plus généralement, c'est l'ensemble des concepts ontologiques de Castoriadis (le magma, la création, le legein et le teukhein Footnote 7, etc.) qui sont créés selon une telle méthode. On pourrait également mentionner le « postulat » ontologique selon lequel il existe une « première strate naturelle » de l’être comportant une organisation logico-mathématique (« ensembliste-identitaire », selon sa terminologie) immanente, condition sur laquelle repose la création des différentes formes de « pour soi ». Ce postulat n'est pas une spéculation, mais est acquis à l'intérieur d'une réflexion sur les disciplines anthropologiques (Castoriadis, 1975/Reference Castoriadis1999c, p. 338–349) et sur le tournant cybernétique des sciences du vivant (Castoriadis, 1985-1987/Reference Castoriadis1999d, p. 506–508). S'il est vrai qu'il y a une part d'imagination créatrice dans la conceptualité ontologique de Castoriadis, il est néanmoins faux de dire qu'elle est une pure décision arbitraire qui consiste à déduire l’être du concept, comme le pensait Jean-Marc Ferry.

3. Élucidation et création de concepts : un constructivisme enraciné

Je souhaite pour terminer cet article défendre une thèse exégétique minoritaire dans le corpus secondaire sur la philosophie de Castoriadis, à savoir que l’élucidation est le moment constructiviste de sa pensée. L'intérêt de voir en Castoriadis un constructiviste, ou plutôt d'identifier dans sa philosophie générale un moment constructiviste, est non seulement de mieux comprendre le sens de sa pratique philosophique, mais aussi, en retour, d'exposer le constructivisme comme tel à une critique interne. En effet, Castoriadis propose une sorte de constructivisme « dialectisé » : la création conceptuelle et la phénoménalisation sont inscrites à l'intérieur d'une ontologie générale qui leur fournit des limites et qui en circonscrit les conditions de possibilité. On peut parler, en ce sens, d'une forme critique de la raison constructiviste, c'est-à-dire d'un constructivisme qui s'interroge sur les conditions de son propre déploiement. C'est pourquoi il me semble possible de décrire la philosophie de Castoriadis comme un « constructivisme enraciné ».

3.1. Le moment constructiviste de la philosophie de Castoriadis

Plusieurs tentatives de caractérisation de la philosophie de Castoriadis ont déjà été faites. Philippe Caumières propose de voir en ce dernier un héritier de la dialectique hégélienne, qui aurait toutefois médité les lectures de Merleau-Ponty sur Lukács et la totalité (Caumières, Reference Caumières, Caumières, Klimis and Van Eynde2008). S'il est vrai que la manière dont Castoriadis pose le problème des rapports entre théorie et pratique hérite de la lecture merleau-pontienne de la critique lukácsienne du marxisme-léninisme, s'il est tout aussi vrai de dire qu'il voulait mettre à distance une « pensée de l'entendement » et établir de nouvelles médiations entre les différents champs du savoir, une telle interprétation, cependant, ne permet pas de rendre compte de la place qu'occupe chez lui la critique radicale de la dialectique hégélienne et de ses prolongements marxiens, des années 1940 jusqu’à ses séminaires à l'EHESS. Sans revenir en détail sur cette critique iciFootnote 8, Castoriadis n'a cessé, avec des arguments par ailleurs constants, de voir dans la dialectique la forme la plus achevée d'un « panlogisme » incapable de représenter la créativité de l'agir et la multiplicité qualitative de l’être. Si l'on peut dire avec Philippe Caumières que Castoriadis a partagé avec Hegel et l'hégéliano-marxisme la thèse que la philosophie et la politique sont inséparables d'une visée de représentation et de transformation de la totalité, il faut cependant mesurer l’écart immense qui le sépare de la conception dialectique de la totalité et de ses médiations logiques internes, ce que l'on ne peut faire en persistant à voir en lui un dialecticien posthégélien. Le simple fait de maintenir un rapport à la totalité ne fait pas d'un auteur un dialecticien ; encore faut-il qu'il endosse des thèses substantielles de la dialectique, notamment celle d'une immanence d’une logique à l’être, ce qui n'est assurément pas le cas de Castoriadis. Il est plus juste de voir en lui un penseur de la complexité plutôt que de la dialectiqueFootnote 9.

D'une autre manière, Suzi Adams rapproche depuis plusieurs années Castoriadis de la phénoménologie, notamment en sa variante merleau-pontienne. Il est encore une fois indéniable que Merleau-Ponty a joué un rôle fondamental dans la genèse de la pensée de Castoriadis (Labelle, à paraître) et que l'on retrouve quelque chose comme une phénoménologie du monde vécu dans sa théorisation du « pour soi » vivantFootnote 10. Or, une telle interprétation phénoménologique de l’œuvre de Castoriadis ne rend pas compte de sa charge féroce contre Husserl et ses successeurs, y compris Merleau-Ponty, en qui il voit des rejetons de l’« égologisme » constitutif de la pensée occidentale, impropre à concevoir les conditions plurielles — ontologiques, anthropologiques, politiques, j'y reviendrai — de l'agir et de la pensée. Par ailleurs, une telle interprétation ne rend pas compte du fait que la théorie castoriadienne du monde vécu, à savoir que chaque être vivant crée un monde spécifique en fonction de ses propres structures transcendantalesFootnote 11, a moins été élaborée en référence à la phénoménologie merleau-pontienne qu'au contact du tournant cybernétique des sciences du vivant. C'est, en effet, en se tournant vers Henri Atlan, Francisco Varela ou Edgar Morin que Castoriadis conçoit les « mondes vécus » de l’être vivant, et donc, encore une fois, en partant des données des sciences de la nature. Castoriadis ne repart pas de la tradition phénoménologique dans ce cas. Pour faire de Castoriadis un phénoménologue, il faudrait qu'il ait en commun avec ce courant un certain nombre de traits philosophiques distinctifs de cette tradition comme une analyse de l'intentionnalité, une méthode épochale, une fondation de la science sur la certitude de l'existence subjective, etc. On serait bien en peine de retrouver de telles orientations chez lui, bien qu'il partageât avec la phénoménologie, et plus largement avec la tradition kantienne, l'idée selon laquelle la connaissance, et plus largement l'existence, sont inséparables d'une analyse de leurs conditions a priori. Mais ce dernier élément, à lui seul, ne saurait faire de Castoriadis un phénoménologue ou un « post-phénoménologue ».

Quelques commentateurs ont plutôt rapproché Castoriadis du constructivisme. L'un des premiers à le faire a été l'un de ses meilleurs critiques, je veux dire nul autre que Jürgen Habermas. Ce dernier avait bien vu qu'il y avait chez Castoriadis un recentrement de la pratique autour de « la source démiurgique du langage » (Habermas, Reference Habermas1988, p. 393). Si Habermas a mal compris le rapport qu’établissait Castoriadis entre la pratique et ses conditions imaginaires de possibilité, il avait néanmoins souligné que l'auteur de L'institution imaginaire de la société n’était pas tout à fait étranger au « linguistic turn » auquel les théories constructivistes participent. Récemment, Danilo Martuccelli a aussi souligné le rapport de Castoriadis aux conceptions constructivistes de l'ontologie sociale. Pour ce dernier, la théorie de l'institution imaginaire de la société, à l'instar du constructivisme social de Peter L. Berger et Thomas Luckmann, est une « socio-ontologie de la représentation ». Ces conceptions partagent la thèse selon laquelle il existe une « construction sociale de la réalité » découlant de significations sociales (ou de « représentations ») a priori (Martuccelli, Reference Martuccelli2019). Ces auteurs retrouvent ainsi une proposition exégétique qu'a faite Richard Sobel à l'occasion d'un compte rendu d'un livre de Nicolas Poirier sur Castoriadis, passée quelque peu inaperçue, et selon laquelle il avait élaboré un « constructivisme radical et intégral » (Sobel, Reference Sobel2005)Footnote 12.

Ces dernières interprétations de l’œuvre de Castoriadis ne portent toutefois pas sur sa méthode philosophique, mais plutôt sur la manière dont il conçoit les conditionnements socio-historiques de la pratique. L'interprétation que je propose est plus spécifique. Elle concerne la façon dont il fait de la philosophie, sa définition de la raison et de la vérité. Ceci souligné, je souhaite désormais expliquer en quoi l’élucidation castoriadienne est une opération méthodologique s'inscrivant dans la famille des constructivismes philosophiques. Pour mieux établir ce lien, il convient de revenir brièvement sur la notion même de constructivisme, tant ses appropriations et usages sont diversifiés.

On peut construire un idéal-type composé de quatre traits définitionnels :

  1. 1. Un héritage kantien commun. — Les épistémologies constructivistes, pour reprendre l'expression de Ian Hacking, logent toutes dans la « maison de Kant » (Hacking, Reference Hacking1999, p. 40–49). Elles héritent du criticisme kantien la thèse fondamentale selon laquelle la constitution de la phénoménalité dépend de la nature d'un sujet transcendantal dont il convient de faire la critique (au sens kantien du terme).

  2. 2. Une historicisation du sujet transcendantal. — Bien que le constructivisme soit une philosophie transcendantale, il n'adopte pas la perspective anhistorique du criticisme kantien originaire. Si les « figures de la conscience » ont été l'objet d'une problématisation historique dans l'histoire de l'idéalisme allemand, par exemple chez Hegel qui réinscrit le sujet de la science dans l'histoire du développement de l'Esprit, le constructivisme pousse à son terme une telle historicisation. Pour les constructivistes, la nature du sujet de la connaissance est principalement explicable en termes de causes environnementales, sociales ou de processus créateurs. C'est la raison pour laquelle, comme le souligne bien Razmig Keucheyan, le constructivisme procède systématiquement à une historicisation des catégories de la science et à leur dé-essentialisation (Keucheyan, Reference Keucheyan2008).

  3. 3. Une coconstruction de la subjectivité et de l'objectivité. — À la suite de Jean Piaget, le constructivisme considère que la construction de la réalité par le sujet dépend de ses interactions avec les caractéristiques d'une objectivité ultimement inconnaissable. Comme l’écrivait Piaget :

L'intelligence (et donc l'action de connaître) ne débute ainsi ni par la connaissance du moi ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction ; c'est en s'orientant simultanément vers les deux pôles de cette interaction qu'elle organise le monde en s'organisant elle-même (Piaget, cité dans Le Moigne, Reference Le Moigne2012, p. 67–90).

  • C'est une des raisons pour lesquelles le constructivisme est moins une analyse anhistorique du sujet de la connaissance qu'une étude des pratiques épistémiques et de leurs conditionnements environnementaux.

  • 4. Un intérêt pratique. — En lisant Hacking, Keucheyan fait opportunément remarquer que les épistémologies constructivistes sont très souvent finalisées ou motivées par des intérêts pratiques, voire politiques (Keucheyan, Reference Keucheyan2007, p. 68–69). Les constructivismes soutiennent que les catégories de la connaissance ont un caractère historique et qu'il est légitime de vouloir les changer. Cela explique que des théories critiques de la société ayant une valeur normative peuvent s'adosser à des épistémologies constructivistes, comme c'est le cas, par exemple, de la théorie butlerienne du genre (Baril, Reference Baril2007).

Si l'on met provisoirement de côté, j'y reviendrai, les critiques acerbes de Castoriadis contre les « épistémologies », les « théories de la connaissance » et, plus particulièrement, le « constructivisme », il est tout à fait remarquable que sa définition de l’élucidation, du « rendre compte et raison », du « logon didonai », que nous venons d'explorer dans le cas de la politique, de la psychanalyse, de l'histoire de la science et de l'ontologie, se moule point pour point dans une telle définition idéal-typique du constructivisme.

Tout comme le constructivisme, Castoriadis propose un retournement du rapport entre théorie et pratique où le rapport pratique à l'objet est le lieu où sont sans cesse ramenées les objectivations théoriques ou catégorielles. Si Castoriadis n'emploie guère le terme d’« interaction », comme c'est le cas par exemple dans le constructivisme d'un Piaget, il n'en reste pas moins que l'auteur des Domaines de l'homme pense l'activité scientifique, et plus généralement la raison, comme un « procès » où la subjectivité transforme son rapport à l'objet au contact de celui-ci. Dans Sujet et vérité dans le monde social-historique, Castoriadis va jusqu’à définir la vérité comme un mouvement de phénoménalisation, c'est-à-dire de transformation catégorielle au contact du phénomène :

Que peut-on dire, dès lors, sur la vérité comme caractéristique d'une pensée ? C'est précisément une caractéristique non pas d'un énoncé ou d'une pensée, mais d'un mouvement de pensée. C'est le mouvement incessant, ou l'effort incessant pour mettre en cause ce que nous avons appelé provisoirement à notre tour la phénoménalité de l'objet (Castoriadis, Reference Castoriadis2002, p. 314).

La vérité pour Castoriadis est en effet moins conçue comme adéquation que comme retour réflexif et créateur sur les déterminants quasi transcendantaux de l'expérience. De même, nous venons de voir que l’élucidation castoriadienne, tout comme le constructivisme, reste à l'intérieur des coordonnées postmétaphysiques et transcendantales du kantisme, bien qu'il historicise la subjectivité transcendantale en la rapportant à sa pratique élucidante. Enfin, on ne peut que souligner le fait que l’élucidation castoriadienne est, tant du point de vue de la trajectoire intellectuelle de Castoriadis que de sa définition stricto sensu, motivée par un intérêt pratique : l’élucidation ne vise pas la théorie pour la théorie, mais bien pour instituer l'autonomie et transformer le sujet.

Sans faire de Castoriadis un constructiviste, Sophie Klimis a récemment proposé une interprétation de l’élucidation castoriadienne voisine de celle que j'avance. Dans Le penser au travail. Castoriadis et le labyrinthe de la création humaine, elle s'est penchée sur la manière dont Castoriadis fait de la philosophie en prenant notamment pour objet l’élaboration de son concept ontologique d’« eidos social-historique ». Elle insiste alors sur le fait que « Castoriadis semble […] étendre à toute forme de connaissance le principe quantique d'une cocréation de l'observation par l'observateur et l'observé » et sur « la prise en compte de l'historicité de ce processus » (Klimis, Reference Klimis2020, p. 102–103), mais aussi sur le fait que la création catégorielle est une « création de vérité objective » (Klimis, Reference Klimis2020, p. 70), c'est-à-dire qu'elle est non seulement qualification idéelle de la phénoménalité, mais aussi création volontaire et réfléchie des a priori de l'expérience. Aussi rapproche-t-elle Castoriadis de Gilles Deleuze et Félix Guattari qui, dans Qu'est-ce que la philosophie ? écrivaient que « la philosophie est un constructivisme » (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari2005, p. 39). Pour Sophie Klimis, Castoriadis partage avec Deleuze et Guattari une définition postkantienne du « schème » comme « production d'images » : les trois auteurs voient selon elle dans la création de concepts, elle-même rendue possible par l'indépendance partielle de l'imagination productrice dans le sujet connaissant, un moment inéliminable de toute pratique gnoséologiqueFootnote 13.

3.2. Les conditions ontologiques, anthropologiques et politiques du quasi transcendantal

Il y a donc un « moment constructiviste » dans la pensée de Castoriadis. Ce moment concerne la manière dont il conçoit la pratique de la vérité, indissociable selon lui d'un « projet de théorie » et d'une dimension créatrice de la pensée posant ses déterminations aprioriques en vue de la vérité. C'est à l'intérieur de ce « moment constructiviste » qu'est située l'ontologie comme ensemble d'hypothèses/postulats sur la nature de l’être/étant par-delà sa phénoménalisation quasi transcendantale. Comme on l'a vu, l'ontologie chez Castoriadis n'est pas une spéculation précritique, mais plutôt une série de propositions acquises au contact d'une réflexion sur l'histoire des théories et qui servent, en retour, de « nouveaux points de départ » pour la pensée.

Si Castoriadis ne veut pas voir dans l’élucidation une forme de constructivisme, c'est parce qu'il pense que celui-ci reconduit le tort principal du criticisme kantien. Selon lui, le constructivisme n'est pas capable de penser les conditions ontologiques d'effectivité de sa catégorialité. Il ne permettrait pas de rendre compte du fait que « certaines conditions relatives à l'objet lui-même sont requises pour toute constitution du savoir le concernant » (Castoriadis, 1985-1987/Reference Castoriadis1999d, p. 532). Ainsi veut-il « en finir avec le constructivisme, les reflets et les tables rases » (Castoriadis, 1981-1983/Reference Castoriadis1999a, p. 509). Cette critique est caricaturale, car elle repose sur une identification hâtive du constructivisme avec une sorte d'idéalisme solipsiste, ce qui ne saurait être le cas, ne serait-ce qu'en raison de la place centrale que la notion d'interaction occupe dans ces épistémologies. L'interaction suppose, par définition, que le sujet interagisse avec autre chose que ses propres représentations et, bien plus encore, que ces dernières soient construites dans un rapport à une extériorité inéliminable, quand bien même celle-ci serait ultimement inconnaissable en raison de la constitution transcendantale de l'expérience. Quoi qu'il en soit de ce dernier point, Castoriadis pointe toutefois, à raison, une dérive possible du constructivisme (dérive avec laquelle il est fréquent de le confondre). En effet, si ce qui est n'est que ce qui apparaît, et que ce qui apparaît n'est que ce que l'on fait apparaître, alors le monde devient le lieu de la réalisation prométhéenne d'une rationalité technique autonomisée afin de satisfaire des intérêts instrumentaux. Après Heidegger et l’École de Francfort, c'est ce qu'a, par exemple, récemment formulé le philosophe Achille Mbembe, pour qui la « mâchoire transcendantale » produit le « monde de la nature fabriquée et de l’être fabricable », et a permis à la technologie de « s’ériger en destinée ontologique de l’être vivant » (Mbembe, Reference Mbembe2019, pp. 65 et 36). La critique du constructivisme serait de ce point de vue nécessaire afin de se prémunir, pour parler comme Michel Freitag, de la « violence de la méthode » (Freitag, Reference Freitag1983), ou, plus précisément, d'une forme de méthode abstraite qui méconnaîtrait son ancrage dans une totalité expressive et qui imposerait sa propre rationalité à des singularités sensibles advenant dans le développement de l’être à travers le temps. C'est ce que Castoriadis souligne avec Aristote lorsqu'il dit qu’à défaut de toute réflexion sur l'ancrage ontologique de la création de concepts, « l'art du charpentier pourrait s'investir dans les flûtes » (1985-1987/1999d, p. 532), c'est-à-dire que l'effectivité d'un concept serait indifférente à ce à quoi il est censé s'appliquer, ce qui est épistémologiquement absurde et éthiquement discutable.

De ce point de vue, je pense que tout l'intérêt de l’élucidation castoriadienne est de proposer une forme critique du constructivisme, c'est-à-dire une forme de pratique philosophique qui, dans le mouvement de sa propre création catégorielle, s'interroge, notamment sous la forme d'hypothèses ontologiques fortes, sur les conditions de sa propre création, mais aussi d'effectivité. Il s'agirait d'une forme de constructivisme situé ou enraciné qui, de ce fait, se prémunirait des excès des constructivismes radicaux, tout en conservant les acquis de la critique kantienne de la métaphysique et de la philosophie dogmatique.

Il est hors de la portée de cet article de recomposer l'ensemble des conditions ontologiques de la création de concepts selon Castoriadis. Toutefois, mentionnons qu'il identifie quatre couches ontologiques principales à partir desquelles une pratique créatrice de la raison est susceptible d'advenir et d’être effective, chacune d'entre elles étant acquise au sein d'une réflexion sur l’état des savoirs.

La première d'entre elles est relative à l'ontologie générale, entendue classiquement comme la réflexion sur les caractéristiques générales de l’être en tant qu’être. En repartant des crises des sciences modernes, des disciplines anthropologiques et de la biologie cybernétique, Castoriadis forme l'hypothèse/postulat selon laquelle l’être possède des propriétés « ensembliste-identitaires » universelles, c'est-à-dire des propriétés exprimables par l'ensemble des schèmes logico-mathématiques tels que le principe d'identité, d’équivalence ou du tiers-exclu. Toutefois, si toute création de forme ontologique « s’étaye » sur une telle « première strate naturelle », il ajoute qu'il existe aussi une irrégularité en profondeur, une certaine indétermination créatrice, qu'il cherche à conceptualiser par les notions de création ex nihilo et de magma, elles aussi considérées comme des caractéristiques universelles de l’être. Cette condition ontologique doit être posée, d'après lui, comme un postulat universel de toute pratique gnoséologique (Castoriadis, 1985/Reference Castoriadis1999e, pp. 9 et 15–17). Toute pratique épistémique, toute pratique élucidante, doit prendre en compte selon lui son enracinement paradoxal dans une certaine anarchie (an-arkhè) ontologique, dans une absence d'ordre et de fondement qui rend possible le surgissement de déterminations partielles. Étant une caractéristique universelle de l’être, une telle condition se retrouve aussi bien dans le sujet (moyennant notamment l'imagination) que dans l'objet (dès lors historicisé et engagé dans le flux indéterminé du temps). Avant de s'engager dans une analyse du social-historique, Castoriadis écrit :

Premièrement, « l’Être » n'est pas un système, n'est pas un système de systèmes, et n'est pas une « grande chaîne ». L’Être est Chaos, ou Abîme, ou le Sans-fond. Chaos à stratification non régulière : cela veut dire, comportant des organisations partielles, spécifiques, chaque fois aux diverses strates que nous découvrons (découvrons/construisons, découvrons/créons) dans l’Être (Castoriadis 1981-1984/Reference Castoriadis1999b, p. 272).

De la même manière, sa réflexion sur les méthodes et les ontologies du social et de l'histoire à partir des années 1960 l'amène à formuler la thèse selon laquelle il est nécessaire de « postuler un autre niveau d’être, le social-historique, l'imaginaire social en tant qu'instituant, champ de création de formes qui surgit dès qu'il existe une multiplicité d'humains ; mais inobservable dans ses origines puisque nous ne rencontrons jamais d’êtres humains que socialisés » (Castoriadis, Reference Castoriadis2002, p. 39). Cette hypothèse/postulat constitue l'une des racines principales à partir desquelles il faut comprendre toute création de concepts et toute pratique de la vérité. Concevant le social-historique comme émergence immotivée de significations imaginaires sociales, Castoriadis estime que toute visée de vérité a pour condition socio-historique de possibilité un sens, une affectivité et une finalité socialement déterminés (Castoriadis, Reference Castoriadis2002, p. 55 sq). La catégorie de temps et son effectivité épistémique, par exemple, sont indissociables selon lui d'une institution imaginaire du temps dont le « collectif anonyme » est l'origine, mais qui trouve aussi dans l'objectivité une condition d'effectivité (Castoriadis, 1975/Reference Castoriadis1999c, p. 301–310).

C'est la raison pour laquelle il voit dans la « rupture de la clôture », entendue comme mise en cause des conditionnements sociaux et imaginaires de l'expérience, une troisième racine de la pratique de création de concepts et de schèmes transcendantaux. Selon lui, une telle mise en cause est intimement liée à l'essor d'un projet politique d'autonomie, dont la démocratie est l'instanciation institutionnelle et la philosophie le versant théorique. Pour que la raison advienne comme capacité à se créer elle-même, à construire ses propres médiations et à se constituer réflexivement, il faut que

surgissent l'interrogation et la contestation portant sur les institutions existantes et les significations imaginaires sociales correspondantes : c'est la naissance de la philosophie comme interrogation illimitée et de la démocratie comme assomption par la collectivité de ses pouvoirs et de ses responsabilités (Castoriadis, Reference Castoriadis2002, p. 45).

On comprend que la construction de concepts est non seulement enracinée dans la totalité socio-historique (elle est conditionnée, ce qui ne veut pas dire déterminée, par une configuration imaginaire sociale particulière), mais que la prise de conscience du caractère créateur de la raison dépend à son tour d'une création socio-historique contingente : la démocratie et la philosophie.

Enfin, au contact de la biologie cybernétique et de la pratique clinique, Castoriadis voit dans l’être-psychique une dernière « racine » de toute création de concept et de toute visée de vérité. Faisant l'hypothèse indéterministe selon laquelle la psyché est caractérisée par un « imaginaire radical », c'est-à-dire par le surgissement immotivé d'images, d'affects et de percepts, Castoriadis se demande quelles sont les conditions métapsychologiques qui rendent possible l'investissement pour l'individu d'un « projet de vérité », et par conséquent la capacité à « élucider ». La pratique même de la vérité s'enracine pour Castoriadis dans une forme particulière de socialisation susceptible de créer un individu réflexif, ce qui n'est possible qu’à condition que la psyché satisfasse quatre conditions métapsychologiques : la « capacité de sublimer », « l'existence d'un quantum d’énergie psychique libre », « la labilité ou fluidité des investissements psychiques sublimés », « la capacité de mettre en question les objets jusqu'alors investis » (Castoriadis, Reference Castoriadis2002, p. 120).

On voit ici quel est le sens de cet « enracinement » de sa conception constructiviste du « projet de théorie ». D'un côté, il s'agit de penser l'autonomie de la raison comme capacité à prendre pour objet de son activité les médiations aprioriques de son expérience de l’être/étant. D'un autre côté, il veut penser, au contact des apories des concepts et catégories sur lesquels débouche l'activité de la raison, les conditions d'effectivité de la création conceptuelle moyennant la formulation d'hypothèses/postulats ontologiques. On retrouve ici le sens de cette « élucidation », qui « part » ou « va » aux principes au contact de l'expérience et qui trouve dans l’être/étant les conditions et les limites de son déploiement.

4. Conclusion

Les années 2000 ont vu émerger un courant philosophique que l'on désigne parfois comme « réalisme spéculatif ». Des auteurs tels que Quentin Meillassoux, Tristan Garcia ou Iain Hamilton Grant se sont donné comme objectif de renouer avec l'absolu par-delà ce qu'ils nomment le « cercle corrélationnel », c'est-à-dire le criticisme kantien. Or, comme l'a bien souligné Pierre-Alexandre Fradet, les « auteurs associés à ce mouvement ne s'assignent pas la tâche de dire comment on peut s'affranchir légitiment de ce cercle et atteindre au réel en soi » (Fradet, Reference Fradet2017, p. 232). Peut-être trouveraient-ils en Castoriadis une inspiration pour ce faire.

En partant d'une objection de Jean-Marc Ferry à Castoriadis, j'ai voulu montrer dans cet article que ce dernier propose une voie originale afin de renouer avec l'ontologie et, par conséquent, avec une description de l’être en soi par-delà sa phénoménalisation transcendantale. Cette voie originale, c'est l’élucidation, qui trouve ses origines dans une réflexion sur les rapports entre théorie et pratique dans l'agir révolutionnaire, ainsi que dans la pratique clinique. Cette méthode, malgré le fait qu'elle débouche sur des affirmations ontologiques réalistes, ne transgresse pas le régime critique de la philosophie depuis Kant. Bien au contraire, l'ontologie s'insère dans la pratique philosophique de Castoriadis, qui est une forme de constructivisme, à la fois comme hypothèse et postulat. J'ai voulu montrer que ces derniers ne sont pas une décision arbitraire, mais sont produits à l'intérieur d'une réflexion sur l’état actuel des savoirs sur la nature, la société, et les différentes « régions » de l’être/étant. À leur tour, ces hypothèses et postulats permettent de situer, ou d’« enraciner », la pratique de la vérité comme élucidation et comme création de concepts. D'où cette désignation de la méthode philosophique de Castoriadis comme un « constructivisme enraciné », qui me semble donner le change à des formes radicales de constructivisme ne posant pas la question des conditions ontologiques d'effectivité de la création catégorielle. D'où aussi l'orientation exégétique que je propose, selon laquelle l’élucidation castoriadienne opère une critique de la raison constructiviste, au sens de délimitation de ses conditions de possibilité.

En insistant sur la méthode philosophique constructiviste de Castoriadis plutôt que sur ses thèses et leur contenu, comme cela est souvent fait, on peut dès lors mesurer l'une de ses contributions majeures à l'histoire de la philosophie, laquelle me semble particulièrement féconde dans le contexte actuel d'un renouvellement de la question ontologique par les réalismes spéculatifs et dans celui d'une prise de conscience des excès possibles des constructivismes postkantiens. Il a voulu tenir ensemble, en prolongeant le primat marxien de la pratique sur la théorie selon un intérêt pour l’émancipation, l'exigence d'une pensée de l'absolu à l'intérieur des limites prescrites par la finitude kantienne, mais il a aussi situé cette dernière dans une totalité expressive et différenciée de l’être à laquelle elle participe et sans laquelle elle ne ferait, à l'instar de la blanche colombe de Kant, que « voler dans le vide ».

Footnotes

1 Cette critique est reconduite dans ses grandes lignes par Danilo Martucelli (Reference Martuccelli2002). Il faut relever que Philippe Caumière et Arnaud Tomès discutent très brièvement cette objection, sans toutefois mesurer son ampleur : alors que Jean-Marc Ferry pointe du doigt ce qui lui paraît être une sorte de décisionnisme ontologique dogmatique interdit dans un contexte postmétaphysique, Caumières et Tomès réduisent cette critique à la question beaucoup plus simple du conditionnement historique de la création, ce qui leur fait manquer le sens profond de l'objection de Ferry (cf. Caumières et Tomès, Reference Caumières and Tomès2011, p. 144–145).

2 « Marxisme et théorie révolutionnaire » a initialement été publié dans les numéros 36–40 de Socialisme ou barbarie (1964–1965), puis repris en 1975 comme première partie de L'institution imaginaire de la société.

3 On peut consulter à ce sujet les inédits publiés par Nicolas Poirier (cf. Castoriadis, Reference Castoriadis2009a). On peut aussi se référer, pour des explications supplémentaires, au commentaire qu'il leur a consacré (Poirier, Reference Poirier2011).

4 Sur la stratification chez Castoriadis dans son rapport à la physique, on peut lire Piqué (Reference Piqué, Tranchant and Vibert2021, p. 23–42).

5 Pour une élégante recomposition générale de la théorie castoriadienne de la stratification et de ses différentes composantes, on peut lire Poirier (Reference Poirier2004).

6 Cette enquête compose deux chapitres entiers de L'institution imaginaire de la société (cf. Castoriadis, 1975/Reference Castoriadis1999c, p. 171–326). Elle est aussi reconduite dans de nombreux textes tout au long de son œuvre (par exemple, Castoriadis, 1981-1984/Reference Castoriadis1999b et 1994/Reference Castoriadis2009b).

7 Pour une synthèse de ces derniers, on peut consulter Adams (Reference Adams2014).

8 Sur la critique de la dialectique chez Castoriadis, on peut lire Van Eynde (Reference Van Eynde, Bachofen, Poirier and Elbaz2008). L. Van Eynde propose une interprétation nuancée, qui maintient quelque chose de « dialectique » dans la pensée de Castoriadis tout en restituant la critique qu'il a faite de Hegel. Il m'a semblé préférable, au lieu de vouloir absolument maintenir le lien entre Hegel et Castoriadis, de voir en ce dernier un penseur de la complexité plutôt que de la dialectique. Je me permets de renvoyer à mon article dans Symposium (Tranchant, à paraître Reference Tranchant2022a).

9 C'est l'argument que je développe dans l'article cité à la note précédente.

10 Voir, entre autres, Adams (Reference Adams2009 et Reference Adams2008). Geneviève Gendreau a aussi proposé un rapprochement entre Castoriadis et l'herméneutique (voir Gendreau, Reference Gendreau2019). On peut dire avec Gendreau qu'il existe un moment herméneutique dans la pensée de Castoriadis, circonscrit à la question de la méthode propre aux sciences sociales et historiques. Toutefois, à un niveau plus général, la désignation de l'herméneutique comme méthode socio-historique repose plus fondamentalement sur une conception constructiviste de la pratique épistémique. Mon argument ne consiste pas à dire que la théorie de l'institution imaginaire de la société n'a rien à voir avec l'herméneutique, mais plutôt que l'opération interprétative et compréhensive est inséparable d'une création de concepts a priori, et donc, en ce sens, qu'il y a chez Castoriadis une sorte d'indexation logique de l'herméneutique à la construction épistémique.

11 Voir, entre autres, Castoriadis (Reference Castoriadis2000b).

12 Soulignons aussi que Frédéric Nef a donné en 2007 à l'Université Paris 8, à l'occasion du colloque Cornelius Castoriadis : réinventer l'autonomie, une conférence, malheureusement restée inédite, intitulée « L'ontologie sociale de Cornelius Castoriadis entre réalisme et constructivisme ».

13 Cf. Klimis (Reference Klimis2020, p. 117–118). Je discute en détail cet aspect de la lecture de Castoriadis par Sophie Klimis dans mon article à paraître dans les Cahiers Société (Tranchant, à paraître Reference Tranchant2022b). Sophie Klimis apporte des précisions à son propos en réponse à mes observations (Klimis, Reference Klimisà paraître).

References

Références bibliographiques

Adams, S. (2008). Towards a post-phenomenology of life: Castoriadis’ naturphilosophie. Cosmos and History: The Journal of Natural and Social Philosophy, 4(1–2), 387400.Google Scholar
Adams, S. (2009). Dimensions of the world: Castoriadis’ homage to Merleau-Ponty. Chiasmi International, 11, 111–29.CrossRefGoogle Scholar
Adams, S. (dir.) (2014). Cornelius Castoriadis: Key concepts. Bloomsbury.Google Scholar
Baril, A. (2007). De la construction du genre à la construction du sexe : les thèses féministes postmodernes dans l’œuvre de Judith Butler. Recherches féministes, 20(2), 6190.CrossRefGoogle Scholar
Castoriadis, C. (1973). Présentation. Dans La société bureaucratique. 1. Les rapports de production en Russie (p. 131138). Union générale d’éditions. (Première publication 1949)Google Scholar
Castoriadis, C. (1998a). Épilégomènes à une théorie de l’âme que l'on a pu présenter comme science. Dans Les carrefours du labyrinthe (p. 3380). Seuil. (Première publication 1968)Google Scholar
Castoriadis, C. (1998b). La psychanalyse, projet et élucidation. Dans Les carrefours du labyrinthe (p. 81160). Seuil. (Première publication 1977)Google Scholar
Castoriadis, C. (1998c). Science moderne et interrogation philosophique. Dans Les carrefours du labyrinthe (p. 191288). Seuil. (Rédaction 1970–1973)Google Scholar
Castoriadis, C. (1999a). La logique des magmas et la question de l'autonomie. Dans Les carrefours du labyrinthe. 2. Domaines de l'homme (p. 481523). Seuil. (Rédaction 1981–1983)Google Scholar
Castoriadis, C. (1999b). L'imaginaire : la création dans le domaine social-historique. Dans Les carrefours du labyrinthe. 2. Domaines de l'homme (p. 272298). Seuil. (Rédaction 1981–1984)Google Scholar
Castoriadis, C. (1999c). L'institution imaginaire de la société. Seuil. (Première publication 1975)Google Scholar
Castoriadis, C. (1999d). Portée ontologique de l'histoire de la science. Dans Les carrefours du labyrinthe. 2. Domaines de l'homme (p. 524570). Seuil. (Rédaction 1985–1987)Google Scholar
Castoriadis, C. (1999e). Préface. Dans Les carrefours du labyrinthe. 2. Domaines de l'homme (p. 720). Seuil. (Première publication 1985)Google Scholar
Castoriadis, C. (2000a). La « fin de la philosophie » ? Dans Les carrefours du labyrinthe. 3. Le monde morcelé (p. 281306). Seuil. (Rédaction 1986–1989)Google Scholar
Castoriadis, C. (2000b). L’état du sujet aujourd'hui. Dans Les carrefours du labyrinthe. 3. Le monde morcelé (p. 233280). Seuil. (Première publication 1986)Google Scholar
Castoriadis, C. (2002). La création humaine I. Sujet et vérité dans le monde social-historique. Séminaires 1986–1987. Seuil.Google Scholar
Castoriadis, C. (2004). La création humaine II. Ce qui fait la Grèce, 1 : D'Homère à Héraclite. Séminaires 1982–1983. Seuil.Google Scholar
Castoriadis, C. (2009a). Histoire et création : textes philosophiques inédits, 1945–1967. Seuil.Google Scholar
Castoriadis, C. (2009b). Mode d’être et problèmes de connaissance du social-historique. Dans Les carrefours du labyrinthe. 6. Figures du pensable (p. 315332). Seuil. (Première publication 1994)Google Scholar
Caumières, Ph. (2008). Pour une praxis renouvelée. Dans Caumières, Ph., Klimis, S. et Van Eynde, L. (dir.). Cahiers Castoriadis, 4. Praxis et institution (p. 942). Facultés universitaires Saint-Louis.CrossRefGoogle Scholar
Caumières, Ph. et Tomès, A. (2011). Cornelius Castoriadis : réinventer la politique après Marx. Presses universitaires de France.Google Scholar
Deleuze, G. et Guattari, F. (2005). Qu'est-ce que la philosophie ? Minuit.Google Scholar
Ferry, J.-M. (1987). Habermas. L’éthique de la communication. Presses universitaires de France.CrossRefGoogle Scholar
Fradet, P.-A. (2017). Charles De Koninck et la pensée spéculative contemporaine (Meillassoux, Grant, Garcia, Bergson) : une étude comparative autour de la question du réel. Laval théologique et philosophique, 72(2), 227259.CrossRefGoogle Scholar
Freitag, M. (1983). Ontologie et sciences humaines (réflexions sur la violence de la méthode et le respect de la société). Cahiers de recherche sociologique, 1, 103127.CrossRefGoogle Scholar
Gendreau, G. (2019). La saisie du social-historique : création et méthode chez Castoriadis. Cahiers Société, 1, 125151.Google Scholar
Habermas, J. (1988). Le discours philosophique de la modernité : douze conférences. Gallimard.Google Scholar
Hacking, I. (1999). The social construction of what? Harvard University Press.Google Scholar
Honneth, A. (1989). Une sauvegarde ontologique de la révolution. Sur la théorie sociale de Cornelius Castoriadis. Dans Busino, G. (dir.), Autonomie et autotransformation de la société (p. 191208). Droz.Google Scholar
Kant, E. (2006). Critique de la raison pure. Flammarion.Google Scholar
Keucheyan, R. (2007). Le constructivisme : des origines à nos jours. Hermann.Google Scholar
Keucheyan, R. (2008). L'imagination constructiviste. L'année sociologique, 58(2), p. 409434.CrossRefGoogle Scholar
Klimis, S. (2020). Le penser en travail. Castoriadis et le labyrinthe de la création humaine. I. Polis. De la société capitaliste à la cité des Athéniens. Presses Universitaires de Paris Nanterre.Google Scholar
Klimis, S. (à paraître 2022). En réponse à la note critique de Thibault Tranchant. Cahiers Société, 3.Google Scholar
Labelle, G. (à paraître). Castoriadis, lecteur de Merleau-Ponty : « relation » ou « écart » ? Dans Piqué, N. (dir.), Castoriadis et ses contemporains. Garnier.Google Scholar
Le Moigne, J.-L. (2012). Les épistémologies constructivistes (p. 6790). Presses universitaires de France.CrossRefGoogle Scholar
Martuccelli, D. (2002). Cornelius Castoriadis : promesses et problèmes de la création. Cahiers internationaux de sociologie, 113(2), p. 285305.CrossRefGoogle Scholar
Martuccelli, D. (2019). Castoriadis et les trois voies de la socio-ontologie. Cahiers Société, 1, p. 6390.Google Scholar
Mbembe, A. (2019). Brutalisme. La Découverte.Google Scholar
Piqué, N. (2021). Discontinuité et rupture chez Castoriadis : le cercle de la création. Dans Tranchant, T. et Vibert, S. (dir.) Les carrefours du temps : temporalités et histoire dans l’œuvre de Cornelius Castoriadis (p. 2342). Presses de l'Université Laval.CrossRefGoogle Scholar
Poirier, N. (2004). Castoriadis : l'imaginaire radical. Presses Universitaires de France.Google Scholar
Poirier, N. (2011). L'ontologie politique de Castoriadis : création et institution. Payot.Google Scholar
Renault, E. (2019). La théorie de la science de la philosophie hégélienne de la nature. Dans Bloch, O. (dir.), Philosophies de la nature (p. 237246). Éditions de la Sorbonne.Google Scholar
Sobel, R. (2005). Pour un constructivisme radical et intégral : Cornélius Castoriadis. L'Homme & la société, 155, p. 195201.CrossRefGoogle Scholar
Tosel, A. (1999). Praxis. Dans Labica, G. et Bensussan, G. (dir.), Dictionnaire critique du marxisme (p. 908912). Presses universitaires de France.Google Scholar
Tranchant, T. (à paraître 2022a). Cosmologie et création ex nihilo chez Cornelius Castoriadis : de la critique de la dialectique à la pensée complexe ? Symposium : Canadian Journal of Continental Philosophy (Revue canadienne de philosophie continentale).Google Scholar
Tranchant, T. (à paraître 2022b). Note critique — Méthode et universalité chez Castoriadis. Cahiers Société, 3.Google Scholar
Van Eynde, L. (2008). Castoriadis et la dialectique (négative) de la raison. Dans Bachofen, B., Poirier, N. et Elbaz, S. (dir.), Cornelius Castoriadis : réinventer l'autonomie (p. 115130). Éditions du Sandre.Google Scholar