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C S  M Ontologie Achille C. Varzi Traduction de l’italien de Jean-Maurice Monnoyer Revue par homas Van der Hallen et Mathieu Mulcey Collection Science & Métaphysique Dirigée par Stéphane Dunand, Olivier Massin et Mathieu Mulcey Comité scientiique Jacques Bouveresse, Alain de Libera, Jean-Maurice Monnoyer et Kevin Mulligan Ontologia © Gius. Laterza & Figli, 2005 et 2008 (deuxième édition revue et corrigée par l’auteur) Publié avec l’accord de Gius. Laterza & Figli Spa Ouvrage publié avec le concours du Centre national du Livre Couverture : Patrick Lindsay ISBN 978-2-916120-11-9 Dépôt légal 1re édition : avril 2010 © Les Éditions d’Ithaque 2, rue de Tombouctou, 75018 Paris www.ithaque-editions.fr S Remerciements Introdution 7 9 1. Qu’est-ce que l’ontologie ? 13 14 14 25 28 31 34 35 37 2. Comment se pratique l’ontologie ? 41 42 42 46 49 49 50 52 56 3. Thèmes de recherche 3.1. Ontologie matérielle 3.1.1. Propriétés et relations a. Le réalisme b. Le nominalisme c. Le particularisme 61 62 62 64 68 75 1.1. 1.1.1. 1.1.2. 1.1.3. 1.1.4. 1.2. 1.2.i. 1.2.2. 2.1. 2.1.1. 2.1.2. 2.1.3. 2.2. 2.2.1. 2.2.2. 2.2.3. Ontologie et métaphysique La priorité de l’ontologie et ses limites La priorité de la métaphysique et ses limites héories concurrentes Analytiques et continentaux L’ontologie formelle L’ontologie formelle comme algèbre L’ontologie formelle comme logique L’analyse du langage et ses limites Vérité et existence Signiié et inférence L’impasse Autres approches Révéler et stipuler Prescrire et décrire Absolu et relatif 3.1.2. Autres thèmes de recherche a. Ations et événements b. Les colletions c. Nombres et entités mathématiques d. L’ontologie des sciences naturelles e. Les entités sociales f. Les œuvres d’art g. Personnages et autres entités itives h. Varia 3.2. Ontologie formelle 3.2.1. Un premier exemple : la méréologie a. Principes lexicaux b. Diférence méréologique c. Sommes méréologiques 3.2.2 Les autres thèmes à l’ordre du jour a. L’identité b. La dépendance ontologique c. Les relations topologiques 3.3. Autres thèmes discutés 3.3.1. Y a-t-il des entités indéterminées ? 3.3.2. Y a-t-il des entités contraditoires ? 77 78 82 87 92 96 100 104 111 115 115 116 119 124 129 130 135 140 143 143 148 Ce qu’on peut lire d’autre 151 Bibliographie 157 Remerciements Je tiens à témoigner ma grande reconnaissance envers Enrico Berti, Andrea Borghini, Andrea Bottani, Elena Casetta, Diego Marconi, Luca Morena, Massimo Mugnai, Enzo Rossi, Giuliano Torrengo, Alberto Voltolini et deux leteurs anonymes du Sito Web Italiano per la Filosoia (SWIF) pour leurs commentaires au sujet de la première version de mon travail. Parmi tous ceux qui m’ont encouragé et aidé de diférentes manière à aborder les questions traitées dans cet ouvrage, je tiens de plus à remercier Massimiliano Carrara, Roberto Casati, Franca D’Agostini, Michele Di Francesco, Maurizio Ferraris, Daniele Giaretta, Nicola Guarino, Kevin Mulligan, Francesco Orilia, Matteo Pericoli, Marco Santambrogio, Peter Simons, Matthew Slater, Barry Smith, Laure Vieu, Neil Williams ainsi que mes étudiants de l’université Columbia de New York, de l’université VitaSalute San Rafaele de Milan et de l’université de Bergame. Je tiens enin à reconnaître tout particulièrement ma dette envers Sidney Morgenbesser, mon collègue et irremplaçable ami, à la mémoire de qui ce livre est dédié. I O   communément l’ontologie avec cette branche de la philosophie née de la question : « Qu’est-ce qui existe ? » Et on précise d’habitude que cette question admet deux types de réponse. La première est facile, pour ne pas dire banale ; on peut la résumer en un seul mot : « Tout. » Comme l’a écrit Quine [1948, p. 3], tout existe, étant admis qu’il n’y a aucun sens à parler d’« entités inexistantes » ; quiconque penserait autrement manifesterait, non pas tant un désaccord ontologique, que le fait d’avoir travesti le concept même d’existence. Il existe bien entendu des éléphants, alors qu’on dira que les licornes et les carrés ronds n’existent pas, mais cela ne signiie pas que les licornes et les carrés ronds soient des choses qui n’existent pas. Cela signiie simplement qu’il n’existe pas de choses de ce genre. Or, autant il serait contraditoire d’airmer que quelque chose n’exite pas, autant airmer justement que tout exite serait tautologique : l’assertion serait privée de contenu, et donc sans intérêt. Si nous demandons à un ami quel jour nous sommes, nous ne nous contentons pas de la réponse : « Aujourd’hui. » Si nous demandons à quelqu’un où nous nous trouvons, nous ne nous satisfaisons pas de la réponse : « Ici. » Ces réponses sont aussi corretes qu’inutiles. De la même manière, si nous demandons à un philosophe ce qui existe, nous ne pouvons nous contenter de la réponse : « Tout. » Même sur ce point, Quine a été fort précis : dire « tout » équivaut à ne rien dire. Quand, en philosophie, on se demande ce qui existe, on vise plutôt à fournir une caratérisation détaillée de ce même tout, ce qui revient à distinguer 10 O quelles entités en font partie, ou au moins quels types d’entités s’y trouvent. On vise autrement dit à dresser ce que Broad [1923, p. 242] appelait un « inventaire complet » de ce même tout. Et cela nous conduit à la seconde sorte de réponse, en vertu de laquelle des philosophes d’orientations diférentes peuvent manifester – et ont efetivement manifesté – des opinions franchement divergentes. Pour un philosophe nominaliste, par exemple, le tout ne devra inclure que des entités concrètes, localisées dans le temps et dans l’espace, tandis qu’un platonicien voudra y inclure également des entités abstraites, comme les propriétés et les propositions. Un philosophe pluraliste pensera au tout comme à une struture stratiiée en divers « niveaux de réalité » (les personnes et leurs corps, les tables et les particules subatomiques qui les constituent) ; un moniste ne reconnaîtra que l’existence d’entités en quelque façon paritaires (il ne reconnaîtra que les particules subatomiques par exemple), s’employant à réduire toute assertion sur le monde à une assertion qui porterait sur ces entités. Que tout existe n’entre pas en discussion : exister ne signiie rien d’autre et ni plus ni moins que faire partie du tout. Qu’est-ce que nous entendons par « tout » – quelles choses doivent être incluses dans « un inventaire complet » ? –, voilà qui reste à établir. Dans ce qui suit, nous chercherons à illustrer un peu mieux les ramiications de ce genre de considérations autour desquelles tourne une grande partie de la discussion philosophique atuellement consacrée à l’ontologie. En particulier, dans la première partie (chapitres 1 et 2), nous nous concentrerons sur deux ordres de question, c’est-à-dire (a) savoir si l’ontologie se réduit vraiment à l’interrogation « Qu’est-ce qui existe ? », et (b) quels sont les instruments qui permettent d’y répondre (plus d’autres qui rentrent dans le cadre de l’enquête ontologique). Aussi bien (a) que (b) sont principalement des questions de caratère métaphilosophique : elles ne font qu’un avec le problème de la démarcation du champ d’intérêt de l’ontologie par rapport à celui de la métaphysique, prise au sens large. Dans la deuxième partie du texte (chapitre 3), nous chercherons à fournir un cadre pour ces I 11 problèmes concrets dont s’occupent les ontologistes dans l’exercice de leur profession, nous demandant quelles sont les visions de fond et les méthodologies auxquelles ils se réfèrent. Le cadre sera très approximatif, mais il permettra au moins d’identiier certaines des lignes de recherche les plus suivies de nos jours. Du reste, cela ixe aussi les limites de mon entreprise : autant dans la dernière partie que dans les chapitres qui la précèdent, je me bornerai à fournir un panorama de l’atualité de la discipline. L’histoire de l’ontologie mériterait un traitement séparé, et elle ne se verra considérée ici que de façon secondaire. Chapitre I Q’-  ’  C  donc par le premier point. La question : « Qu’est-ce qui existe ? » épuise-t-elle le domaine intéressant l’ontologie ? S’il en était ainsi, l’ontologie pourrait se considérer comme un chapitre préliminaire de la métaphysique, entendue comme l’étude de la nature ultime des choses : la première se préoccuperait d’établir quelles choses sont ; la seconde, d’établir ce que c’et, ce que sont ces choses qui sont. Toutefois, on pourrait penser, à la suite de traditions philosophiques qui sont loin d’être marginales, que l’objet de l’ontologie est d’une tout autre nature, et qu’il ne s’épuise pas dans la tâche de rédiger un inventaire complet de l’univers ; de même qu’on pourrait penser que la métaphysique ait d’autres devoirs que ceux d’étudier la nature ultime des choses. Il y a, en outre, une ambiguïté de fond dans le terme « ontologie » que, suivant Husserl [1900-1901], nous pourrions identiier dans l’opposition existant entre « ontologie formelle » – qui s’occupe des étants en général (de « l’être en tant qu’être » au sens d’Aristote) – et « ontologie matérielle », laquelle se réfère à des aspets et à des seteurs spéciiques de la réalité ou à leur représentation dans des théories déterminées. C’est dans ce second sens qu’on parle aujourd’hui d’« ontologies » au pluriel, en faisant allusion à l’ontologie de la physique, à l’ontologie des mathématiques, mais aussi depuis quelques années à l’ontologie du sens commun. Même en supposant qu’un philosophe doive s’intéresser à tous les seteurs et aspets de la réalité, il n’en reste pas moins que la question : « Qu’est-ce qui existe ? », semble dans le meilleur 14 O des cas ne capturer que la seule dimension matérielle de l’ontologie, avec le risque de transformer cette dernière en une théorie générale de l’univers dans lequel il se trouve que nous vivons (sur le même plan donc que la physique, bien qu’ayant une portée plus large). La dimension formelle de l’ontologie – dans la mesure où elle tend à identiier les principes et strutures ultimes d’après lesquels l’univers est nécessairement organisé, ou mieux les strutures et principes ultimes d’après lesquels est organisé un univers possible quel qu’il soit – constitue atuellement un champ de recherches très fécond. Tentons d’approfondir cela. 1.1. Ontologie et métaphysique Je soutiens personnellement que l’idée selon laquelle l’ontologie forme une sorte de chapitre préliminaire de la métaphysique n’est pas une idée fausse. C’est en efet en ces termes que nombre de philosophes, surtout d’orientation analytique, l’entendent : la première nous dit si certaines entités existent, la seconde en spéciie la nature. Il y a toutefois au moins deux ordres d’objections à cette idée, dont l’examen peut servir à mieux clariier, autant cette idée même, que la portée des points de vue divergents ou complémentaires avancés à son encontre, y compris récemment. 1.1.1. La priorité de l’ontologie et ses limites La première objetion est simplement qu’il n’est pas clair de savoir en quel sens il revient au philosophe de statuer sur le point de dire quelles entités existent réellement. Peter Hacker [1982], par exemple, n’hésite pas à remettre en cause cette idée : au lieu de s’employer à rédiger des inventaires universels, les philosophes devraient se contenter de clariier la signiication des termes qui apparaissent dans les inventaires déjà dressés par les sciences spéciales ou dans les descriptions du monde présentes dans le discours du commun des mortels. Un physicien pourra dire que, ain d’expliquer certains phénomènes, il lui est nécessaire Q’-  ’  15 de supposer l’existence de certaines entités, même quand elles ne sont pas immédiatement observables, et que les choses en aillent ensuite de la sorte pourra être conirmé expérimentalement, comme dans le cas des quarks ou de la planète Pluton, ou inirmé comme dans le cas du phlogistique ou de la planète Vulcain. Mais, selon Hacker, la philosophie n’est pas une suprascience : il n’y a rigoureusement aucun moyen, au-delà de ceux qui sont disponibles dans les sciences spéciales, grâce auquel un philosophe pourrait s’arroger le droit de « postuler » ou bien de « nier » l’existence de quoi que ce soit. Si clariier la signiication d’un terme peut contribuer à spéciier la nature de l’entité à laquelle le terme s’applique, alors la métaphysique a un sens. Mais il n’y aurait aucun sens à penser qu’une telle clariication devrait être précédée par une enquête purement ontologique dans laquelle on se préoccuperait d’établir si les entités en question existent réellement. Du reste, l’idée même qu’une enquête de ce type puisse être philosophiquement intéressante serait douteuse : du point de vue ontologique, le fait qu’existent des éléphants et non des licornes est dépourvu de signiication. Il ne suirait pas de réclamer que les catégories ontologiquement signiicatives soient « suisamment larges » (comme le suggère, par exemple, Norton [1976]) : la classe des mammifères a une extension beaucoup plus large que celle des éléphants, mais le fait qu’il existe des mammifères sans trompe n’en reste pas moins privé d’un intérêt philosophique quelconque. La seconde objetion, attestée par les travaux récents de Bianchi et Bottani [2003a], est qu’il n’est pas évident de dire dans quelle mesure nous pourrions établir que certaines entités existent sans en donner en même temps une caratérisation précise, et donc sans afronter cette tâche qui, selon le point de vue en question, revient en fait à la métaphysique. Cela est manifeste dans le cas des sciences naturelles, où le dédoublement entre ce qui et et le qu’et-ce que c’et est impensable. En disant qu’il y a des quarks, le physicien nous dit aussi le genre de choses qu’ils sont, sinon son airmation existentielle serait incompréhensible. Découvrir une nouvelle espèce de rhododendron signiie trouver une plante qui