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Dossier
I. Les conditions du devenir philosophique

De Didot (an III) à Laboulaye (1879) : l’avènement philosophique de Montesquieu

From Didot (an III) to Laboulaye (1879): Montesquieu’s philosophical advent
Catherine Volpilhac-Auger

Résumés

À la fin du XVIIIe siècle, l’édition des œuvres de Montesquieu relève encore de la polémique, avec l’édition de 1759 (remarques « anonymes » de Luzac) puis celle de Didot (1795), qui prétend s’appuyer sur Helvétius, ou de l’hagiographie, avec l’édition Plassan (1796-1797). Le XIXe siècle développe une pratique commercialement utile, mais aussi intellectuellement intéressante, qui consiste à juxtaposer les notes critiques extraites de divers commentateurs : l’œuvre devient ainsi matière à débat, en un temps (après la Restauration) où Montesquieu revient en grâce, tandis que se multiplient les éditions qui ne peuvent guère se différencier que par cet apparat critique hétéroclite. Les Œuvres complètes dues à Laboulaye (1875-1879) marquent une véritable rupture : se conjuguent la formation juridique et les positions politiques de ce partisan d’une monarchie constitutionnelle, mais surtout le désir d’entrer dans la pensée de Montesquieu plutôt que de la critiquer superficiellement, pour mieux y introduire le lecteur. C’est à ces conditions que l’œuvre ainsi éditée peut devenir proprement philosophique.

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Texte intégral

  • 1 J’ai étudié ce phénomène dans le temps long : voir C. Volpilhac-Auger, Un auteur en quête d’éditeu (...)

1Qu’est-ce que l’édition des œuvres de Montesquieu à la fin du XVIIIe siècle ? Selon les points de vue, un effet de mode ou un effet d’aubaine, une affaire commerciale ou un monument hagiographique plutôt que philosophique1. Il faut en effet le temps long de l’histoire pour que l’œuvre se détache d’un contexte intellectuel et historique qui en biaise les perspectives : la Révolution a vu Montesquieu, trop peu révolutionnaire, s’effacer au profit de Rousseau avant de revenir en grâce sous le Directoire ; il profite ainsi d’une diffusion que rend possible la multiplication des presses, alors que plane encore le souvenir de celui qui est mort tout juste quarante ans plus tôt. Les dernières années du siècle sont encore un temps de célébration, sensible aussi bien dans l’édition du libraire Didot l’Aîné (1795) que dans celle de Plassan (1796-1797). Quelque quatre-vingts ans plus tard, avec l’édition Laboulaye en sept volumes (1876-1879), un pas a été franchi : la distance s’est creusée, qui permet un regard critique ou simplement détaché.

  • 2 Parmi les critiques, citons Voltaire, qui répète inlassablement les mêmes lazzi – parfois justes – (...)

2Suffit-il d’instaurer cet écart chronologique pour prétendre au statut d’édition philosophique ? On ne s’en tiendra pas à une telle naïveté ; remarquons qu’avec l’édition dite « Laboulaye », pour la première fois on désigne une édition de Montesquieu non plus par le nom de l’éditeur commercial (ou plutôt du libraire), ou publisher, en l’occurrence Garnier Frères, mais par celui qui en fut l’éditeur scientifique (editor) – rôle que voulut jouer Plassan, sans grande réussite. C’est ce rôle croissant de l’éditeur au sens moderne, ou de curateur du texte, que je chercherai à mettre en lumière, pour mieux cerner la spécificité de la dernière grande édition d’Œuvres complètes de Montesquieu au XIXe siècle : il appartient à Laboulaye d’avoir dégagé, du haut de son expérience politique, la portée philosophique d’une œuvre qui avait suscité surtout des critiques superficielles, qui se contentaient de contredire Montesquieu sans argumenter réellement2. Certes des analyses plus sérieuses étaient venues au jour, comme les Observations sur le XXIXe livre de L’Esprit des lois de Condorcet (1780, publiées en 1819) ; mais elles échappent justement au champ de l’édition pour pratiquer un véritable dialogue intellectuel avec Montesquieu, dont le projet d’ensemble est pris en compte. Quelles conditions faut-il réunir pour que ce dialogue s’engage entre un auteur et son éditeur – ou peut-être faudrait-il dire entre un éditeur et son auteur, celui qu’il a choisi entre tous ?

La fable de Didot l’Aîné

  • 3 C’est évidemment lui qui travaille aux Œuvres complètes d’Helvétius chez Didot.
  • 4 L. Lefebvre de La Roche, « Avertissement », dans Montesquieu, Œuvres complètes, Paris, Didot l’Aîn (...)
  • 5 C.-A. Helvétius, Lettre XIII, dans Montesquieu, Œuvres complètes, t. I, p. XVII, XVIII, XXII.
  • 6 Ibid., p. XXVI-XXVII.

3Le dialogue entre grands esprits semblait pourtant marquer l’entreprise en douze petits volumes (in-18) du libraire Didot l’Aîné, qui en 1795 s’annonce « avec des notes d’Helvétius ». Le curateur en est Lefebvre de La Roche, légataire de la bibliothèque et des manuscrits d’Helvétius dont il a publié les Œuvres complètes chez Didot en 17953 ; il proclame dans l’Avertissement qu’il faut « ramener la discussion sur les grands principes de L’Esprit des lois, sur lesquels l’opinion de quelques gens éclairés est encore flottante » ; il faut pour ce faire comparer les « idées philosophiques de deux hommes célèbres qui s’estimaient et qui n’avaient sûrement d’autre but, en écrivant, que le plus grand bonheur des hommes et la perfection des sociétés politiques »4. À l’appui de ce beau programme sont fournies deux lettres déjà publiées en 1789, l’une où Helvétius écrit à Montesquieu pour lui reprocher d’avoir trop « compos[é] avec le préjugé », trop respecté les prêtres, les robins, la noblesse, etc., au risque d’« éterniser des abus », et finit par récuser « les subtiles distinctions, sans cesse répétées, sur les différentes formes de gouvernement »5. Dans la seconde Helvétius présente à son ami Saurin la réaction de Montesquieu à cette vive critique ; il n’a cherché qu’à justifier les idées reçues, s’est perdu dans le « traité des fiefs » (livres XXX-XXXI, consacrés aux fondements historiques de la législation française), et reste dominé par « l’esprit de corps »6 : en un mot, il est un représentant de l’ordre ancien.

  • 7 Voir Correspondance générale d’Helvétius, D. Smith éd., Toronto, University of Toronto Press ; Oxf (...)
  • 8 S. Audidière, « Helvétius », Dictionnaire Montesquieu, 2013. En ligne : [http://dictionnaire-monte (...)

4Le caractère apocryphe de ces lettres ayant été démontré depuis longtemps7, je me contenterai de rappeler qu’elles visent à adapter à l’esprit de 1789 la pensée d’Helvétius – il fallait pour cela remettre en cause nombre de principes chez Montesquieu, à commencer par l’idée que la monarchie constitue un régime modéré, équilibré, qui convient parfaitement à la France comme à l’Angleterre ; pour cela il fallait aussi renier un aspect important de la pensée d’Helvétius, l’admiration pour l’Angleterre. Sophie Audidière montre que s’il critique Montesquieu, c’est plus pour l’approfondir que pour le réfuter, notamment pour définir la notion de despotisme et ne l’appliquer à la France qu’avec force réserves8.

  • 9 Note sur L’Esprit des lois, I, 2, t. I, p. 6.

5Qu’en est-il des notes vantées par la page de titre ? Koebner, qui a démontré la fraude, estime que certaines doivent être authentiques. Présentent-elles pour autant de l’intérêt ? Elles sont sommaires, souvent proches de l’annotation marginale, voire de la réaction d’humeur, et ne portent que sur les huit premiers livres de L’Esprit des lois. S’il n’est pas inutile de rappeler que « Hobbes vivoit au milieu des guerres civiles » pour aider à comprendre que les hommes cherchent « à se subjuguer les uns les autres »9, si l’on trouve ici ou là le rappel de l’orientation essentiellement morale de la pensée d’Helvétius, on ne relève guère d’éclaircissement majeur, comme en témoigne ce passage qui suit l’éloge des réductions jésuites au Paraguay :

  • 10 Ibid., IV, 6, p. 201. Pour une présentation plus détaillée, voir C. Volpilhac-Auger, Un auteur en (...)

Ceux qui voudront faire des institutions pareilles, établiront la communauté des biens de la République de Platon(1), ce respect qu’il demandoit pour les dieux(2), cette séparation d’avec les étrangers pour la conservation des mœurs, et la cité faisant le commerce, et non pas les citoyens(3) ; ils donneront nos arts sans notre luxe, et nos besoins sans nos desirs.
(1) Belle chimère !
(2) L’instruction seule doit l’inspirer.
(3) Où seront le zèle et l’attention continue de l’intérêt personnel ?10

Le pseudo-Helvétius, loin d’adopter une démarche qui éclaire celle de Montesquieu, oscille donc entre bavardage et radicalisation de ses propres principes.

  • 11 Le titre exact du second est « Analyse générale […] », mais l’adjectif est souvent omis. Ces deux (...)
  • 12 Voir l’édition qu’en a donnée Pierre Rétat, dans Montesquieu, OC, t. VIII, 2003, p. 1-15.
  • 13 C’est le cas de l’Analyse raisonnée de l’Esprit des lois, du président de Montesquieu, pour facili (...)

6Une innovation d’un tout autre ordre mérite néanmoins d’être remarquée, bien qu’elle soit apparemment mineure. Depuis la première édition des « Œuvres » de Montesquieu en 1758 s’était imposée une présentation bientôt devenue canonique : en tête l’Éloge de Montesquieu (qui tient lieu de la « vie de l’auteur » quasi obligatoire dans de telles éditions), suivi de l’« Analyse de L’Esprit des lois », tous deux dus à D’Alembert11. Le Discours de réception à l’Académie française ouvrait solennellement la marche de l’œuvre proprement dite, suivi de L’Esprit des lois – autrement dit, il fallait proclamer d’emblée le statut socio-littéraire de l’auteur, son allégeance à l’institution et la reconnaissance dont il bénéficie. L’édition Didot conserve les préliminaires de D’Alembert mais renvoie le Discours de réception parmi les œuvres académiques ; deux ans après la disparition des académies (1793), cela n’a rien d’étonnant, d’autant que ce Discours, si habile soit-il12, ne contenait guère de proposition remarquable. Mais c’est aussi renforcer le primat de l’œuvre jugée « majeure », donc imposer un principe implicite, mais évident, de hiérarchie, aux dépens de toute autre considération, générique ou chronologique. Quant à l’« Analyse de L’Esprit des lois », elle-même due à un philosophe, son objet est « d’en développer le plan, le caractère, et l’objet », afin de « bien faire saisir la méthode de l’auteur » ; elle répond, tout aussi implicitement, à la plupart des détracteurs de l’ouvrage, qui l’accusaient d’être confus et désordonné, et qui parfois proposaient un autre ordre, à leurs propres yeux beaucoup plus logique, voire naturel13 ; pour D’Alembert, il faut au contraire « développer » la pensée de Montesquieu pour mieux la suivre. L’idée survivra à toutes ces éditions ; mais Montesquieu attend toujours son éditeur.

La quête de Plassan

  • 14 Je mets sous le nom du seul Plassan une édition publiée également sous le nom de (Jean-Baptiste) B (...)

7Dès 1796 Didot est concurrencé par une entreprise beaucoup plus ambitieuse : Plassan publie des Œuvres complètes de Montesquieu en cinq luxueux volumes grand in-quarto qui ne laissent rien ignorer de son propre rôle, à la fois comme publisher14 et comme editor. Il introduit lui-même l’œuvre de celui en qui la pensée humaine semble avoir trouvé son point culminant ; ne reculant devant aucun superlatif, il accumule les manifestations d’admiration pour célébrer à la fois le législateur des nations et l’homme privé, à force d’anecdotes improbables qui tendent à présenter le philosophe sous son meilleur jour : celui d’un esprit libre de préjugés, mais resté simple, voire bonhomme. Mais le discours est creux, et l’enthousiasme tournerait à vide s’il ne se trouvait pas cependant quelques points solides.

8En 1787 avait été révélé un véritable trésor tenu sous clé au château de La Brède par le fils de Montesquieu, Jean-Baptiste de Secondat, les Pensées. Contre la volonté de celui-ci, plusieurs publications en avaient fait connaître des extraits ; se laissaient ainsi voir une pensée en action, une curiosité inlassable pour les sujets les plus divers, des jugements personnels et paradoxaux, des traits satiriques contre les contemporains… Plassan arrive à s’en procurer d’autres extraits, encore inédits, mais surtout il donne à l’ensemble un sens nouveau en le présentant selon un ordre thématique : alors que les publications précédentes en conservaient le désordre initial, ce qui renforçait l’impression de variété et en faisait le reflet d’un esprit vif, prêt à sauter d’un sujet à un autre, Plassan lui assigne une cohérence qui sert son dessein. Est ainsi fourni un « Portrait de Montesquieu par lui-même » propice à l’élaboration biographique, mais qui désigne aussi une aptitude à la réflexivité digne d’intérêt, tandis qu’une rubrique « De la religion » est destinée à montrer son esprit de tolérance ; la séquence « Des jésuites » se prête à une exploitation satirique dont cette édition offre d’autres exemples. Les Pensées ne sont donc plus seulement un objet de curiosité, mais apparaissent comme un élément majeur de compréhension de l’œuvre et de l’homme.

  • 15 Myrtille Méricam-Bourdet a découvert que des poèmes attribués à Montesquieu par Plassan, et entrés (...)

9Le volume des textes s’est assez remarquablement accru, Plassan s’étant donné beaucoup de mal pour découvrir des inédits dans les fonds bordelais ; il peut se vanter d’être le premier à publier les mémoires académiques du jeune Montesquieu, comme une Dissertation sur la politique des Romains dans la religion d’inspiration machiavélienne (1716), ou le Discours sur les motifs qui doivent nous encourager aux sciences qui attribue à la pensée cartésienne toute son efficace (1725). Le génie de Montesquieu était donc encore plus riche qu’on ne le croyait, surtout quand on y ajoute l’Essai d’observations sur l’histoire naturelle (1719-1721) : même la minutieuse description de dissections de grenouilles et de canards peut servir le grand dessein de l’éditeur, puisqu’elle illustre les talents scientifiques du grand homme et la multiplicité de ses intérêts, tout comme sa production poétique, qu’il renforce elle aussi15. Malgré les mérites indéniables de cette édition, pareil effet d’accumulation et la quasi-absence d’apparat critique sérieux (et même d’esprit critique) laissent l’impression que l’édition vaut plus par sa masse, ses illustrations et son papier que par les textes eux-mêmes. L’éditeur-philosophe de Montesquieu reste à venir.

Ils compilaient, compilaient, compilaient…

  • 16 Voir S. Ben Messaoud, « Les Observations de Crevier sur L’Esprit des lois [1764] », Studi francesi(...)

10Au fil du XIXe siècle, de nombreuses éditions d’œuvres de Montesquieu, faute de présenter de véritables nouveautés puisque les manuscrits du château de La Brède restent inaccessibles, s’enrichissent volontiers de remarques empruntées à Voltaire, Dupin, Helvétius (ou plutôt pseudo-Helvétius), voire à l’érudit Crevier, spécialiste de l’Antiquité16 – autant de contradicteurs qui s’attachent généralement à des détails : de ce fait, la matière se laisse facilement débiter en notes de bas de page.

  • 17 Montesquieu, Œuvres, Amsterdam et Leipzig, Arkstée et Merkus, selon la page de titre de la premièr (...)
  • 18 « L’auteur n’a point eu des idées distinctes de la nature des lois », est-il écrit à propos de L’E (...)
  • 19 J. Ehrard, Introduction générale, (« Un nouveau maillon à la chaîne des temps »), dans Montesquieu (...)

11On peut s’interroger sur cette démarche, qui s’enracine dans le XVIIIe siècle : dès 1759 un réfugié huguenot, Élie Luzac, avait publié en Hollande sous l’anonymat, avec un succès attesté par plusieurs rééditions, des œuvres de Montesquieu en six volumes in-douze17 ; il assortissait L’Esprit des lois de notes nombreuses, souvent sévères et péremptoires18. Selon Jean Ehrard, il faut y voir « l’esprit du temps [qui] ne favorise ni le principe d’autorité ni l’admiration aveugle » – autrement dit un sain esprit de discussion, les éditeurs montrant le louable souci de « donner au lecteur les moyens d'une approche critique »19 – autrement dit une démarche philosophique qui place l’œuvre au cœur d’un débat.

  • 20 Cette édition en petit format, donnée l’année qui suit la publication « autorisée » des Œuvres de (...)
  • 21 Les Observations sur L’Esprit des lois de Dupin (1757-1758) ne commencent guère à revenir au jour (...)

12Pour ma part je vois surtout chez l’éditeur-annotateur anonyme le souhait de faire de l’œuvre de Montesquieu le vecteur de ses propres convictions, exactement opposées à celles de Montesquieu, et de profiter ainsi de son nom ; il s’agit certes de lutter contre une admiration aveugle, mais en faveur d’une entreprise de démolition qui s’appuie sur un piratage légal20. L’idée d’une « approche critique » semble donc largement anachronique, l’éditeur (publisher) n’ayant guère de visée que commerciale, et l’éditeur (editor) que polémique. Quant au recours à des contradicteurs illustres, il doit être dissocié de ce cas ancien : il n’apparaît pas avant 1795, avec l’édition Didot, et ne s’étend qu’après 182021 ; cette pratique éditoriale ne saurait donc illustrer un idéal philosophique des Lumières, sauf à le retarder de plusieurs décennies.

13Le processus critique consiste alors à effacer l’éditeur pour faire place aux auteurs qui ont écrit sur Montesquieu, dans la lignée de ce que l’on a vu avec D’Alembert : leurs textes tiennent lieu de paratexte, à la fois hommages et critiques, commentaires introductifs ou conclusifs, qui valent autant par leur nombre que par l’éclat du nom de leur auteur, en un véritable dialogue de grands esprits dont les voix se multiplient. L’édition Dalibon en huit volumes de 1826-1827 donne le la avec sa seule page de titre :

  • 22 Œuvres de Montesquieu […], Paris, Dalibon, 1826-1827.

Œuvres de Montesquieu, avec éloges, analyses, commentaires, remarques, notes, réfutations, imitations, par MM. Destutt de Tracy, Villemain, Walckenaer, membres de l’Institut, d’Alembert, Helvétius, Voltaire, Dupin, Échasseriau, Langlet, le cardinal de Boisgelin, Condorcet, Marmontel, Cartaud de La Villatte, Grosley, Filangieri, Beccaria, le comte de Saint-Roman, Mme Geoffrin, Léonard, Colardeau, Suard.22

  • 23 Lequel s’était déjà félicité en son temps de l’intervention de Bertolini, auteur d’une Analyse rai (...)
  • 24 Tous ne sont pas convoqués en tant que lecteurs de L’Esprit des lois : voir J.-N. Pascal, « Les po (...)
  • 25 Grosley, de Troyes, avait écrit à Montesquieu pour formuler de nombreuses critiques argumentées au (...)
  • 26 Sur le relatif déclin de l’influence de Montesquieu dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, voir (...)

14Trois membres de l’Institut, placés en tête de la cohorte, voilà qui honore grandement Montesquieu23. Peu importe la disparate, peu importe même s’il y a discordance entre tous ces textes : pareille polyphonie atteste d’une richesse interprétative tout à l’honneur de l’auteur ainsi surchargé24 ; mais si un Voltaire ou un Helvétius apportent ponctuellement la contradiction, ils risquent fort d’être noyés dans un pareil flot, tandis que les remarques d’un Grosley montrent aussi le grand homme capable d’écouter la critique25. Et les critiques les plus vives n’effacent pas le compliment, voire le dithyrambe26 ; mais au moins les voix les plus diverses se font entendre.

15Il reviendrait donc au début du XIXe siècle d’avoir sinon mis en œuvre le débat intellectuel autour de Montesquieu, du moins d’en avoir rassemblé les pièces et posé les principes, grâce à un éditeur sans compétence philologique ni philosophique, qui agit plutôt comme un pourvoyeur de textes rares, comme le sont ceux de Dupin ou de Boisgelin de Cucé. Mais faut-il voir là une tendance forte de l’histoire des idées et des textes, un moment privilégié dans l’histoire de l’édition de textes philosophiques ?

  • 27 Voir la liste établie par Jean Ehrard, avec la collaboration de Cecil Courtney : OC, t. I, p. XXXV (...)

16Il semble surtout qu’on a affaire à la réunion conjoncturelle de plusieurs facteurs d’ordre historique, voire matériel. L’expansion du livre a ouvert la voie depuis la fin du XVIIIe siècle à d’imposantes entreprises éditoriales qui consacrent les « grands auteurs » du Panthéon français, parmi lesquels Montesquieu s’insère tout naturellement, mais sans préférence particulière ; de 1816 à 1827, on voit paraître en moyenne une nouvelle édition d’Œuvres complètes de Montesquieu chaque année27 ; quand le marché est saturé, comment se différencier, sinon par l’ajout de pièces toujours plus nombreuses ? Le phénomène ressortit donc d’abord à une démarche commerciale, suscitée par la concurrence entre éditeurs.

  • 28 P. Rétat, « Introduction », dans Montesquieu, OC, t. VIII, 2003 ; texte accessible sur le site Mon (...)
  • 29 Loc. cit.

17Par ailleurs, ainsi que l’a fait remarquer Pierre Rétat, la date de 1816 qui voit après plusieurs années vides la première édition d’œuvres complètes de Montesquieu, avec l’édition Lefèvre, constitue un véritable « symbole politique »28, une fois la Restauration affermie. Le temps de Montesquieu est revenu. L’Académie française n’avait-elle pas proposé pour sujet du prix de 1816 l’éloge de Montesquieu, remporté par Abel Villemain ? L’image que celui-ci en donne est celle d’un « sage », garant de liberté et de réconciliation, ce que le secrétaire perpétuel, Suard, ne manque pas de rappeler : « la séance où cet éloge a été prononcé marque “une époque mémorable dans l’histoire littéraire”, non seulement par l’heureuse idée de substituer l’éloge des grands hommes aux lieux communs de morale, mais surtout par la sanction que Montesquieu s’y est trouvé apporter à la Charte »29. Si le libre examen est rendu possible par la confrontation d’opinions opposées, l’heure n’en est pas moins plutôt à la célébration qu’à la critique et au débat intellectuel.

Enfin Laboulaye vint

  • 30 C’était le cas pour Ravenel en 1834 (chez de Bure), ou de Lahure chez Hachette en 1856.
  • 31 Ayant consacré un chapitre entier à cette édition en 2011 (Un auteur en quête d’éditeurs, chap. X) (...)

18Les décennies suivantes voient paraître irrégulièrement d’autres Œuvres complètes de Montesquieu, avec des intervalles de dix voire vingt ans, sans que rien n'arrête l’attention jusqu’au dernier quart du siècle ; mais de 1875 à 1879 est publiée l’édition Garnier Frères dans la collection des « Chefs-d’œuvre de la littérature française » : Œuvres complètes de Montesquieu, avec les variantes des premières éditions, un choix des meilleurs commentaires et des notes nouvelles, par Édouard Laboulaye, en sept volumes in-octavo. Certes ce n’est pas la première fois que le nom du curateur de l’édition figure sur la page de titre30 ; mais le souci philologique est présenté d’emblée, et à l’effet d’accumulation est préféré le « choix », à la réitération des remarques empruntées aux critiques du XVIIIe siècle se substitue l’invention de « notes nouvelles » dues au seul éditeur. C’est tout un rôle qui se définit ainsi, servi il est vrai par une personnalité qui tranche avec la pâleur, voire l’inexistence des intervenants précédents31.

  • 32 Comme l’était aussi celui qui fut sans doute le plus grand éditeur de Montesquieu, Henri Barckhaus (...)
  • 33 Voir P.-H. Prélot, « Édouard Laboulaye au Parlement », Revue française d’histoire des idées politi (...)
  • 34 É. Laboulaye, Questions constitutionnelles, Paris, Charpentier et Cie, 1872. Voir S. Goyard-Fabre, (...)
  • 35 Voir P.-H. Prélot, « Édouard Laboulaye au Parlement », art. cité, p. 166-173.
  • 36 Voir F. Saint-Bonnet, « Les libertés chez Laboulaye : une architectonique », Revue française d’his (...)

19Laboulaye est comme Montesquieu un juriste32 ; fondateur de la « législation comparée » qu’il enseigne au Collège de France à partir de 1849, et dont il attribue l’origine à Montesquieu, membre de l’Institut depuis 1845, il a entrepris une carrière politique marquée par l’opposition à l’Empire ; après plusieurs échecs il devient enfin député de la Seine en 187133. Fervent partisan de la liberté religieuse, du respect constitutionnel de la liberté individuelle face à l’État, en mai 1871 il trace l’esquisse d’une « république constitutionnelle » caractérisée par un libéralisme fondé sur la modération et l’équilibre des pouvoirs, et qui doit beaucoup à l’exemple américain comme à la lecture de Montesquieu34 : son apport dans l’établissement des lois constitutionnelles de la IIIe République (1873-1875) est fondamental35. Quand il devient sénateur inamovible en décembre 1875, il a déjà consacré de longues années à l’édition qui commence alors à paraître, tout en se faisant l’apologiste de la liberté sous toutes ses formes : Montesquieu lui apparaît en cela comme le meilleur des garants36, même si le lieu de cette liberté dégagée du poids de l’histoire est à ses yeux le Nouveau Monde, analysé par Tocqueville.

  • 37 Œuvres complètes de Montesquieu, avec les variantes des premières éditions, un choix des meilleurs (...)

20L’Avertissement initial et l’introduction à L’Esprit des lois au tome III, qui couvre soixante-dix pages, le posent comme éditeur à la mesure de l’auteur : il envisage l’œuvre de Montesquieu comme un ensemble (on évitera de parler de « système », tant il récuse cette notion) dans lequel il faut entrer, dont on peut critiquer tel ou tel détail mais qu’il ne sert à rien de rejeter au nom de principes différents, comme l’ont fait Helvétius, Condorcet ou Destutt de Tracy. Aucune tendance à l’hagiographie : il reconnaît les erreurs factuelles de Montesquieu et admet que son style est parfois « énigmatique », ou plutôt affecté ; il juge historiquement dépassé le livre XXVII sur l’histoire du droit successoral chez les Romains, et sans intérêt ce qui touche à la liberté du commerce au livre XXI (un « sophisme »). Montesquieu a méconnu deux idées fondamentales, l’idée de progrès, apparue dès 1750, et l’idée de race, plus tardive ; son analyse des sociétés ne rend pas compte de leur dynamique, et il procède trop souvent par induction, ce qui incite l’éditeur à préciser chaque fois que s’il est question d’une aristocratie, d’une démocratie, d’une monarchie, c’est parce que Montesquieu pense à Venise, à Athènes, à la France de son temps – ce qui en restreint singulièrement la portée. Mais face à Rousseau et Helvétius, seuls auteurs du XVIIIe siècle que nomme Laboulaye, Montesquieu apparaît dans toute sa supériorité, révélée par le cours de l’histoire : « La Charte lui donne raison ; le régime constitutionnel est tout entier dans le fameux chapitre De la constitution d’Angleterre. La théorie des trois pouvoirs défraye pendant quinze ans la politique libérale »37.

  • 38 Sur les limites de cette filiation avec le libéralisme, soutenue par Thomas Pangle (Montesquieu’s (...)

21Faudrait-il camper sur des positions idéologiques aussi claires pour éditer Montesquieu ? Ne devrait-on s’y risquer qu’à condition d’éprouver une solidarité intellectuelle et politique avec ses théories, et qu’afin de prouver leur efficace38 ? Le cas de Laboulaye semble exceptionnel, dans la mesure où il allie ces opinions à des qualités intellectuelles indéniables. Lui-même place cette proximité entre auteur et éditeur sous le signe d’une affinité personnelle :

  • 39 Œuvres complètes de Montesquieu, op. cit., t. VII et dernier, 1879, Préface de l’éditeur (datée de (...)

Ce n’est pas sans regret que je vois finir un travail qui m’a occupé six années. Durant tout ce temps, il me semble que j’ai vécu dans la familiarité du président, dans l’intimité de ce grand esprit. Il m’a fait souvent oublier les petitesses de l’heure présente, en m’attachant par la largeur de ses vues, par la sérénité de ses idées. Puissé-je lui témoigner ma reconnaissance en lui conquérant de nouveaux lecteurs, c’est-à-dire des admirateurs et des amis !39

  • 40 Ibid., t. III, 1876, p. LXI. Les italiques sont de Laboulaye.

22Ce qui fait de Laboulaye un grand éditeur n’est sans doute pas cette continuité revendiquée, et même affichée, fût-elle sélective. L’identification avec les idées de Montesquieu, voire avec l’homme lui-même, n’en joue pas moins certainement un rôle dans la mesure où l’éditeur se fait l’interprète (en tous les sens du terme) de l’auteur – aussi Laboulaye peut-il constater que Condorcet, « tout entier à son credo, […] ne comprend ni ne parle la langue de Montesquieu »40. Lui-même, après six ans d’apprentissage, parle d’autant mieux le Montesquieu qu’il en possédait préalablement la grammaire ; encore fallait-il en faire une langue vivante.

23L’éditeur n’a donc plus à se poser en critique (Luzac, alias l’Anonyme), en adversaire (Condorcet, Destutt de Tracy), ou en arbitre impartial entre thuriféraires et censeurs (tous les autres), au risque de disparaître : en tant qu’interprète, il prête vie à un texte, non sans lui poser des questions ou en développer les conséquences ; c’est lui aussi qui en donne les clés au lecteur. Ainsi Laboulaye peut apparaître comme le premier véritable éditeur de Montesquieu.

  • 41 Les œuvres publiées par Laboulaye correspondent à moins du quart de l’édition en cours des Œuvres (...)
  • 42 On le constate avec les deux volumes d’Œuvres de Montesquieu publiés en 1949 et 1951 dans la « Bib (...)

24Ironie de l’histoire : dix ans plus tard, avec le bicentenaire de la naissance de Montesquieu en 1889, les archives de La Brède, que Laboulaye enrageait de ne pouvoir même entrouvrir, révèlent leurs trésors. Le corpus est multiplié par deux, il le sera davantage encore au cours du XXe et du XXIe siècle41. Mais son édition, devenue datée (elle l’était même déjà dès sa publication, tant elle reflétait les préoccupations de la toute jeune IIIe République) n’en ressort pas périmée, car une approche critique ne perd pas sa qualité intrinsèque pour autant42 : elle restera utile et utilisable jusqu’à ce que l’Université s’empare du sujet, dans la seconde moitié du XXe siècle, car elle fait de Montesquieu non plus un objet d’admiration ou un adversaire à combattre, non pas un sujet polémique, mais un sujet philosophique.

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Notes

1 J’ai étudié ce phénomène dans le temps long : voir C. Volpilhac-Auger, Un auteur en quête d’éditeurs ? Histoire éditoriale de l’œuvre de Montesquieu (1748-1964) (ci-après Un auteur en quête d’éditeurs), Lyon, ENS Éditions, 2011 (les pages qui suivent empruntent plusieurs analyses à cet ouvrage).

2 Parmi les critiques, citons Voltaire, qui répète inlassablement les mêmes lazzi – parfois justes – pendant près de trente ans, jusqu’au Commentaire sur L’Esprit des lois paru peu de mois avant sa mort (1778) ; le fermier général Claude Dupin, qui n’arriva jamais réellement à diffuser son ouvrage contre L’Esprit des lois ; ou encore son épouse, Louise Dupin, qui n’acheva jamais le sien malgré l’aide de son secrétaire Jean-Jacques Rousseau (voir Montesquieu, Correspondance, vol. III, dans id., Œuvres complètes [ci-après OC], Lyon, ENS Éditions ; Paris, Classiques Garnier, 2021, t. XX ; C. Volpilhac-Auger, « L’union sacrée. Rousseau, Dupin, Voltaire et quelques autres contre L’Esprit des lois », Revue française d’histoire des idées politiques, vol. LIV, no 2, 2021, p. 125-158).

3 C’est évidemment lui qui travaille aux Œuvres complètes d’Helvétius chez Didot.

4 L. Lefebvre de La Roche, « Avertissement », dans Montesquieu, Œuvres complètes, Paris, Didot l’Aîné, 1795, p. XIII.

5 C.-A. Helvétius, Lettre XIII, dans Montesquieu, Œuvres complètes, t. I, p. XVII, XVIII, XXII.

6 Ibid., p. XXVI-XXVII.

7 Voir Correspondance générale d’Helvétius, D. Smith éd., Toronto, University of Toronto Press ; Oxford, Voltaire Foundation, 2004, t. V, p. 84-90, qui récapitule l’historique de la démonstration, incontestable dès 1950-1951 (R. Koebner, « The authenticity of the Letters on the Esprit des lois attributed to Helvétius », Bulletin of the Institute of Historical Research, vol. XXIV, no 69, 1951, p. 41-42 ; F. Acomb, Anglophobia in France, 1763-1789, Durham [USA], Duke University Press, 1950, p. 124-128).

8 S. Audidière, « Helvétius », Dictionnaire Montesquieu, 2013. En ligne : [http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/article/1377721132/fr/] (consulté le 15 janvier 2022).

9 Note sur L’Esprit des lois, I, 2, t. I, p. 6.

10 Ibid., IV, 6, p. 201. Pour une présentation plus détaillée, voir C. Volpilhac-Auger, Un auteur en quête d’éditeurs, op. cit., p. 253-256.

11 Le titre exact du second est « Analyse générale […] », mais l’adjectif est souvent omis. Ces deux textes avaient été publiés pour la première fois au tome V de l’Encyclopédie en 1755, année de la mort du philosophe. Ils ont une fonction de célébration, mais permettent aussi de renforcer l’entreprise encyclopédique du grand nom de Montesquieu, en l’affiliant aux Philosophes. Voir L. Perret, « Éloges de Montesquieu par Jean-Baptiste de Secondat et D’Alembert », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 42, 2007, p. 95-106. En ligne : [https://journals.openedition.org/rde/3952] (consulté le 25 mai 2010).

12 Voir l’édition qu’en a donnée Pierre Rétat, dans Montesquieu, OC, t. VIII, 2003, p. 1-15.

13 C’est le cas de l’Analyse raisonnée de l’Esprit des lois, du président de Montesquieu, pour faciliter l'intelligence de plusieurs endroits de cet ouvrage d’Antoine Pecquet (Paris, Nyon, 1758) ; sur l’Analyse raisonnée de Stefano Bertolini (1771), voir ci-après.

14 Je mets sous le nom du seul Plassan une édition publiée également sous le nom de (Jean-Baptiste) Bernard, Régent et Grégoire ; ces trois libraires sont beaucoup moins connus et surtout ont joué un rôle beaucoup moins actif que Plassan, initiateur du projet, chercheur de manuscrits, auteur du paratexte et imprimeur.

15 Myrtille Méricam-Bourdet a découvert que des poèmes attribués à Montesquieu par Plassan, et entrés dans le corpus du seul fait qu’une édition ne peut se permettre d’être moins complète que les précédentes, n’ont rien à voir avec lui (« Montesquieu et le Mercure de France », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, no 74, « Actualité de Montesquieu », 2022, p. 165-179).

16 Voir S. Ben Messaoud, « Les Observations de Crevier sur L’Esprit des lois [1764] », Studi francesi, no 161 (année LIV, fasc. II), 2010, p. 221-231. En ligne : [https://journals.openedition.org/studifrancesi/6501] (consulté le 8 juin 2022).

17 Montesquieu, Œuvres, Amsterdam et Leipzig, Arkstée et Merkus, selon la page de titre de la première édition ; Françoise Weil a identifié les vignettes comme hollandaises (« Batailles d’éditeurs autour des œuvres de Montesquieu », Revue Montesquieu, no 4, 2000, p. 238-246). En ligne : [http://montesquieu.ens-lyon.fr/spip.php?article371] (consulté le 8 juin 2022). Voir C. Volpilhac-Auger, Un auteur en quête d’éditeurs, op. cit., p. 246-250.

18 « L’auteur n’a point eu des idées distinctes de la nature des lois », est-il écrit à propos de L’Esprit des lois, I, 3, p. 15 ; au début d’un ouvrage entièrement consacré aux lois, c’est fâcheux. « Pur galimatias » est-il dit à propos d’une phrase pourtant dépourvue de difficulté (« L’homme dans l’état de nature aurait plutôt la faculté de connaître qu’il n’aurait des connaissances », I, 2, p. 8).

19 J. Ehrard, Introduction générale, (« Un nouveau maillon à la chaîne des temps »), dans Montesquieu, OC, t. I, 2004, p. XVI. Texte repris sur le site Montesquieu. Bibliothèque & éditions, ENS de Lyon, 2019. En ligne : [http://montesquieu.huma-num.fr/] (consulté le 15 janvier 2022).

20 Cette édition en petit format, donnée l’année qui suit la publication « autorisée » des Œuvres de Montesquieu en trois beaux volumes in-quarto (1758), en pille la matière pour la revendre à bas prix : pratique commerciale autorisée par la liberté d’imprimer en pays étranger (l’édition porte un privilège « de S. M. le Roi de Pologne, électeur de Saxe », Auguste III, et est imprimée également à Lausanne chez Grasset).

21 Les Observations sur L’Esprit des lois de Dupin (1757-1758) ne commencent guère à revenir au jour qu’avec quelques extraits dans l’édition Dalibon de 1826-1827 (voir ci-après), et les remarques de Crevier ne nous semblent pas avoir été utilisées avant 1835 (édition de Louis Parrelle chez Lefèvre).

22 Œuvres de Montesquieu […], Paris, Dalibon, 1826-1827.

23 Lequel s’était déjà félicité en son temps de l’intervention de Bertolini, auteur d’une Analyse raisonnée de L’Esprit des lois publiée à Genève en 1771, qu’il lui avait envoyée avant publication : « Je suis bien glorieux de ce que M. l’Auditeur Bertolini a trouvé mon livre assez bon pour le rendre meilleur, et a goûté mes principes » (lettre de Montesquieu à Guasco, 26 décembre 1753 ; OC, t. XXI, à paraître). Certes, l’ouvrage de Bertolini consiste seulement en une paraphrase ponctuée de formules élogieuses, ou si l’on préfère une récriture très abrégée et simplifiée, mais elle n’en figure pas moins dans mainte édition à partir de 1798.

24 Tous ne sont pas convoqués en tant que lecteurs de L’Esprit des lois : voir J.-N. Pascal, « Les poètes et le Président : Colardeau et Léonard adaptateurs du Temple de Gnide », Revue Montesquieu, no 4, 2000, p. 71-88. En ligne : [http://montesquieu.ens-lyon.fr/IMG/pdf/RM04_Pascal_71-88.pdf] (consulté le 22 février 2022).

25 Grosley, de Troyes, avait écrit à Montesquieu pour formuler de nombreuses critiques argumentées auxquelles celui-ci répondit en détail (Lettre de Montesquieu à Grosley, 8 avril 1750 : OC, t. XX, 2021, p. 296) ; elles l’incitèrent même à introduire quelques corrections ponctuelles (surtout destinées à réaffirmer plus clairement sa pensée), et à insérer un nouveau chapitre sur l’esclavage (XV, 9). Sur ces échanges et leurs conséquences, voir OC, t. XX, Annexe 23, « La réponse à Grosley », p. 570-576.

26 Sur le relatif déclin de l’influence de Montesquieu dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, voir É. Carcassonne, Montesquieu et le problème de la constitution française au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1927, chap. VII (« La critique de la monarchie tempérée »).

27 Voir la liste établie par Jean Ehrard, avec la collaboration de Cecil Courtney : OC, t. I, p. XXXVI-XXXVIII.

28 P. Rétat, « Introduction », dans Montesquieu, OC, t. VIII, 2003 ; texte accessible sur le site Montesquieu (montesquieu.ens-lyon.fr), « Hommage à Pierre Rétat ». En ligne : [http://montesquieu.ens-lyon.fr/spip.php?article3305]. Les lignes qui suivent lui sont également empruntées.

29 Loc. cit.

30 C’était le cas pour Ravenel en 1834 (chez de Bure), ou de Lahure chez Hachette en 1856.

31 Ayant consacré un chapitre entier à cette édition en 2011 (Un auteur en quête d’éditeurs, chap. X), je n’en reprends que les éléments qui importent ici.

32 Comme l’était aussi celui qui fut sans doute le plus grand éditeur de Montesquieu, Henri Barckhausen, qui travailla à partir de 1890 à la publication des inédits de La Brède.

33 Voir P.-H. Prélot, « Édouard Laboulaye au Parlement », Revue française d’histoire des idées politiques, vol. XLVII, no 1, 2018, p. 163-202.

34 É. Laboulaye, Questions constitutionnelles, Paris, Charpentier et Cie, 1872. Voir S. Goyard-Fabre, « Édouard Laboulaye, légataire de Montesquieu : la “république constitutionnelle” », Dix-huitième siècle, no 21, 1989, « Montesquieu et la Révolution », p. 135-147. Le 28 février 1873, ajoute Larousse, « lors de la discussion sur la proposition de loi présentée par la Commission des Trente » destinée à donner une constitution à la France après la chute de l’Empire, « M. Laboulaye n’a point hésité à déclarer que la forme du gouvernement lui était indifférente, pourvu que le gouvernement ne soit pas despotique » – autre réponse digne d’un disciple de Montesquieu, auquel il se consacre pleinement durant les années suivantes (P. Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, 1873, t. X, p. 13).

35 Voir P.-H. Prélot, « Édouard Laboulaye au Parlement », art. cité, p. 166-173.

36 Voir F. Saint-Bonnet, « Les libertés chez Laboulaye : une architectonique », Revue française d’histoire des idées politiques, vol. XLVII, no 1, 2018, p. 141-162.

37 Œuvres complètes de Montesquieu, avec les variantes des premières éditions, un choix des meilleurs commentaires et des notes nouvelles, É. Laboulaye éd., t. I, 1875, p. II-III. Je ne traiterai pas de l’intérêt philologique de cette édition : en l’absence de tout appui provenant de la bibliographie matérielle (science alors encore à naître) et de l’histoire des textes, les considérations de cet ordre ne peuvent que rester embryonnaires ou non pertinentes, et il ne servirait à rien d’en relever les faiblesses. L’effort en la matière (inauguré par Louis Parrelle dans l’édition Lefèvre de 1826) n’en mérite pas moins d’être relevé.

38 Sur les limites de cette filiation avec le libéralisme, soutenue par Thomas Pangle (Montesquieu’s Philosophy of Liberalism: A Commentary on the Spirit of the Laws, Chicago, Chicago University Press, 1973), voir C. Spector, « Montesquieu était-il libéral ? », dans La Pensée libérale, G. Kevorkian éd., Paris, Ellipses, 2010, p. 57-71, et C. Larrère, « Montesquieu, critique de Law. Qui est l’ennemi du libéralisme ? », Cahiers d’économie politique, no 73, 2017/2, p. 13-30.

39 Œuvres complètes de Montesquieu, op. cit., t. VII et dernier, 1879, Préface de l’éditeur (datée de mars 1879), p. III.

40 Ibid., t. III, 1876, p. LXI. Les italiques sont de Laboulaye.

41 Les œuvres publiées par Laboulaye correspondent à moins du quart de l’édition en cours des Œuvres complètes.

42 On le constate avec les deux volumes d’Œuvres de Montesquieu publiés en 1949 et 1951 dans la « Bibliothèque de la Pléiade » : Roger Caillois est très loin d’égaler le sénateur-éditeur, et encore plus de renouveler la matière, malgré cette démultiplication de l’œuvre ; sa discrétion est exemplaire, son travail l’est moins (on en exceptera sa préface, au tome I ; voir C. Volpilhac-Auger, Un auteur en quête d’éditeurs, op. cit., chap. XIII).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Catherine Volpilhac-Auger, « De Didot (an III) à Laboulaye (1879) : l’avènement philosophique de Montesquieu »Astérion [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 18 août 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/asterion/7897 ; DOI : https://doi.org/10.4000/asterion.7897

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Auteur

Catherine Volpilhac-Auger

IHRIM, ENS de Lyon • Catherine Volpilhac-Auger est professeur émérite de littérature française moderne et contemporaine à l’ENS de Lyon. Elle dirige l’édition critique des Œuvres complètes de Montesquieu (22 volumes). En outre, ses travaux portent sur l’Antiquité au XVIIIe siècle, sur l’écriture de l’histoire au siècle des Lumières et sur l’histoire du livre. Elle a notamment publié : Un auteur en quête d’éditeurs ? Histoire éditoriale de l’œuvre de Montesquieu (1748-1964) (ENS Éditions, 2011), Montesquieu : une histoire de temps (ENS Éditions, 2017), Montesquieu (Gallimard, 2017).

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