De keuze Van Hippolyte

Tijdschrift Voor Filosofie 12 (1):3-58 (1950)
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Abstract

L'article qui précède fait suite à deux autres que nous avons publiés ici même l'an dernier¹. Nous résumons d'abord brièvemnet ceux-ci parce qu'ils fournissent à celui-là la perspective dans laquelle il convient de le lire. La valeur que peut avoir le roman pour le psychologue ne consiste pas uniquement dans la description de types psychologiques qu'il lui fournit, mais aussi et surtout en ce qu'il contribue à former et à enrichir son expérience personnelle. Expérience, non pas dans le sens technique et étroit de ce mot, mais dans sa signification originellement humaine: une aptitude à pénétrer autrui, à le comprendre du dedans, cœur. La rencontre d'autrui donne lieu à une triple connaissance: connaissance discursive, connaissance par Einfühlung d'une existence humaine concrète, rencontre dans l'autre du Dasein humain en général. C'est l'union de ces trois qui constitue la connaissance par le cœur, connaissance qui ne peut s'apprendre d'une manière théorique et ne s'acquiert que par l'exercice. Elle est à la base de toute compréhension psychologique réelle. Le roman de valeur, bien qu'il soit un produit de l'« imagination », transcende l'existence concrète dans la direction de l'être et par une sorte de recréation nous fait entrevoir les fondements et les destinées de l'homme qui sont le fond et le cadre de son existence concrète. Comment le roman s'y prend-il ? Par delà l'innerweltliche être-avec de Heidegger, qui nous fait saisir l'autre intentionnellement comme un objet dans le monde du souci, Binswanger a montré la transcendence possible vers un « über die Welt hinaus sein » selon le mode de la « Wirheit ». Seule cette relation avec l'autre, haussée au plan de l'intemporel, peut être, à travers la connaissance discursive, la base d'approche pour une connaissance psychologique fondamentale. Or cette relation le roman de valeur la rend possible, parce que tout en étant à la fois une création technique et un commerce sur le mode du jeu, il transcende cependant ces deux formes fondamentales de l'existence quotidienne, par le fait que l'« imagination » de l'auteur projette l'existence comme la concrétisation de l'être-homme comme-tel, ou, si l'on veut, du Dasein. Il est une « poétisation » qui rend possible la rencontre de l'autre sur la base commune du Dasein comme « über-die-Welt-hinaus-sein ». Malgré la non-existence du monde sur-réaliste que le roman évoque, ce monde n'est cependant pas irréel. Il représente l'élaboration concrète de la connaissance vécue que prend l'auteur des possibilités de la réalité humaine par la réalisation de ces possibilités mêmes. C'est précisément parce que les situations que le roman nous décrit ne sont pas celles que la vie nous donne d'éprouver, ne sont pas des photographies, qu'elles provoquent un recul et nous donnent accès à une connaissance plus pure de l'essentiel. Et l'auteur est grand, lorsqu'il réussit à évoquer dans son oeuvre un climat qui rendra possible au lecteur de communier avec lui et de pénétrer jusqu'au fond de la réalité humaine. Le roman devient alors une source importante de cette Daseinserkenntnis dont Binswanger nous parle. Sous ce rapport les romans de Dostojewski dépassent tous les autres. Ils sont véritablement une école de formation psychologique. Ses personnages sont autant d'incarnations du problème de la signification de l'existence. Problème que l'on ne trouve nulle part exprimé explicitement, mais que l'on sent toujours présent comme l'arrière-fond sur lequel se déroule le jeu des questions et des réponses. Par sa foi en la fécondité de l'amour désintéressé, Dostojewski nous met en contact avec la source ontologique de l'amour et de la haine, de la bonté et du péché. C'est à cause de cela que la lecture de ses romans peut, en raison de leur élévation même, devenir comme un tourment. Elle provoque chez le lecteur une sorte de crise où il se voit confronté avec cet être fondamental qui est pour chacun le sien propre. En un sens, l'homme dans les romans de Dostojewski est toujours le « vieil homme », l'homme qui est seul avec son angoisse et sa culpabilité, dans un monde où la mort se dresse devant lui, mais avec dans le cœur une nostalgie de rédemption et de paix, pleine d'espérance. Dans les personnages de Dostojewski c'est notre propre Dasein que nous découvrons, dépouillé de ses contingences spatio-temporelles. Et c'est précisément parce que cette découverte est impossible dans le déroulement fugace et toujours inachevé de la vie journalière, que le roman nous oiffre ici une image plus pure de l'existence, de ses possibilités et de ses fondements. Sous la conduite de Dostojewski l'homme se découvre soi-même à travers la crise existentielle comme une liberté authentique qui transcende son « être naturel » et sa « structure psychique », et par ailleurs il y fait l'expérience de son angoisse et de son vertige en face de sa propre ifinitude et de sa mort. Mais en toute crise il y a aussi l'attente d'une rédemption, la liberté de «homme nouveau», qui se réalise par le choix de l'acceptation et par là transcende le monde de l'angoisse et du souci vers l'intimité du « Heimat ». Nul n'a réussi comme Dostojewski à esquisser une image aussi claire de la réalité humaine, et c'est pour cette raison qu'il faut considérer son œuvre comme une contribution fondamentale à la connaissance psychologique et à la formation du psychologue. L'article publié dans ce numéro veut illustrer les considérations qui précèdent par le cas typique d'Hippolyte dans L'idiot. Alors qu'il veut vivre, l'homme doit mourir. Mais qui rentre en soi-même peut se demander si, dans le fond caché de nous-mêmes, le contraire n'est pas tout aussi vrai. C'est l'un des problèmes que Dostojewski n'a cessé de reprendre dans ses romans. Hippolyte, le jeune tuberculeux qui se voit tout près de la mort, en est une très importante élaboration. Ce jeune homme à l'intelligence pénétrante, mais aigri et humilié, nous offre l'image de l'homme désemparé devant l'irréductible conflit de la mort et de la vie. Il devra mourir bientôt, lui qui aurait voulu vivre « grand ». Il ne peut accepter cette mort insensée à laquelle le livre cette maladie qui lentement l'épuisé. C'est contre cette mort « naturelle » inévitable — le mur qui fait face à son lit de malade et les terribles scorpions qui hantent son rève — que s'insurge sa liberté. Il en vient à décider qu'il se donnera la mort lui-même, afin que sa mort soit au moins un acte libre. Mais auparavant il fait à ses amis la lecture de sa confession, « l'explication nécessaire », sous la devise: « Après moi le déluge ». Ce doit être l'expression de ses convictions dernières, la preuve de l'unique liberté que la nature lui concède encore. Mais quand il décharge son arme, il apparaît qu'il avait oublié d'y mettre la balle. Mais Hippolyte n'était pas seul. Le prince Myschkin, homme naïf à l'âme d'enfant, a deviné ses luttes intérieures dès leur première rencontre. Il a essayé de montrer à Hippolyte la voie de l'abandon comfiant où il pourrait se libérer de son orgueil et de son ressentiment. Mais Hippolyte n'a pas voulu s'engager dans cette voie. Il voulait garder la vie, et c'est pour cela qu'il mourut d'une mort en quelque sorte impropre et insensée. Ce choix d'Hippolyte, le choix de la révolte et du désespoir, ne s'offre pas à l'analyse ou à l'étude comme un problème scientifique. Il ne peut être approfondi que dans la rencontre avec une existence qui s'est choisie elle-même telle. C'est le mérite de Dostojewski de nous avoir montré dans la figure d'Hippolyte qu'un homme n'apprend à se connaitre soi-même ou à connaitre autrui qu'en faisant quelque chose, et de nous l'avoir montré avec un tel respect pour le secret de l'ultime destinée de l'homme

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