Justice Internationale Et Solidarité

Imaginons qu’une vaste bande de brigands décident d’aller s’installer sur quelque planête lointaine avec le butin de ses larçins. Supposons que lassés de leur vie aventureuse et pleins d’amitiés les uns pour les autres, il décident de vivre dans la justice et la paix et se dotent, pour cela, d’institutions conformes à la théorie rawlsienne de la justice comme équité. Si l’on pouvait oublier d’où ils viennent et ne jamais être en mesure de comparer leur sort à celui des Terriens qu’ils ont dépouillés, nous pourrions sans doute dire qu’ils forment désormais une société juste et stable. Mais supposons que quelque accident cosmique ait ramèné leur planète à proximité de celle de leurs anciennes victimes : pourrait-on continuer de qualifier de juste chacune des dotations de leurs membres, dès lors que nous garderions un oeil sur le sort présent des Terriens ? Supposons maintenant un monde formé de plusieurs sociétés politiquement indépendantes et dont il ne soit pas possible de connaître exactement quelle est l’origine de leurs dotations respectives, quoique le souvenir de brigandages ancestraux hante néanmoins la mémoire des uns et des autres. Pourrait-on se contenter de développer, pour chacune de ces sociétés, ce que Rawls appelle une théorie de la justice domestique ? Ne devrait-on pas s’interroger d’abord sur la justice de leurs dotations respectives ? Est-ce qu’une théorie cosmopolite ou mondiale de la justice ne devrait pas être le préalable obligé à l’élaboration de toute théorie domestique de la justice sociale ? C’est l’idée qu’on voudrait défendre ici en mettant moins l’accent sur les règles précises qu’une théorie de genre devrait renfermer que sur les intuitions morales qui devraient guider leur élaboration.