Abstract
Sartre, Lévi-Strauss et Bourdieu ont fortement structuré l’espace intellectuel des sciences humaines en France des années 1950 au milieu des années 1980. Malgré l’importance politique mais aussi philosophique du Deuxième sexe, malgré ses engagements et sa célébrité planétaire associée à celle de Sartre, la philosophie de Simone de Beauvoir reste, en revanche, le plus souvent cantonnée à un rôle interstitiel. Elle aurait posé les bases de sa pensée dans les marges de l’existentialisme et du structuralisme. Notre hypothèse prend le parti de renverser ce cadre herméneutique : on soutiendra ici que l’interprétation que Beauvoir fait du structuralisme de Lévi-Strauss dans Les Temps Modernes en 1949 est déterminante pour comprendre les relations entre la phénoménologie existentialiste et l’anthropologie structurale. Loin d’être secondaire, la question du féminin et de sa puissance de composition et de création apparaît dès lors rectrice des contributions de Sartre et de Lévi-Strauss à une théorie critique de la société, mais aussi celle de Bourdieu, dont toute l’oeuvre jusqu’à La Misère du monde hérite en sous-main du legs de Beauvoir à la pensée française contemporaine. Résumé par Sartre dans un passage de Questions de méthode consacré à Flaubert par la question « À quelle condition une féminisation de l’expérience est-elle possible? », l’enjeu du présent article est par conséquent de jeter les bases d’une archéologie féministe de la pensée française contemporaine.