De taalphilosophie volgens M. Merleau-ponty
Abstract
L'intellectualisme et l'empirisme fournissent du langage une explication qui manque pareillement l'essentiel : comprendre un sujet qui parle. L'un et l'autre tiennent la pensée hors du langage : l'empirisme en réduisant le langage à une chaine de stimuli, l'intellectualisme en faisant du langage un système conventionnel de signes destiné à traduire une pensée qui ne lui doit rien et qui, sans lui, est déjà pleinement elle-même. Or le fait premier qu'il faudrait saisir est justement la contamination réciproque de la pensée et du langage. Ce fait explique que déjà au niveau du mot les diverses langues ne se correspondent pas parfaitement. A fortiori cette correspondance fait-elle défaut au niveau de la phrase. La pensée tend vers la parole comme vers l'accomplissement d'elle-même. Et nous pouvons découvrir dans les mots que nous entendons ou lisons une pensée que nous ne soupçonnions pas. Pensée et parole sont inséparables : leur relation n'est pas celle du dedans au dehors. Ce lien n'est pas propre au comportement linguistique, mais il reçoit dans celui-ci une figure particulière. Le comportement gestuel le manifeste déjà, par exemple dans l'émotion : la compréhension d'un comportement étranger est liée à la réciprocité possible « de mes intentions et des gestes d'autrui, de mes gestes et des intentions lisibles dans la conduite d'autrui ». Mais lorsqu'il s'agit du langage cette réciprocité ne peut être vérifiée, semble-t-il, sur la présence d'un objet visé en commun. Toutefois la culture supplée ici la nature. La langue déjà constituée à laquelle je participe par ma naissance et par mon éducation définit un monde commun auquelle la nouvelle parole se réfère pour le transformer. Reste le mystère de la première parole, où toutes les difficultés se concentrent. En quoi la première parole peut-elle n'être pas un signe arbitraire ? En ce que, se saisissant de la réalité donnée, elle permet à l'homme d'en faire un monde selon lui même. La parole est ainsi « l'excès de notre existence sur l'être naturel ». La parole est fait et expression. Expression qui retombe sans cesse dans le fait, fait qui se dépasse sans cesse dans l'expression. Cette dualité qui est liée à l'être même de l'homme, interdit tout espoir d'un langage exhaustif, « où tout serait dit pour toujours ». Cette théorie du langage est entièrement fondée sur l'incarnation de l'homme. Elle a dans celle-ci sa source, son sens et sa justification. L'homme est un être qui est au monde pour révéler ce monde et lui-même par la transcendance constante qu'il exerce à son propre égard. Réalité lui-même, il a pourtant la charge de révéler toute réalité. Cela veut dire qu'il doit rendre manifeste le sens qui est inclus en toutes « choses » du fait qu'elles sont des « choses » offertes à la rencontre de l'homme