Abstract
Voici un ouvrage fort bien traduit dont la lecture attentive récompensera aussi bien ceux que l’éthique des Grecs passionne, ceux que le sort de la modernité inquiète et ceux que l’œuvre de Bernard Williams intéresse. Le philosophe britannique présente ici une série de conférences Sather prononcées à Berkeley en 1989 et traitant des conceptions éthiques des Grecs anciens à travers l’œuvre des poètes épiques et tragiques. L’auteur reprend dans cet ouvrage nombre de thèmes déjà présents dans ses travaux antérieurs; il radicalise à certains égards ses conceptions concernant les Grecs, la modernité et leur relation, et appuie ses interprétations sur une analyse minutieuse des textes classiques. L’érudition n’est cependant pas ici une fin en soi, car Williams n’entend pas faire œuvre de spécialiste des humanités grecquesmais plutôt défendre une thèse générale fréquente depuis Nietzsche, à savoir que, «par certains aspects, les idées éthiques fondamentales des Grecs étaient différentes des nôtres, mais [elles] étaient plus valables. Par d’autres côtés [...] nous nous référons aux mêmes conceptions, mais nous ignorons jusqu’à quel point nous le faisons». Si nos conceptions éthiques modernes sont ainsi plus proches de celles des Grecs que nous le soupçonnons, en revanche nous ne partageons plus nombre de leurs croyances, en particulier les conceptions surnaturelles apparaissant par exemple dans les tragédies. «Toutes ces propositions peuvent-elles être vraies ensemble?» : voilà le problème que se pose Williams et qu’il s’efforcera ici de résoudre. Cet ouvrage présente ainsi autre chose qu’une histoire des idées de honte et de nécessité; il ne constitue pas non plus un plaidoyer nostalgique pour un retour aux Grecs: la tension entre «les Grecs et nous» est constamment maintenue et exploitée pour proposer une interprétation éclairante des Grecs et une critique décapante de la modernité. Voyons tout d’abord cette interprétation, avant que de présenter quelques critiques.