Abstract

A considérer les choses subjectivement, il y a à l'origine de notre étude, une constatation irritante : l'insistance excessive mise dans les approches courantes du concept thomiste de l'intellect agent, sur la fonction dite d'abstraction de l'intellect, dont le rôle spécifique serait à comprendre de la manière la plus directe et la plus adéquate à partir de cette fonction établie comme centrale. Il se fait cependant que, dans les écrits de saint Thomas, on rencontre à plusieurs reprises une triade de définitions touchant la fonction propre de l'intellect agent, à savoir l'abstraction des espèces, la spiritualisation du contenu sensible et l'emploi des premiers intelligibles. De l'examen approfondi de ces trois moments et de leur rapport structurel, il résulte incontestablement que la fonction primaire de l'intellect agent ne doit pas fournir l'explication du caractère d'extension universelle du concept appliqué à l'essence ou au mode d'être des choses matérielles, mais de l'origine de l'intentionnalité fondamentale ou de l'intelligibilité primaire des contenus de connaissance intelligible, à savoir de l'intelligibilité de l'être. Cette intentionnalité fondamentale que peut déployer l'intellect possible doit être attribuée spécifiquement au fait que l'intellect agent revêt les formes de connaissance sensible, potentiellement intelligibles, d'une signification d'être, ce qui revient à dire qu'il introduit le contenu significatif du tout premier des „prima principia” dans les formes de connaissance sensible, qui sont ainsi formellement promues au rang de formes de connaissance intelligible: la réalité vers laquelle est dirigée la connaissance sensible, devient sur le champ „compréhensible” pour l'intellect possible, c'est-à-dire qu'elle peut être saisie comme étant. Cependant, comme le principe significatif de l'être ne remplit qu'un rôle instrumental et ne fonctionne dès lors que comme co-principe informant, l'intellect agent remplira à l'endroit de ces mêmes contenus de connaissance sensible cette activité informante qui résulte immédiatement de la détermination spirituelle propre de cet intellect et actualisera dès lors ces contenus de connaissance en contenus de connaissance spirituels. Rendus participant à la plénitude de l'être de l'intellect agent, les contenus de connaissance sensible sont également susceptibles d'être spécifiés comme contenus de connaissance intelligible, partant d'être imprégnés de signification d'être. Et c'est précisément cette incidence productive et informante du lumennaturale, qui est visée métaphoriquement par les termes „illuminare” ou „illustrare”. Dans la mesure où ce processus, ce moment pré-abstractif dans l'opération de l'intellect agent, est une procédure de spiritualisation, les contenus de connaissance sensible doivent ipso facto sacrifier les conditions matérielles, individualisantes auxquelles ils sont de nature soumis. A strictement parler, la dimension abstractive dans l'opération de l'intellect agent n'est rien de plus que le corrélat négatif de l'activité informante, productive de cet intellect. On ne saurait en aucun cas considérer l'activité de l'intellect agent comme cette activité par laquelle le contenu de connaissance sensible serait constitué, formellement et comme tel en une espèce intellectuelle. Elle ne peut répondre que de l'universalité des concepts d'essence des choses matérielles, en d'autres mots de la „forma universalitatis” et non de la „forma intelligibilitatis”. De plus, l'abstraction ne peut, bien moins encore, être conçue comme une sorte d'„extraction” d'une espèce préalablement présente, mais cachée dans le contenu de connaissance sensible, comme un „extrahere aliquid de occulto in manifestum”, une expression que saint Thomas emploie régulièrement sans doute, mais nulle part pour éclairer l'opération propre de l'intellect agent