Abstract
On ne peut penser le politique dans sa consistance propre sans dépasser de quelque manière la perspective abstraite de l'individu. Il faut s'élever à la vue d'une totalité qui ordonne en son sein les rapports des individus qui, livrés à leur spontanéité, tendent naturellement à s'approprier le propre d'autrui, à l'assujettir à leurs fins. Mais il y a aussi dans la volonté humaine une profondeur raisonnable qui lui permet de se vouloir dans le tout c'est-à-dire dans le respect de l'égale liberté d'autrui et de vouloir le tout lui-même par-delà la médiation instrumentale qu'il représente par rapport à la simple protection de l'individu. La loi de l'État limite les totalités individuelles, spontanément errantes et violentes, et par là rend possible leur cohabitation dans un monde commun. En effet, la loi qui limite l'usage anarchique de mes forces contraint également autrui et, de ce fait, me protège. Mais, avant Hegel, Rousseau exalte aussi l'intégration différenciée des individus, l'unité substantielle et réfléchie du corps politique. L'égoïsme éclairé de l'individu ne peut suffire à cimenter l'unité politique, il faut faire appel à un mobile éthique plus élevé, l'amour de la patrie qui, seul, peut susciter à la limite le mori pro patria.