Dans cette contribution, nous nous penchons sur la figure du bonheur paradoxal qui, dans les "Rêveries du promeneur solitaire" de Rousseau, se définit au sein d’un jeu de tensions multiples. Si le bonheur exige la solitude, il est toujours hanté par l’altérité ; si sa source est en soi-même, il ne cesse toutefois de dépendre de circonstances contingentes ; et si, enfin, il s’éprouve tout entier dans le sentiment, il s’agit pourtant d’un sentiment augmenté d’un caractère réfléchi ou, pour mieux (...) dire, redoublé dans le souvenir que retrace l’écriture. Dans tous les cas, ces antinomies du bonheur – sur lesquelles nous reviendrons longuement plus loin – s’enracinent dans une marqueterie de références dont l’hétérogénéité est l’expression d’un dialogue tendu au sein duquel, comme nous souhaiterions d’abord le montrer, la philosophie morale des Anciens se réinvente en adoptant le langage, éminemment moderne, du sentiment. (shrink)
À la toute fin de l’article « Épicuréisme ou Épicurisme » de l’Encyclopédie, après une adaptation très particulière de l’information qu’il a trouvée dans l’Historia Critica Philosophiae de Brucker, Diderot écrit une brève histoire de l’épicurisme moderne se concluant par cette phrase significative : « en quelque lieu & en quelque tems que ce soit, la secte épicurienne n’a jamais eu plus d’éclat qu’en France, & sur-tout pendant le siecle dernier. » Ma contribution prend prétexte cette affirmation pour essayer de (...) penser ce que signifie, pour Diderot, constituer une secte épicurienne aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il devient alors possible de clarifier ce que sont les modalités du rapport à l’histoire de la philosophie impliquées dans cette affirmation, et le sens que Diderot prête à la filiation et à l’héritages philosophiques. Penser l’épicurisme moderne devient une manière de contester le récit simplificateur d’une modernité qui ne se définirait que par la rupture avec le passé. (shrink)
Les interprétations habituelles de l’article «Éclectisme» de l’Encyclopédie mettent l’accent sur l’idée que Diderot y annonce le programme de la philosophie moderne, dont il se ferait par le fait même un illustre représentant et l’un des promoteurs. Dans cet article, j’essaie de compléter cette interprétation en montrant que l’article est également porteur d’une réflexion de premier plan sur l’histoire de la philosophie, sur les effets de continuité dans sa pratique et, conséquemment, sur ce qui est proprement constitutif du discours philosophique (...) lui-même, tant sur le plan méthodologique qu’en ce qui conc erne son positionnement politique. -/- The standard interpretation of Diderot’s article “Éclectisme” in the Encyclopédie emphasizes the idea that Diderot is setting out the program for modern philosophy, thereby making himself its illustrious representative and promoter. In thispaper, I complement this interpretation by showing that “Éclectisme” also contains an influential reflection on continuity in the history of philosophy and, consequently, on what constitutes philosophical discourse itself, both methodologically and politically. (shrink)
L’hypothèse de travail qui régit cette contribution est que les discussions sur les rapports entre théologie et philosophie forment un thème récurrent dans la réception de Malebranche depuis les premières lectures de La Recherche de la vérité, et que cela s’explique par la rupture qu’il provoque avec les horizons d’attente des philosophes et théologiens. Rupture qui tient largement à l’enchevêtrement singulier des registres discursifs que présente son argumentaire. C’est là, nous semble-t-il, l’intérêt indéniable de la lecture – plutôt négligée par (...) la critique contemporaine – que propose Fontenelle de La Recherche de la vérité que de mettre précisément en scène ce « malaise » qu’elle produit chez ses premiers lecteurs. Elle vise ainsi à poser le problème de la frontière entre philosophie et théologie, voire à chercher à circonscrire le territoire de la première afin de lui préserver son autonomie. (shrink)
Cet article vise à poser un certain nombre de jalons, délimitant quelques-uns des lieux théoriques autour desquels la question de l’imagination évolue tout au long du 18e siècle. De façon plus précise, il s’agit de dresser deux configurations conceptuelles – incarnées par Malebranche et Fontenelle – qui illustrent de manière exemplaire les déplacements qui affectent le concept d’imagination au croisement des 17e et 18e siècles, déplacements qui anticipent sur l’avenir de la notion, ou en constituent les conditions historiques de possibilité.
Il est notoire que dans l’histoire de l’esprit à la constitution de laquelle Fontenelle participe activement, Descartes occupe une place toute particulière, notamment en ce qui a trait à la fabrication du concept de modernité et de la philosophie qui y est associée. Pourtant, et c’est ce que nous nous proposons d’explorer ici, il faut encore prendre la mesure de ce qui, dans la philosophie cartésienne, correspond au sens propre à cette modernité et le départager de ce qui ne sert (...) qu’à tracer le portrait d’une figure exemplaire constitutive de l’écriture de l’histoire à l’âge classique. Ce que nous proposons, donc, c’est de distinguer trois registres discursifs faisant jouer au nom « Descartes » des fonctions différentes et attachées à des enjeux philosophiques hétérogènes, lesquels permettent de saisir les tensions à l’œuvre dans le traitement réservé à Descartes par Fontenelle. Le premier de ces registres concerne la figure historique de Descartes en tant que fondateur d’une manière de penser qui définirait la modernité elle-même ; le second porte sur la nature de cette fondation, qui est constamment rapportée par Fontenelle à la question de la méthode, alors même qu’il en détourne l’esprit ; le troisième, enfin, intéresse le contenu de la philosophie cartésienne et les raisons de l’attachement de Fontenelle à la théorie des tourbillons en dépit du progrès du newtonianisme chez ses contemporains. (shrink)
Dans cette contribution, je m’attarde à la manière dont l'intérêt de la philosophie des Lumières pour la métaphysique est rendu visible dans certaines entrées de l’Encyclopédie expressément mises sous les rubriques « Philosophie » et « Histoire de la philosophie », et plus particulièrement à l’une d’entre elles, à savoir l’entrée SCHOLASTIQUES, laquelle a l’intérêt de mettre sur la scène de l’histoire le drame du rapt de la métaphysique par la théologie. Autre manière de dire que le devenir « ontothéologique (...) » de la métaphysique, comme moment de l’histoire de l’esprit humain, est bel et bien l’histoire de rapports de forces politiques et institutionnelles dont la résolution n’est pas nécessairement conditionnée par un dévoilement progressif de la vérité. (shrink)
L’enjeu de cette édition : révéler qu’il y avait, dissimulée derrière ce corpus, une séquence de textes à laquelle on peut restituer une unité. Les conséquences de cette restitution sont des plus intéressantes. D’abord, on assiste à « un changement essentiel dans les données matérielles de la discussion [sur le droit de la guerre rousseauiste] : le corpus textuel à considérer est redéfini, et son statut requalifié » de manière à produire un « renouvellement interprétatif » (20). De fait, ce (...) qui semblait un point aveugle dans la pensée politique de Rousseau, la question de la guerre, trouverait désormais son lieu propre. Du même coup, une sorte d’énigme laissée en exergue du Contrat social et réitérée dans un endroit des Confessions et dans une lettre à Marc-Michel Rey se verrait résolue : le projet annoncé de la publication d’un ouvrage portant sur les relations externes des États, intitulé Principes du droit de la guerre, pour lequel aucun texte ne semblait disponible, arrive à terme avec cette édition. (shrink)
RÉSUMÉ : Cet article s’attache à un aspect fondamental de la philosophie matérialiste de Diderot, à savoir le fait que l’individualité psychologique ne peut pas correspondre à l’individu matériel que nous sommes parce que la mémoire sur laquelle elle repose est toujours en quelque sorte partielle. Que faire alors si cet individu matériel lui-même voit son existence mise en doute, du fait que, comme l’annonce le Rêve de d’Alembert, le seul individu, c’est le «tout»? En mettant en relation ces deux (...) démarches, nous montrons comment on peut élaborer une théorie de l’individu qui tienne compte du décalage entre l’individuation comme processus physique et de la constitution de l’individualité comme processus psychologique. -/- ABSTRACT: This paper is devoted to a fundamental aspect of Diderot’s materialist hilosophy: the fact that psychological identity does not exactly correspond with the material individuals we are because the memories on which psychological identity relies are always partial. This is complicated by the fact that even the material individual is denied reality since, as is stated in the Rêve de d’Alembert , the only individual is the «whole». By relating these two approaches, I try to show how one can develop a theory of the individual that takes into account the gap between individuation as a physical process and the constitution of a psychological individual. (shrink)
Étude de la réception de Fontenelle dans l'Encyclopédie qui démontre que celui-ci joue un rôle important à titre de figure tutélaire pour les encyclopédistes, à titre de penseur des progrès de l'esprit humain. -/- Study of Fontenelle's reception in the Encyclopédie, showing that he plays an important role as an authority for the encyclopedists, as a thinker of the progress of human mind.
Nous voudrions ici monter que la théorie diderotienne de l’identification pourrait avoir été développée d’abord dans le contexte de l’élaboration de la nouvelle dramaturgie que Diderot s’efforce de mettre en place vers la fin des années 1750, qu’on la voit ressurgir dans la réception du roman richardsonien au début des années 1760, et qu’enfin elle devient aussi un outil pour la critique picturale, et ce, de manière plus probante dans le Salon de 1763. Cela pourrait expliquer, par ailleurs, le fait (...) que Diderot poursuive au fil de ses écrits sur la peinture cette réflexion sur l’identification à autrui. Mais elle ne s’achève pas avec les Salons : dans ses Observations sur Hemsterhuis (1774), encore, Diderot revient sur ce terrain en invoquant un exemple qu’il a pris chez Smith, ce qui montre l’importance qu’a pris cette question pour lui. (shrink)
Il s'agit d'esquisser une analyse de la théorie de la conjecture développée dans les "Pensées sur l'interprétation de la nature" comme un cas de figure conférant un éclairage particulier sur les stratégies discursives déployées dans toute l'œuvre de Diderot. Dans un premier temps, il s'agira d'établir que la fonction de la conjecture est, à proprement parler, de mettre en mouvement la pensée du lecteur. Cette fonction s'exerce contre une attitude que Diderot execre, qui est celle du dogmatisme, où se profile (...) une vanité : celle de se croire l'unique détenteur d'une vérité définitive. Ainsi, on verra, dans un deuxième temps, que l'opération dynamisante de la conjecture repose sur une communauté de structure entre les sphères épistémologique et esthétique. Un des traits essentiels de la pensée de Diderot est cette idée qu'il y a une génialité à l'œuvre dans toutes les activités humaines, et que cette génialité est ce qui ouvre sans cesse des virtualités nouvelles. Enfin, il faudra faire le lien entre cette approche conjecturale et l'une des stratégies les plus accomplies chez Diderot, à savoir le dialogisme. (shrink)
«Les enfants voient ce que leurs mères voient»: The imaginationisme of Malebranche and its reception in the eighteenth century. Book II of Malebranche’s Research After the Truth is a philosophical “tour de force” as it merges together numerous philosophical problems that were discussed separately before him, thus changing the traditional way of treating questions concerning heredity, monstrosity, sympathy and so forth. The impact it had led to it being widely discussed during the XVIII century In this paper, the author traces (...) one aspect of the debates that Malebranche’s theory of imagination opened up, namely that concerning the transmission of marks from the pregnant woman’s imagination to to the fetus she bears in her womb. (shrink)
Dans cet article, nous nous intéressons à la façon particulière dont Diderot envisage le caractère productif de l'esprit en mettant en rapport certains aspects de son épistémologie et de son esthétique avec trois lieux théoriques hérités de ses prédécesseurs. D'abord, ce problème touche la question de l'invention en tant que méthode de construction du discours peu à peu assimilée à une méthode de découverte par Bacon et Descartes. Dans un second temps, il semble que Diderot, qui fait grand cas de (...) la conjecture, définisse avant tout la connaissance comme une anticipation, prolongeant ainsi ce retour de l'épicurisme dans la pensée moderne. Enfin, du point de vue esthétique, Diderot développe une conception du modèle idéal qui s'accorde avec une théorie nominaliste de l'abstraction comme production d'un instrument conceptuel. Ces trois facettes de la pensée de Diderot contribuent, à notre sens, à la formation d'une véritable théorie matérialiste de la connaissance.In this article, we try to give an account of the way Diderot treats the productive character of the mind, relating aspects of his epistemology and his aesthetics with three theoretical instances. Firstly, this question touches the problem of invention as a rhetorical method which becomes assimilated by Bacon and Descartes to a method leading to discovery. Secondly, Diderot, who emphasizes the use of hypothesis, defines knowledge as a kind of anticipation, as it is defined in the modern epicureanism. Finally, regarding aesthetics, Diderot puts forth a theory of the « modèle idéal » which is tied to a nominalist conception of the abstraction. These three aspects of Diderot's thought are important, in our opinion, for the formation of a materialist theory of knowledge. (shrink)
Études d'articles de l'Encyclopédie écrits par Diderot visant à montrer qu'ils exposent en creux une certaine pensée de l'histoire et de l'historicié de l'existence humaine. Suivant cette pensée de l'histoire, il faut à la fois accepter qu'aucun savoir ethnographique est en mesure de saisir l'essence d'un peuple ou d'une nation, mais qu'on doit en même temps chercher dans le récit de l'histoire des peuples un savoir réflexif nous reseignant sur notre propre nature.