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Introduction

En France, un mouvement de réformes institutionnelles a touché plusieurs formations initiales relatives aux « métiers adressés à autrui » : enseignement en 2010 et 2013 ; soins infirmiers en 2009 ; ergothérapie en 2010 ; pédicure-podologie en 2012 ; masso-kinésithérapie en 2015 et travail social en 2018.

Les études préparatoires au Diplôme d’État (DE) de Masseur-Kinésithérapeute (MK) sont redéfinies par deux arrêtés (2 septembre 2015[1] et 31 décembre 2015[2]) dans un double mouvement de professionnalisation et d’universitarisation selon le modèle « LMD »[3]. Dorénavant, les étudiants en IFMK sont sélectionnés à l’issue d’une année universitaire : Première Année Commune des Études de Santé (PACES, médecine), Licence 1 Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), ou la Licence 1 de Sciences Technologies et Santé (STS). Souhaitée par de nombreux acteurs de la profession, la réingénierie des études de MK a abouti à une formation de quatre années comprenant deux cycles de deux ans. L’étudiant est ainsi formé pour devenir un professionnel de santé autonome, responsable, réflexif, capable d’analyser toutes situations de santé relevant de sa compétence. Outre sa spécificité technique, il doit désormais détenir des compétences génériques universitaires qui lui permettront de s’orienter vers la recherche grâce à une posture réflexive qu’il aura développée tout au long de son parcours. Cette réforme articule professionnalisation (Bourdoncle, 1991, 2000 ; Roquet, 2012 ; Wittorski, 2008) et universitarisation (Bourdoncle, 2007). Elle intègre également le paradigme du praticien réflexif développé par Schön (1983, 1994) en référence au « bon » professionnel selon lequel le praticien développe ses compétences par un double processus de réflexion dans l’action et sur l’action, et non par la seule application de concepts théoriques lors d’exercices pratiques. La pratique réflexive faisant partie intégrante de la compétence (Perrenoud, 2001), l’approche par compétences offre un modèle opérationnel qui peut trouver sa traduction pédagogique dans les activités de simulation (Jaffrelot & Pelaccia, 2016).

Cette réingénierie des études de MK nous intéresse tout particulièrement, car l’appropriation et l’application d’une réforme de la formation induisent généralement une redéfinition de l’activité des formateurs par les équipes directionnelles et, par réaction, de nombreuses adaptations pour faire face à ces changements. Pour tenter de comprendre ces transformations du travail, nous avons mené une recherche empirique au sein d’un Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie (IFMK) du sud de la France dont l’objectif était d’étudier l’intention de professionnalisation (Wittorski, 2008) des formateurs et, notamment, l’entrée des étudiants dans une démarche réflexive au travers d’un dispositif innovant nommé Groupe d’Entraînement à l’Analyse des Pratiques en Rééducation (GEAPR) (Teisseire, Rouvière, Boussagol & Perez-Roux, 2018). Précisons d’emblée que les deux directeurs, concepteurs du GEAPR, ont préparé un Master en Sciences de l’Éducation dans lequel ils ont travaillé différents dispositifs réflexifs. Le GEAPR s’inspire du dispositif du Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations éducatives (GEASE)[4] (Fumat, Vincens & Étienne, 2003 ; Perez-Roux, 2012 ; Etienne & Fumat, 2014). Les sigles GEAPR et GEASE ont d’ailleurs en commun les lettres GEA. Dans les deux dispositifs, il s’agit d’un groupe constitué pour une ou plusieurs séances dont la tâche est de s’entraîner sous la conduite d’un formateur à l’analyse des situations de travail dans une visée de développement de compétences professionnelles.Cette étude entend ici apporter quelques éléments de réponse à la question suivante : comment l’intention de professionnalisation des étudiants MK est-elle travaillée dans la mise en situation simulée et l’analyse collective du dispositif du GEAPR ?

Dans une première partie, nous développons le cadre théorique qui repose sur trois fondements : le concept de professionnalisation, les notions de situation simulée et de dispositif. La seconde partie s’attache à décrire les méthodologies de recherche utilisées et la troisième est consacrée à la présentation des résultats en deux volets. Le premier expose ce dispositif de formation innovant sous l’angle de sa conception par la direction, et le second volet analyse sa mise en oeuvre par une formatrice avec un groupe d’étudiants en seconde année de formation initiale. Ces résultats et analyses sont discutés dans une quatrième partie.

Cadre théorique de la recherche

Professionnalisation, situations de simulation et dispositif de formation, tels sont les éléments du cadre théorique que nous développons dans les trois points ci-dessous.

Du concept de professionnalisation…

Bourdoncle distingue cinq sens dans les emplois du terme de professionnalisation. Si les deux sens de professionnalisation de l’activité et du groupe concernent davantage le statut social du métier, les trois autres relèvent d’aspects plus proches du contexte de la formation. Ils portent sur :

  • « les savoirs liés à cette activité, qui connaîtraient alors une croissance en spécificité, rationalité et efficacité en même temps qu’une diversification dans leur nature (savoirs procéduraux autant que déclaratifs, compétences plutôt que savoirs) et une reformulation en termes de compétences ;

  • l’individu exerçant l’activité, qui se professionnaliserait en adoptant progressivement les manières de faire, de voir et d’être de son groupe professionnel ;

  • la formation à l’activité, dont on dit qu’elle se professionnaliserait lorsqu’elle s’oriente plus fortement vers une activité professionnelle dans ses programmes (rédigés plutôt en termes de compétences), sa pédagogie (stages, alternance), ses méthodes spécifiques (méthode des cas, simulation, analyse de la pratique, résolution de problèmes...) et ses liens plus forts avec le milieu professionnel (d’où viendrait notamment une bonne partie de ses formateurs) » Bourdoncle (2000, p. 118).

Ces aspects de la professionnalisation et, notamment le dernier, entrent en cohérence avec la visée de la nouvelle formation des MK. Pour Wittorski (2008), la professionnalisation relève d’un triple processus. Tout d’abord, il s’agit d’une intention de professionnalisation du côté de l’organisation de « mise en mouvement » des individus dans le travail par la proposition de dispositifs particuliers. Ensuite, du côté des individus ou des groupes, c’est un processus de développement de compétences dans ces dispositifs. Enfin s’opère une transaction entre l’individu et l’organisation en vue de l’attribution d’une professionnalité à l’individu comprenant reconnaissance des compétences essentielles et légitimité identitaire pour l’exercice de la profession. Dans cette contribution, c’est l’intention de professionnalisation des formateurs en direction des étudiants MK qui nous intéresse. Nous cherchons ainsi à savoir comment ils pensent le GEAPR et s’y prennent pour professionnaliser les futurs MK.

… au développement de compétence(s) par la situation simulée

En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) préconise et promeut la simulation en santé,[5] car elle participe au développement de plusieurs compétences telles que la mobilisation des connaissances variées, leur exploitation, l’adoption d’une posture professionnelle, et elle permet de s’entraîner à prendre en charge des patients sans courir de risque tout en étant proches de la réalité. « Ce mode d’apprentissage dans l’action facilite l’ancrage des acquisitions, notamment lorsque la pratique est poursuivie par son analyse réflexive, permettant sa conceptualisation » (Doureradjam & Dorsaz, 2013, p. 99). Les compétences se construisent alors de façon solide quand sont mis en place des dispositifs réflexifs dans une alternance intégrative (Malglaive, 1993), articulant étroitement situations de travail et situations de formation. La simulation relève ainsi du paradigme de formation socioconstructiviste s’appuyant sur le modèle du praticien réflexif (Schön, 1983, 1994), notamment à travers la réflexion collective sur l’action. Ce paradigme succède à l’ancien paradigme cognitiviste dans lequel l’analyse de pratiques était principalement pensée par la mise en situation professionnelle. Celle-ci était organisée comme une épreuve-test, souvent en fin de formation, évaluant la maîtrise des savoirs théoriques appris et la justesse des gestes professionnels du formé en situation de travail. L’analyse de la pratique entre le formé, les formateurs et/ou des praticiens experts portaient alors sur la justification du diagnostic, des choix retenus et du suivi de protocoles ainsi que leur adéquation et leur incarnation dans l’action située donnée à voir, pour mener au mieux l’acte thérapeutique.

Dans cet IFMK, la simulation est utilisée dans le nouveau dispositif de formation du GEAPR. Ce dernier repose sur « un principe central de la simulation en santé selon lequel un dispositif pédagogique recourant à la simulation comprend une mise en situation et un débriefing » (Jaffrelot & Pelaccia, 2016, p. 20). Le débriefing joue un rôle important, car il permet de « mesurer l’importance formative de ce qui se passe en dehors de la situation proprement dite (débriefing, prise de recul, réflexivité) », « ce qui a été vécu peut être analysé, décortiqué, discuté et reconsidéré a posteriori » (Audran, 2016, p. 13). Pour la HAS, le débriefing doit permettre une réflexion collective, c’« est le temps d’analyse de pratiques et de synthèse qui succède à la mise en situation simulée »  et « le temps majeur d’apprentissage et de réflexion de la séance de simulation »[6]. Ainsi « les dispositifs d’analyse de pratiques revendiquent l’idée d’une efficacité professionnelle liée à une réflexivité, c’est-à-dire un engagement intense et régulier chez les professionnels dans une activité d’auto-analyse, de mise en perspective de sa propre activité professionnelle » (Perez-Roux, 2012, p. 101). Mais les dispositifs réflexifs instrumentent-ils nécessairement la construction des compétences ?

Des dispositifs réflexifs pour favoriser la construction de la professionnalité des MK ?

Développant une approche ternaire et trilogique des dispositifs en formation, Albero (2010, 2011) ré-interroge leur efficacité sociale. Selon elle, le dispositif est un instrument sociotechnique d’organisation en tension entre trois dimensions et trois logiques :

  • Le « dispositif idéel » relève d’une logique axiologique et épistémique. Il constitue le projet fondateur du dispositif. Il se compose à la fois des idéaux orientant les finalités de l’action des concepteurs et de leurs concepts ou représentations de l’activité concernée. 

  • Le « dispositif fonctionnel de référence » représente le projet opérationnel inscrit dans les discours et les documents de travail. Il est orienté par une logique de rationalité instrumentale.

  • Le « dispositif vécu » correspond à l’expérience cognitive et socio-affective des acteurs confrontés à la réalité du dispositif. Il est régi par une logique de rationalité communicationnelle.

Cette approche « remet en cause l’interprétation courante, strictement fonctionnelle, de l’action efficace dont les dimensions idéelles et vécues ont été nettement sous-estimées » (Albero, 2010, p.92). Elle met également en relief les écarts possibles entre ces trois dimensions. Nous comprenons alors la place délicate du formateur dans le dispositif du GEAPR qui, ni concepteur, ni destinataire final, détient néanmoins un rôle primordial dans la mise en oeuvre de l’intention de professionnalisation et le développement d’une professionnalité chez les futurs MK.

Méthodologies mises en place dans cette étude

Pour étudier l’intention de professionnalisation en kinésithérapie, trois recueils de données ont été effectués. Le premier consiste en un entretien compréhensif semi-directif (Kaufmann, 1996) auprès de la direction (directeur et directeur-adjoint). Les deux autres recueils se composent d’une observation filmée d’une séance de GEAPR animée par une formatrice et des propos de celle-ci collectés lors d’une auto-confrontation simple (Theureau, 2010).

L’entretien avec la direction sur le GEAPR

Au commencement de notre recherche, soit en novembre 2016, nous avons rencontré la direction de l’IFMK pour comprendre la conception du GEAPR dans les dimensions idéelle et fonctionnelle de référence. Pour une meilleure compréhension du lecteur, nous présentons dès à présent le dispositif dans sa dimension fonctionnelle de référence. Le GEAPR se déroule sur un temps de Travail Dirigé (TD) de deux heures avec un groupe de 25 étudiants en 1re, 2e et 3e années de formation. Dans un espace aménagé comme une salle de soins équipée tels un cabinet de kinésithérapie ou un plateau technique, les étudiants disposent de matériels professionnels pour simuler la prise en charge de patients par des MK. Deux grandes phases composent chaque séance.

La première est composée d’un temps de préparation d’une quinzaine de minutes et de la Mise en Situation Simulée (MSS) elle-même d’une durée de 30 minutes. Chaque étudiant, au cours de l’année, endosse tour à tour le rôle de MK, de patient, ou d’observateur. Désignés par le formateur, deux étudiants jouent le rôle de MK à partir de cas cliniques qui leur sont adressés une semaine avant la séance. Ceux-ci sont préparés par les formateurs en charge du GEAPR de façon à ce que les MK disposent des éléments médicaux et des motifs de prise en charge des patients.

Trois autres étudiants jouent les patients et simulent une pathologie. Le reste du groupe a un rôle d’observateur. Assis sur des chaises équipées de tablette placées en rangées sur un des côtés de la salle, ils sont chargés d’observer les prises en charge. Les consignes qui leur sont rappelées en début de séance sont le respect du silence et l’absence formelle de rires, de moqueries ou jugements de valeur. Hormis les axes de l’analyse collective inscrits sur un tableau blanc, fixé au mur, aucune consigne n’est donnée sur la prise de notes.

La seconde phase du dispositif de formation, celle du débriefing ou de l’analyse de pratiques, se compose de trois moments (cf. Tableau 1). Animés par un formateur, ils se déroulent dans la salle de rééducation immédiatement après la MSS. Lors du premier moment, le formateur invite les MK à exprimer leur ressenti sur la situation professionnelle qu’ils viennent de vivre avec les patients. Le second moment occupe un temps plus long, sans la présence des deux MK qui sortent de la salle pour échanger ensemble sur les prises en charge. Les patients expriment à leur tour leur ressenti puis le groupe des observateurs avec les patients discutent des prises en charge réalisées par les deux MK, émettent des hypothèses sur les raisons relatives à leurs manières de faire, soulèvent des problèmes en donnant leur avis sur les solutions possibles. Enfin le dernier temps est consacré au bilan de la séance. Les MK reviennent dans la salle. Les patients leur communiquent leur ressenti sur les soins reçus et les observateurs les informent sur les points discutés pendant l’analyse collective. Les MK ont le dernier mot en répondant aux hypothèses et solutions proposées par le groupe. Pour terminer cette présentation de la dimension fonctionnelle de référence du GEAPR, précisons que deux caméras suspendues filment la MSS et les discussions post-simulation.

Tableau 1

Rôle des participants au GEAPR dans la phase d’analyse des pratiques

Rôle des participants au GEAPR dans la phase d’analyse des pratiques

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Les recueils des propos de la formatrice

Notre méthode de recherche avec la formatrice se centre sur le deuxième moment du débriefing qui correspond à l’analyse collective de pratiques. Parce que celle-ci permet l’échange entre le formateur et le groupe, mais également la réflexion sur l’action (Schön, 1994) entre les étudiants, elle constitue potentiellement l’étape professionnalisante la plus forte. Nous étudions l’activité d’une formatrice, que nous nommerons Manon, qui a accepté que nous assistions à l’une de ses séances.

Masseur-kinésithérapeute depuis huit ans, elle exerce depuis quatre ans dans un centre spécialisé en rééducation neurologique. Formatrice à temps partiel à l’IFMK et également tutrice de stage, elle donne des cours dans sa spécialité et accompagne les étudiants dans la rédaction de leur mémoire de fin d’études, désormais adossé à la recherche. En parallèle, elle assure des séances de GEAPR à raison de quatre heures par mois en moyenne, et auquel elle a été initiée par le directeur-adjoint. Précisons que la direction considère cette formatrice particulièrement « performante » par rapport à la visée du GEAPR. Pour ce faire, nous avons procédé en trois temps. Dans le premier, nous avons observé une séance menée en mars 2017. C’est la première fois que Manon endosse seule le rôle d’animatrice.

Notre questionnement était le suivant : comment Manon procède-t-elle pour mettre au travail la réflexivité de ces étudiants de deuxième année ? Il s’agissait d’accéder « directement » sans grille d’observation, aux pratiques de la formatrice dans le déroulement de la situation. Dans un second temps, nous avons réalisé le séquençage des captations vidéo, retranscrit les interactions verbales et gestuelles entre Manon et les étudiants afin de repérer dans le discours de la formatrice les dynamiques de l’action : les lancements de sujet de réflexion, les questions posées, les relances, les feedbacks, les avis et conseils. Dans un troisième temps, nous l’avons sollicitée quelques semaines plus tard pour une auto-confrontation simple (Theureau, 2010) afin d’accéder aux dimensions invisibles de son activité et comprendre ses intentions de formation pour développer l’analyse des pratiques en rééducation chez les étudiants. Nous avons visionné ensemble la vidéo de 27 minutes de l’analyse collective. Chaque fois qu’elle le souhaitait, nous arrêtions la vidéo pour approfondir un moment qui, selon elle, lui semblait significatif de son action ou nécessitait un commentaire sur ses propos, ses réactions ou ses gestes. Nous avions prévu plusieurs arrêts sur image, mais nous n’avons pas eu besoin d’y revenir puisque Manon les avait déjà pointés.

Résultats et analyses

Les résultats et leurs analyses sont présentés en deux grandes parties. Nous abordons d’abord la genèse du dispositif à travers sa dimension idéelle par la direction, puis nous nous intéressons au dispositif vécu à travers les propos de la formatrice.

La dimension idéelle du GEAPR par la direction

La direction de cet IFMK a développé le dispositif innovant du GEAPR en 2016. Elle justifie sa création comme une réponse à l’abandon, regretté par les formateurs et les tuteurs, des MSP préparant aux épreuves finales du DE et au manque de contact des étudiants avec les patients dans la nouvelle formation. D’une MSP vécue de façon singulière par un étudiant sur le terrain de stage, la direction décide d’apporter au dispositif une dimension collective. Elle s’inspire du GEASE pour développer les compétences d’analyse des situations en rééducation et la réflexivité des étudiants. L’analyse des cinq termes constituant le sigle « GEAPR », apposés sur une affiche à l’entrée de la salle de rééducation, résume la visée de professionnalisation. La notion de groupe est déclarée comme essentielle puisque « c’est par la réflexion de chacun et le partage que se construit un nouveau savoir collectif nourri par des points de vue différents et des visions différentes d’une même situation ». L’entraînement « par essais-erreurs » consiste en « l’acquisition d’attitudes et de postures mentales non spontanées » et l’analyse permet que « les étudiants développent leur réflexivité » en questionnant et en discutant « ce qui s’est passé ». La pratique est considérée « comme englobant tous les aspects d’une séance de rééducation avec le MK : l’accueil du patient, le relationnel, la façon de se positionner physiquement, de lui parler et de conduire la séance ». C’est bien dans un mouvement d’intégration de l’action au travail, de l’analyse de la pratique professionnelle et de l’expérimentation de nouvelles façons de travailler pour les futurs MK que le GEAPR a été conçu. « L’objectif, c’est que les étudiants maîtrisent la pratique, et qu’on arrive justement à ce que la pratique soit la plus fine possible pour qu’elle soit la plus adaptée possible » (directeur). Le GEAPR doit alors permettre la mobilisation de connaissances déjà acquises, l’élaboration collective du raisonnement professionnel et l’initiation à l’analyse réflexive en kinésithérapie (inscrites notamment dans les unités d’intégration 10, 25 et 29 du référentiel de formation) « le plus important ce n’est pas tant la mise en situation professionnelle, mais c’est ce que le groupe va ressortir de cela » (directeur). L’apport des Sciences de l’Éducation à la création de ce dispositif est essentiel, car ses concepteurs y ont investi leurs compétences en ingénierie de formation développées, entre autres, au cours de leur Master[7]. Le processus réflexif qu’ils ont mis en place consiste à poser un ensemble de questions aux étudiants pour leur permettre de réfléchir sur les pratiques qu’ils ont observées. C’est dans cet esprit qu’ils ont mis en place six axes d’analyse inscrits sur le tableau blanc de la salle (cf. Tableau 2). Pensé comme un guide et une aide à la formalisation des idées, il est utilisé lors du débriefing avec les MK.

Tableau 2

Les axes d’analyse de la Mise en Situation Simulée en seconde année de MK

Les axes d’analyse de la Mise en Situation Simulée en seconde année de MK

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La direction attribue ainsi au dispositif un caractère socioconstructiviste puisqu’il favorise la construction des connaissances et de compétences et qu’il suscite des interactions qui engendrent des conflits sociocognitifs (Teisseire, Rouvière, Boussagol, & Perez-Roux, 2018). L’interaction est pensée au service de l’apprentissage, la discussion et la réflexion nées de la simulation contribuent au cheminement intellectuel et professionnel des étudiants.

Pour clore ce point sur la conception du GEAPR, précisons que la direction a formé certains de ses formateurs par compagnonnage. Ces derniers sont désormais libres de se l’approprier et de le conduire comme ils le souhaitent du moment que celui-ci ne se transforme ni en Cours Magistral (CM) ni en séances de mobilisation des « bons » gestes techniques. « Aujourd’hui, sur l’exercice du GEAPR, il y a quatre ou cinq personnes qui peuvent rentrer dans le dispositif, et qui peuvent le mener à leur façon, mais de toute façon ce sera, je pense, mieux, même si c’est différent, ce sera mieux que de faire des cours magistraux. Même s’ils le modifient, je pense que l’échange qu’il va y avoir, les mises en situation qu’il va y avoir vont permettre de construire un enseignement plus adapté à la réforme que de faire un cours magistral ou que de faire un TD où on va montrer comment mobiliser » (directeur-adjoint). Examinons maintenant comment l’intention de professionnalisation se concrétise à travers la mise en oeuvre par une formatrice d’une séance de GEAPR.

Le dispositif vécu à travers l’activité de formation d’une formatrice

Pour comprendre comment la formatrice procède pour travailler la professionnalisation des étudiants et comment elle les met en réflexion professionnelle, nous avons effectué une double analyse. Nous nous sommes d’abord focalisés sur les propos qu’elle a tenus lors de l’analyse collective avec les étudiants patients et observateurs, puis nous avons analysé les moments sur lesquels elle a souhaité revenir lors de l’auto-confrontation.

La focalisation sur les propos de la formatrice tenus au moment de l’analyse collective

Dans la séance observée, 17 épisodes sont comptabilisés, ils abordent 11 thèmes différents. Durant les vingt premières minutes, les thèmes sont lancés par les étudiants. Ils concernent l’utilisation des gants jetables, l’encadrement des patients, leur intimité, le travail de mobilisation du MK, la répétition des exercices de rééducation, le bilan kinésithérapique de l’étudiant MK1 avec la patiente 1. Durant les sept dernières minutes, c’est la formatrice qui est à l’initiative des thèmes. Elle aborde le travail du périnée, la collaboration entre MK, la problématique de la phlébite avec la prise en charge de la patiente 1, le travail des abdominaux de la patiente 2 et termine par les objectifs post-séance kinésithérapique.

Durant ces 27 minutes de débriefing, Manon s’exprime 11 minutes (soit 42 % du temps) et les étudiants près de 16 minutes (soit 58 %). Nous constatons que Manon a le souci de la dynamique du débat. Elle pose 82 questions visant à faire interagir les étudiants entre eux. Ces questions sont généralement courtes telles que : « Quoi d’autre ? », « A quoi ça sert ? », « C’est-à-dire ? », « Mais pourquoi ? », « Comment […] ? » ou encore « Pourquoi ça gênait ? ». Nous remarquons au sein de chaque épisode (lancé par les étudiants), la progressivité du questionnement, les premières questions sont relativement simples, on peut les assimiler à des questions de valorisation parce qu’elles mettent en confiance les étudiants. La guidance de la réflexion et de la verbalisation est alors renforcée par de nombreux feedbacks positifs consistant à approuver la réponse de l’étudiant comme : « Oui, oui », « D’accord », « Impeccable », ou encore « C’est une bonne idée ». Ces questions permettent également d’évaluer les pré-requis et les représentations pour chercher ensuite à faire émerger les opinions, à approfondir et préciser les raisons et les justifications. Manon « pousse » ainsi les apprenants dans leur propre raisonnement. Elle se saisit également des réponses et lorsque nécessaire, formule une question d’éclaircissement (« […] tu veux dire ? »). L’utilisation d’adverbes interrogatifs et le rappel des actes/gestes incitent à prendre la parole tout comme la mise en situation illustrée (« Imaginez […] », « Le ventre tout flagada », « Le corps transformé »). Manon questionne aussi la compréhension de la situation clinique et sa prise en charge (« Comment on organise ça ? »). Elle s’intéresse autant aux réponses correctes qu’incorrectes et s’appuie sur les confusions éventuelles qu’elle détecte pour rebondir sur un problème soulevé (exemple : utilisation du paravent). Elle recherche la réflexion des étudiants sur les alternatives de prises en charge possibles pour favoriser la construction de nouveaux savoirs et l’élaboration de nouvelles pratiques. Tout au long de l’analyse collective, Manon sollicite l’avis du groupe et/ou le débat pour faire verbaliser les arguments quant à l’action à engager. Elle questionne aussi parfois l’exercice du métier (« Est-ce qu’il faut que ça varie entre deux séances ? Pourquoi ? »). Elle peut exagérer ses propos dans le but de faire réagir les étudiants (« Est-ce que vous allez présenter un panel d’exercices gigantesque de façon à ce que chaque patient ne fasse jamais le même exercice ? »).

Elle se montre ouverte à un large éventail de propositions. La guidance est très souvent accompagnée d’un témoignage issu de son vécu professionnel : « Souvent les femmes elles se demandent pourquoi elles ont une rééducation urogynéco ou d’entretien », « Moi j’ai des petites mamies […] ».

Les 17 épisodes abordés se trouvent souvent finalisés par un conseil ou un avis sous forme de règle de métier : « Il faut expliquer [le rôle du périnée] », « Il faut que vous sachiez […] que vous fassiez la part entre ce qu’on a entre le bilan et puis ce qu’on a dans un protocole et ce qu’on devrait trouver dans la littérature ». À travers ces propos, Manon semble vouloir à la fois guider les futurs MK vers l’exercice de la réflexivité, mais également formuler des conseils favorisant la conceptualisation. Afin de mieux comprendre la démarche réflexive mise en oeuvre et d’accéder à l’intention de professionnalisation de la formatrice, nous avons sollicité Manon pour une auto-confrontation.

Les intentions de la formatrice au travers d’une auto-confrontation

Manon effectue 27 arrêts de la vidéo. Si dans les trois premiers arrêts elle porte une critique négative sur le rôle des patients, elle s’attache pendant les 24 autres arrêts, à expliquer ses intentions, sa façon de faire, à critiquer son discours et mettre à jour les tensions qu’elle rencontre entre ses intentions et ce qui se passe avec les étudiants dans le GEAPR. Nous ne développons ici que les points relevant des intentions de la formatrice et des tensions qu’elle exprime. Nous considérons que ces éléments tenus comme importants par la formatrice par leur répétition constituent des indicateurs de son intention de professionnalisation des étudiants.

Lors de cinq arrêts (6, 7, 10, 12 et 15), Manon livre sa compréhension du dispositif et ses intentions vis-à-vis du groupe. Elle exprime : « Je comprends vraiment le GEAPR quand je mets ma casquette de formateur, ni d’enseignant, ni d’expert ». Selon elle, l’expert est un spécialiste d’un domaine de kinésithérapie, l’enseignant est dans la transmission des savoirs, tandis que le « formateur c’est quelqu’un qui permet l’accès finalement à une autonomie professionnelle ». Elle précise sa posture : « Je veux en tant que formateur qu’ils apprennent à réfléchir par eux-mêmes qu’ils se posent des questions par eux-mêmes […] et trouver les réponses par eux-mêmes. Je les aiguille par rapport à un cheminement finalement intellectuel ». Elle vise donc une autonomie professionnelle à travers un processus de questionnement professionnel : « Finalement c’est une démarche professionnelle dans le sens où moi-même dans mon métier de kiné à B. (lieu d’exercice) je me pose des questions comme ça ». Elle installe sa posture de formatrice en fixant une place minorée à sa parole d’experte en neurologie et d’enseignante : « Ce que je veux c’est qu’ils s’approprient les choses et non pas qu’ils ressortent moi ce que je pense. C’est pour ça que j’évite au maximum ce que je pense ». Elle insiste à plusieurs reprises sur le fait de ne pas donner son avis : « Ils n’ont pas besoin d’entendre mon avis ». En bref, Manon conçoit la mise en oeuvre du dispositif comme un moment particulier de professionnalisation : « Le GEAPR c’est vraiment pour moi pour développer la réflexion sur ce qu’on pourrait rencontrer et après ils mettront en pratique ce qu’ils veulent ». Cette posture revendiquée de formatrice ne va pas sans tension dans la mise en oeuvre du GEAPR. Manon relate au cours de neuf arrêts de la vidéo (3, 4, 5, 6, 7, 10, 18, 19, 25) quatre grandes tensions entre ses intentions et ce qui se passe dans le GEAPR avec les étudiants d’une façon générale.

Tension 1 : Un écart entre la dynamique conversationnelle souhaitée et les échanges entre étudiants

La première tension concerne l’écart entre son souhait que « tout le monde donne son avis » et la réalité des échanges parfois pauvres ou encore lorsque la conversation s’essouffle au sein du groupe. Elle a alors le sentiment de passer à côté de son objectif et des préoccupations des étudiants parce que « ce n’est pas eux qui ont pris la parole de manière spontanée, il y a quelque chose qui me chagrine ». Elle explique qu’elle se trouve contrainte à (re)prendre la parole pour animer la séance : « Ce qui m’embête c’est justement d’avoir à suivre un cadre, un rythme ou par exemple la prise de notes que je prends, ça m’embête d’avoir à y revenir en fait ». Elle rapporte aussi que cette tension se trouve renforcée par la disposition des étudiants en rangées dans la salle qui ne favorise pas les échanges entre étudiants, mais davantage les interactions avec elle : « Là ils me parlent à moi et ils sont face à moi et s’ils veulent se parler ils se retournent c’est un peu plus compliqué ».

Tension 2 : Des situations avec de vrais-faux patients complexes à interpréter

Une seconde tension provient de la différence entre la situation simulée du GEAPR et la situation avec de vrais patients. Non seulement les MK expriment la difficulté à opérer avec les patients qui n’ont pas les manifestations des pathologies de vrais patients, mais un brouillage apparaît quant à la situation simulée. En effet, cette situation peut être apprenante, mais en même temps n’a pas à être reproduite en situation professionnelle. Par exemple, « mettre un patient en sous-vêtement, on l’apprend à l’école pour absolument tout voir, pour les compensations, pour voir s’il n’y a pas d’autres choses c’est intéressant pour nous thérapeutes d’avoir le patient déshabillé, mais ça peut être extrêmement gênant pour le patient ». Autre exemple donné par Manon, celui d’une situation simulée non prévue dans le cas clinique où la patiente est une fausse patiente qui n’a pas de cicatrice suite à une césarienne, mais porte une « vraie » attelle au poignet et à qui on fait faire des exercices demandant l’appui sur celui-ci.

La formatrice est amenée à retenir la discussion sur ce point épineux et à (re)prendre la parole pour focaliser l’attention des étudiants sur cette situation : « du coup là je veux vraiment souligner l’observation parce que si je ne suis pas capable de le remarquer sur ma collègue qui a vraiment un souci je vais pas le remarquer sur un autre patient ».

Tension 3 : Une posture de formatrice difficile à tenir

Animer la discussion pour favoriser la réflexion des étudiants tout en tenant le cadre du GEAPR constitue la troisième tension. Il s’agit là d’une difficulté à conserver la posture de formatrice qu’elle voudrait tenir : « Je veux juste les aiguiller, mais je peux pas m’empêcher de rebondir et de participer à la conversation et la discussion et effectivement là je donne mon point de vue parce que ça me paraît important ». Prise par la dynamique qu’elle souhaite donner aux échanges, elle déclare introduire d’autres situations cliniques : « Très souvent, je lance des cas cliniques, enfin je parle de mon expérience et je sais pas si on attend ça de moi, mais j’aime beaucoup faire ça parce que ça capte l’attention des étudiants, parce que c’est très pratico-pratique et parce que c’est ce qui va les attendre dans deux ans ». Il s’agit, d’autre part, d’un souci d’appropriation du tableau des axes d’analyse de la MSS. Celui-ci cadre l’observation, mais est peu utilisé dans le débriefing excepté pour vérifier que les différents points ont été abordés : « Il y a des colonnes dans lesquelles on ne sait jamais quoi mettre. […] ce qui m’a toujours gênée c’est les objectifs de la séance et les objectifs à venir. Pour moi ce serait une seule et même colonne ». Manon reconnaît ne pas être à l’aise avec les axes d’analyse lui sont imposés : « Ce tableau-là je ne m’y reconnais pas trop ».

Tension 4 : Des attentes différentes entre formateur et étudiants

La quatrième tension a trait aux écarts d’attentes entre la formatrice et les étudiants. Pour Manon ils sont dans l’attente de « bonnes » pratiques. Elle fait le constat qu’ : « ils sont mal à l’aise quand je leur dis c’est vous qui ferez le cours, c’est vous qui allez parler c’est pas moi. Ils se demandent ce qu’ils vont bien pouvoir apprendre d’eux-mêmes ». Elle admet que cette position est inconfortable pour eux et « qu’ils essaient de se sortir de ce rôle-là : je suis dans la construction de mes savoirs et aujourd’hui je vais apprendre grâce à moi-même ». Cet inconfort est renforcé par le fait que la formatrice se garde de donner des solutions : « Je dois me placer de manière à ce que c’est pas moi qui sait ce qu’il faut faire. En tout cas c’est pas moi qui vous le dirai parce qu’il y a pas de bonnes solutions. […] il y a pas vraiment de bonnes solutions, ça dépend vraiment ». Selon Manon, hormis dans les cas de pratique dangereuse, les solutions sont différentes selon les situations, propres à chacun et recevables parce qu’elles ont été argumentées collectivement.

Discussion

Comment l’intention de professionnalisation est-elle mise en oeuvre dans le GEAPR ? Pour répondre à notre question, la discussion des résultats porte sur deux niveaux. Le premier s’intéresse à la réflexivité développée à travers le vécu du GEAPR. Le second concerne les dimensions idéelle et fonctionnelle de référence du dispositif.

La réflexivité développée dans le dispositif vécu

L’intention de professionnalisation que nous avons étudiée montre que la formatrice a développé des habiletés pour favoriser la réflexivité des étudiants. Nous remarquons une certaine aisance dans l’animation. Elle parvient en effet à faire émerger, par son questionnement, des points clés d’analyse des pratiques en rééducation. Par sa bienveillance et les feedbacks positifs ainsi que par ses nombreuses sollicitations et la pertinence de ses questions, elle contribue à la libération de la parole et à la discussion sur les MSS observées et vécues. Cependant, plusieurs éléments entravent l’intention de professionnalisation et demandent à être éclairés ou approfondis.

La question des rôles

Les tensions exprimées par la formatrice révèlent de nouveaux rôles difficiles à tenir, tant pour la formatrice elle-même que pour les étudiants. La formatrice souhaite fermement adopter une posture qui permet l’entraînement au questionnement professionnel sans verser dans les postures d’expert apportant un avis de spécialiste et d’enseignant transmettant des savoirs. Du côté des étudiants, l’entraînement collectif auquel ils sont conviés leur demande de développer une démarche de réflexivité professionnelle en construisant par eux-mêmes et, ensemble, les savoirs pratiques nécessaires en kinésithérapie, sans que la formatrice n’apporte de solutions aux situations observées. Cette intention de professionnalisation qui s’exprime à travers la tenue de ces rôles nouveaux génère des difficultés. Les échanges parfois restreints ou l’essoufflement de la discussion avec les étudiants montrent que la modératrice se sent contrainte de relancer la dynamique qu’elle souhaite donner aux échanges et de sortir de son rôle de formatrice pour endosser, malgré elle, ceux d’enseignant ou d’expert.

À d’autres moments, emportée par la dynamique de groupe, celle-ci ne peut s’empêcher de livrer son point de vue personnel, quittant ainsi le rôle qu’elle s’est donné et retombant dans une posture d’expert. Rompant le contrat didactique qu’elle avait établi avec les étudiants, ceux-ci voient leur activité déplacée à celle de réception des connaissances expérimentées ou d’avis d’expert.

Les cas cliniques prémisses ou prétextes à débats

Une focalisation sur les cas cliniques discutés lors de la phase collective met en relief une ambiguïté. Constituent-ils des éléments fondamentaux du GEAPR ou en sont-ils les prémisses ou des prétextes à débats ?

Il est donné de l’importance aux étudiants qui jouent le rôle de MK en leur demandant de bien travailler les cas cliniques qui leur sont adressés une semaine avant la séance. Si « l’objectif principal du débriefing est donc de générer et d’encourager les échanges qui aident les participants de la séance, y compris lorsqu’ils n’ont été qu’observateurs, à comprendre les processus qui ont mené aux actions observées » (Jaffrelot & Pelaccia, 2016, p. 23), dans le GEAPR les cas cliniques ne donnent pas lieu à une analyse de la pertinence des techniques et méthodes kinésithérapiques employées par les MK. Même si parfois les étudiants questionnent la formatrice pour avoir son éclairage, l’analyse reste centrée sur la prise en charge globale des patients à travers les axes posés au tableau (cf. Tableau 3). Par ailleurs, lors des échanges, la formatrice n’hésite pas à convoquer d’autres cas cliniques issus de son vécu professionnel. Elle met ainsi en perspective les MSS observées en décentrant le regard des étudiants sur des situations en contrepoint ou désastreuses, à la fois pour susciter la réflexion en les faisant comparer plusieurs options (in)acceptables, et pour les obliger à justifier et expliquer la prise en charge des patients. Enfin, le fait qu’elle considère que les solutions sont multiples selon les situations, propres à chacun et recevables parce qu’elles ont été argumentées collectivement vient en quelque sorte en opposition avec le conseil ou l’avis qu’elle émet lors de la clôture de chacun des épisodes de la séance de GEAPR. Ainsi apparaît un brouillage entre l’intention de professionnalisation des acteurs (Wittorski, 2008) et les contenus des échanges, autrement dit des savoirs en jeu liés à l’activité. Ceux-ci demeurent cantonnés à l’organisation de la prise en charge globale des patients ce qui entraine des difficultés pour chacun des acteurs à tenir le rôle qui leur est attribué ou qu’il s’attribue au sein du GEAPR. Discutons maintenant de cette intention de professionnalisation en l’abordant du point de vue des dimensions idéelle et fonctionnelle de référence du dispositif.

L’intention de professionnalisation du point de vue du dispositif idéel et fonctionnel de référence

La dimension idéelle du dispositif qui se matérialise par sa dimension fonctionnelle de référence s’impose aux acteurs, formateurs et étudiants, et oriente fortement la réflexivité et la professionnalisation des participants.

Une combinaison originale et complexe de deux dispositifs (aux visées différentes)

Le GEAPR a été développé à partir de deux dispositifs différents : la MSP et le GEASE. Il ne s’agit donc pas d’un dispositif de simulation haute-fidélité comme en formation d’infirmiers ou de sages-femmes. Ici, les patients ne sont pas des mannequins, mais des étudiants jouant le rôle de patients devant être soignés par leurs camarades endossant le rôle de MK. La simulation est donc soumise aux aléas du jeu des étudiants constituant une scène pédagogique plus ou moins fidèle à une situation réelle. Cette scène pédagogique peut même parfois devenir situation très complexe à analyser, d’une part, en raison des trois cas cliniques mis en jeu parallèlement et, d’autre part, lorsque les patients présentent eux-mêmes des pathologies qui n’avaient pas été envisagées initialement.

Le premier moment du débriefing diffère également. Dans le GEASE, il s’agit d’une situation évoquée par un des participants du groupe alors que dans le GEAPR, la situation a été vécue par les actants (ceux qui ont joué la scène) et observée par les observateurs de l’endroit où ils se trouvent dans la salle. Chaque étudiant a donc un point de vue différent, au sens spatial du terme. Ainsi la première partie du débriefing est consacrée au ressenti des actants. Une forte distinction marque la phase de questionnement du GEASE et la phase collective du GEAPR. Si, dans le GEASE, le groupe pose des questions au narrateur pour obtenir des éclaircissements, dans le GEAPR ces éclaircissements ne peuvent avoir lieu. En effet, les MK ne participent pas au temps de l’analyse collective, ils débriefent à deux dans le couloir et se trouvent mis hors de l’entraînement à l’analyse de la pratique rééducative qu’ils ont tenté de mettre en oeuvre. Ce choix décidé par les concepteurs réside dans le fait de libérer la parole des observateurs et patients sans avoir la contrainte, comme dans la phase d’interprétation du GEASE, d’être entendus par les deux protagonistes ayant pris en charge les patients et d’en rester à la formulation d’hypothèses.

Enfin, même si les MK reviennent à la fin du débriefing pour un moment de restitution par le groupe des éléments forts de l’analyse, force est de constater que ce sont les grands perdants de ce moment de réflexivité professionnelle.

Alors que dans la phase de réaction du GEASE, le narrateur nourri par les échanges entendus réagit au travail effectué par le groupe, ici les deux étudiants MK, qui n’ont pas suivi le fil des arguments échangés, en demeurent à la réception plus ou moins positive des arguments du groupe sur leur action.

Un dispositif idéel et fonctionnel que les formateurs doivent s’approprier

L’étape majeure de la conclusion du débriefing, ou ce qui correspond à la phase de méta-analyse du GEASE se trouve absente du GEAPR. Les concepteurs ne semblent pas l’avoir pensée autrement que par l’inscription, sur le tableau des axes d’analyse de la MSS, des arguments émis tout au long de la séance par le groupe. Ainsi, la formatrice et les étudiants ne remettent pas en perspective les objectifs de la séance et ne définissent pas les axes d’amélioration à envisager pour celles qui suivront. Or, cette institutionnalisation serait importante pour donner du sens au dispositif.

La formatrice avoue d’ailleurs une gêne et un souci d’appropriation de ces axes multi-référentiels d’analyse tels qu’ils ont été choisis et formulés par les concepteurs. Même s’ils lui servent de cadre à la discussion, elle se trouve prise en tension entre les axes du tableau à renseigner et les thématiques qu’elle souhaite aborder depuis ses propres notes. Que reste-t-il de ces échanges ? Chaque étudiant retient ce qui l’a marqué, mais sans autre véritable formulation que la restitution plus ou moins fidèle, par certains de leurs camarades, de quelques éléments marquants la prestation des MK. Puisqu’il n’y a pas de moment d’institutionnalisation des savoirs, se pose alors la question de la construction d’une culture professionnelle commune et de la socialisation professionnelle de ces étudiants. La dimension fonctionnelle du dispositif tient aussi en la capacité des formateurs à en comprendre la dimension idéelle et à l’animer dans l’esprit dans lequel les directeurs l’ont conçu. Nous repérons là une problématique d’application/appropriation par les formateurs qui a un effet direct sur le positionnement des étudiants vis-à-vis du dispositif et sur le sens donné à cette démarche réflexive (Perez-Roux, 2019). Si les concepteurs ont réfléchi à la création du dispositif en s’appuyant sur leurs savoirs acquis en Sciences de l’Éducation, il n’en est pas de même de la formatrice qui, sans formation pédagogique, a été initiée par compagnonnage avec un des directeurs dans une transmission de savoir-faire par monstration et par imitation.

En conséquence, pour que l’intention de professionnalisation puisse davantage se concrétiser auprès des étudiants, il convient de former les formateurs du GEAPR aux démarches socioconstructivistes impliquant la réflexivité (Schön, 1994). « Il s’agit en particulier de leur permettre de quitter leur posture usuelle de transmetteur d’informations, afin d’adopter celle de superviseur ou de médiateur du savoir. Le succès de cette démarche implique qu’ils se forment aux méthodes, techniques et outils pédagogiques nécessaires à la mise en oeuvre efficiente du débriefing » (Jaffrelot & Pelaccia, 2016, p. 26).

Conclusion : une intention de professionnalisation « au milieu du gué »

Si la simulation et le débriefing qui suit constituent une situation potentielle de développement, il reste pertinent d’interroger en quoi elle peut être source de professionnalisation et à quelles conditions. Au niveau de la professionnalisation des futurs MK, le dispositif fonctionnel de référence du GEAPR les place dans les conditions favorables à la prise de recul sur les pratiques en rééducation. De la même façon que l’étonnement agit comme « catalyseur du processus d’apprentissage » (Thievenaz & Piot, 2014) parce qu’il induit des questions au sein d’un environnement pourtant familier, la MSS engendre des questionnements sur le vécu ou les observations. L’accompagnement du formateur-modérateur déclencheur de verbalisation, suscite l’argumentation grâce aux décalages introduits entre « ce qui aurait dû être, ce qui aurait pu être » et « ce qui est ». Cependant, nous supposons, sans pouvoir l’affirmer, que cette analyse réflexive autour des pratiques augmente les performances procédurales et comportementales et l’apprentissage de la réflexivité. Notre étude identifie des obstacles, des zones d’ombre et des enjeux dans la compréhension de la professionnalisation (Maubant, Clénet, Roger, Mercier, Caselles-Desjardins, & Gravel, 2011). C’est en ce sens que nous émettons une intention de professionnalisation « au milieu du gué » du GEAPR. Tout d’abord, le dispositif semble constituer un ilot atypique de formation sans liens apparents avec les autres éléments de la formation. Ensuite, l’exclusion des étudiants MK du groupe d’entrainement à l’analyse contrarie l’intention de professionnalisation par le collectif et la construction d’une professionnalité. Par ailleurs, l’absence de clôture « méta-réflexive » du débriefing ainsi que la difficulté à s’emparer des axes multi-référentiels d’analyse peuvent empêcher l’institutionnalisation des savoirs. En outre, la sollicitation de la réflexivité des étudiants sur des cas cliniques choisis, avec volonté de non-apport de solution, diffère à d’autres espaces-temps de la formation les réponses attendues par les étudiants sur les « bonnes pratiques ». Enfin, la mobilisation de situations professionnelles tirées de l’expérience du formateur sans lien véritablement opéré avec les savoirs académiques et techniques de la profession rend complexes les rôles à tenir pour chacun des acteurs. En conséquence, le GEAPR nécessite l’approfondissement d’un double processus de professionnalisation, celui des étudiants, mais également celui des formateurs.

Du côté des étudiants, sortant notamment de la PACES, il s’agit de renforcer la professionnalisation à l’activité (Bourdoncle, 2000) de MK par une attitude proactive dans la construction collective des savoirs de la profession et non plus de réception des connaissances dans une transmission pédagogique traditionnelle enseignant-élèves.

Depuis la mise en place de la réforme, la direction de l’IFMK aspire en effet à ce que les étudiants prennent la posture d’apprentis-chercheurs qui expérimentent des phénomènes et s’en questionnent afin d’en extraire des connaissances, elle souhaite qu’ils endossent une posture de construction de savoirs théoriques et pratiques et non plus seulement d’assimilation des connaissances transmises et de reproduction des « bons » gestes techniques. L’apport des Sciences de l’Éducation devrait aider les étudiants en formation initiale à mieux comprendre les enjeux de leur professionnalisation et ceux d’une approche globale du patient.

L’intention de professionnalisation des étudiants a des effets du côté des formateurs animant ce dispositif. Un déplacement des postures habituelles d’enseignant-expert d’un domaine en kinésithérapie s’avère nécessaire. Ce déplacement n’est pas évident, car jusqu’à la réforme de 2015, ils étaient recrutés pour leurs compétences dans une discipline médicale (gériatrie, rhumatologie, chirurgie maxillo-faciale…) ou un domaine fonctionnel particulier (le genou, le poignet…). Encouragés par la direction de l’IFMK, ils sont dorénavant fortement incités à se former aux Sciences de l’Éducation pour aider à développer les postures d’apprentis-chercheurs des étudiants. C’est en tout cas, le projet de la formatrice de préparer un Master en Sciences de l’Éducation. Cette incitation engage à une professionnalisation de l’activité de formation des MK-formateurs, professionnalisation que l’on peut qualifier de secondaire à celle de MK. Elle devrait permettre de mieux s’approprier les enjeux du GEAPR et de le faire évoluer par une articulation plus assurée entre éléments théoriques et pratique expérientielle et experte.