Résumé
«Le vieil original si intelligent, si fou» que Marcel Proust évoque à travers les autoportraits de Chardin, s’est-il dépeint lui-même sous le masque projectif du sage, dans l’un de ses tableaux les plus célèbres, lePhilosophe du Louvre? Le maître de la nature morte, voulant s’élever dans la hiérarchie des rangs de l’Académie, a semble-t-il cherché, dans cette œuvre de jeunesse, à suppléer à «son défaut d’instruction» dans «les humanités», par la représentation d’un personnage au goût du jour, d’un moderne philosophe.
Philosophe, Chimiste dans son laboratoire, Souffleur ouPhilosophe occupé de sa lecture, le tableau du Louvre (1734) est-il un emblème? L’hypothèse retenue, que cette peinture donne figure à un philosophe chimiste et non à un charlatan ou à un alchimiste, se construit sur le rapprochement du tableau et du libelle annonyme intituléPhilosophe, mis en circulation d’après Voltaire dans les années 1730.
Abstract
Did “the old character, so intelligent, so crazy”, evoked by Marcel Proust through Chardin’s self-portraits, depict himself in the projective mask of the wise man, in one of his most famous paintings, thePhilosopher of the Louvre? As the master of the still life wanted to rise in the hierarchy of the Academic ranks, he probably tried, in this early work, to make up for “this lack of training” in “the humanities”, through the representation of a character in keeping with current tastes, of a modern philosopher.
A Philosopher, A Chemist in his laboratory, A Glass-Blower, or A Philosopher busy reading: is the painting of the Louvre (1734) an emblem? Our hypothesis, that this painting represents a chemist philosopher, not a quack or an alchemist, is constructed by comparing the painting with the lampoon entitledThe Philosopher, circulated, according to Voltaire, in the 1730s.
Zusammenfassung
Hat sich „das so intelligente und so dumme alte Original”, von dem Marcel Proust im Zusammenhang mit den Selbstbildnissen von Chardin spricht, in einem seiner berühmtesten Porträts, dem im Louvre gezeigtenPhilosophen, selbst dargestellt? Wahrscheinlich wollte der Meister des Stillebens, der in der Hierarchie der Akademie nach oben drängte, in diesem Jugendwerk seinen Mangel an humanistisch-literarischer Bildung durch die Darstellung einer dem Zeitgeschmack entsprechenden Persönlichkeit, nämlich eines modernen Philosophen, kompensieren.
Philosoph, Chemiker in seinem Laboratorium, Glasbläser oderLesender Philosoph — das Bild von 1734 könnte ein Emblem sein. Die Vermutung, daß es keinen Scharlatan oder Alchemisten, sondern einen Philosophen und Chemiker darstellt, basiert auf der Verbindung zwischen dem Bild und der anonymen StreitschriftDer Philosoph, die nach Voltaire in den dreißiger Jahren des 18. Jahrhunderts verbreitet wurde.
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Références
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M. Baxandall,op. cit. supra n. 2.. Tout en partageant l’interprétation de cet auteur sur «Chardin-peintre-de-la-réalité-perçue» selon les fluctuations de notre attention et de nos points de fixation, il paraît difficile, compte tenu du texte duSalon de 1765, inŒuvres esthétiques, op. cit. supra n. 3, textes établis par PaulVernière, Paris, Garnier, 1968, p. 485, de le suivre lorsqu’il écrit p. 149: «La vision de Chardin par Diderot comme le peintre véridique des-choses-telles-qu’elles sont a eu en effet la vie dure.»
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Sur ces attaques et bien d’autres à partir de 1720, notamment dans le théâtre où le philosophe est présenté comme un ennemi de la société, cf. HerbertDieckmann,Le Philosophe, texts and interpretation, Saint Louis («Washington University Studies»), 1948, p. 67–71.
C. N. Cochin,op. cit. supra n. 13,Essai sur la vie de Chardin, 1780,in AndréPascal, RogerGaucheron,Documents sur la vie et l’œuvre de Chardin, Paris, 1931, p. 17.
Ce texte avec quelques variantes est repris par Louis-GuillaumeBaillet de Saint-Julien, inCaractères de peintres français actuellement vivants. La Peinture, Amsterdam, 1755, p. 5, cf.op. cit. supra n. 14,Chardin, 1699–1779, catalogue de l’exposition du Grand Palais, 1979, p. 82.
H. Dieckmann,op. cit. supra n. 39..
J.Baltrusaïtis,op. cit. supra n. 25,, p. 98.
Le Philosophe, op. cit. supra n. 39,, p. 30.
Ibid..
Ibid., p. 48.
Ibid., p. 32: «Le philosophe forme ses principes sur une infinité d’observations particulières, le peuple adopte le principe sans penser aux observations qui l’ont produit.»
Ibid..
Ibid., p. 38.
Ibid., p. 34–36.
Ibid., p. 44.
Ibid., p. 42.
Ibid., p. 58.
Ibid., p. 60.
Ibid., p. 46.
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Ibid., Observations sur les écrit modernes, par l’abbé Pierre-FrançoisGuyot Desfontaines, Paris, 1735–1743, cité par GeorgesWildenstein,Le Peintre Aved, sa vie et ses œuvres, 1702–1766, 2 vol., Paris, 1922, t. 1, p. 160–161.
Le Philosophe, op. cit. supra n. 39, HerbertDieckmann,Le Philosophe, texts and interpretation, Saint Louis («Washington University Studies»), 1948, p. 50.
Ibid., p. 46.
Sur ces deux tableaux qui, chacun à leur manière, auraient pu servir de pendant auPhilosophe occupé de sa lecture, cf.Chardin, 1699–1779, op. cit. supra n. 14, catalogue de l’exposition du Grand Palais, 1979, p. 222–223, notice 90 (souligné par moi).
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ÉvelinePinto est professeur à l’université Paris I, où elle enseigne la philosophie de l’art. Cet article fait suite à des études antérieures sur Rembrandt, Poussin et Tinguely, et sur le sens particulier accordé à la représentation artistique du philosophe dans les contextes les plus variés.
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Pinto, É. Chardin et sonPhilosophe . Rev synth 118, 37–64 (1997). https://doi.org/10.1007/BF03181336
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DOI: https://doi.org/10.1007/BF03181336