Abstract
La conscience, par laquelle nous sommes présents au monde, emprunte à notre corps la triple forme des dimensions spatiales que Descartes appelait „longum, latum et profundum” ; la diversité de ces dimensions est due à la manière plus ou moins intégrale dont l'être humain s'engage dans cette présence. I. En effet, l'engagement peut se limiter à la connaissance contemplative, c.-à-d., la connaissance qui ne passe pas aux actes. L'appareil imaginaire qui sert de symbole pour exprimer cette conscience d'autrui et du monde, est emprunté aux gestes peu engagés des mains et des bras, au mouvement horizontal des yeux, le reste du corps étant plus ou moins impassible. Cette manière d'être présent constitue la dimension horizontale de la largeur, dimension qui correspond avec la largeur du corps, des bras étendus, de l'horizon. L'engagement devient plus intégral quand je fais l'effort de redresser mon corps, quand je me lève pour me mettre au travail et pour surmonter les difficultés qu'implique toute réalisation technique : ici, la présence au monde n'est plus seulement connaissance elle devient, dans et par le travail, emploi des moyens et maîtrise du monde. Par cette présence plus engagée et plus complexe, la conscience constitue une seconde dimension, celle de la hauteur qui vient s'ajouter à la largeur. L'effort que je dois faire pour acquérir ou créer une valeur est comparé avec l'effort à réaliser quand je redresse mon corps ; on compare la valeur du travail et l'effort de se lever. La quantité d'argent qui représente la valeur du travail ou d'un objet est un salaire ou un prix qui „monte” ; il permet de „monter” sur l'échelle sociale, de „subordonner” autrui. Cependant, l'être de la contemplation et de l'emploi des moyens est tel que ceux-ci ne trouvent pas leur sens en eux-mêmes ; ils renvoient à la présence qui entraîne la complexité totale de la personne humaine, au sens que l'homme cherche par la totalité de son engagement. L'attention à la vie, l'inclination vers le bien qui nous attire constitue une troisième dimension, celle du lointain. Le geste du corps qui représente cette attention est la marche en avant ; il est entamé par la „conversion”, le geste de l'homme qui détourne la face de ce qu'il déteste, pour la diriger vers ce qui l'attire il se prolonge dans le rapprochement, le mouvement qui fait disparaître les distances. II. La réflexion sur la structure respective des ces dimensions peut nous aider à mieux entrevoir le sens et la structure du langage humain. En effet, celui-ci est un comportement, un ensemble structuré de mouvements corporels : les modifications du visage, les mouvements du bras, la ligne des attitudes corporelles sont les gestes par lesquels l'intériorité, la transcendance ou l'intentionalité de l'homme se fait être-avecautrui. Le langage n'est pas seulement moyen de communication ; il est encore accès à l'intériorité et à la transcendance d'autrui. On devient homme en apprenant à structurer les mouvements corporels qui constituent le langage. III. Ceci ne veut pas dire qu'en analysant le langage on explore la totalité de l'être humain. La vie elle-même, dans laquelle les dimensions corporelles trouvent leur origine et à la laquelle elles doivent leur constitution, ne parvient jamais à exprimer dans le langage la totalité de ce qu'elle est. Mais dans l'analogie croissante des concepts et des gestes, attestée par l'histoire de la langue et de la culture humaine, elle montre une tendance constante à l'intériorisation et à la transcendance