Abstract
En publiant en 1965 Le Péché et la durée de l’ange, le P. Guérard des Lauriers, o. p. (1898-1989) offrait une contribution majeure à un débat qui divisait les thomistes. En 1946 en effet, la parution de Surnaturel du P. de Lubac avait remis en cause, textes de Thomas d’Aquin à l’appui, la thèse de l’impeccabilité naturelle de l’ange, jusqu’alors (presque) unanimement reçue dans l’École thomiste. Deux interprétations de Thomas d’Aquin polarisèrent alors le débat : la raison de la peccabilité de l’ange est à rechercher ou bien dans son élévation à l’ordre surnaturel ( De malo, q. 16, a. 4), ou bien dans la structure même de la créature angélique ( Summa theologiae I a Pars, q. 63, a. 1). Servi par une herméneutique renouvelée des textes de Thomas sur la peccabilité de l’ange, et fort d’un redéploiement d’une doctrine thomiste de la liberté, articulée dans sa double dimension de spécification et d’exercice, Guérard établit que le fondement de la liberté des créatures spirituelles – et donc leur peccabilité – se situe au cœur de leur constitution métaphysique, dans la distinction réelle entre nature et personne, sans qu’intervienne nécessairement la distinction des ordres naturel et surnaturel. Son analyse pénétrante et novatrice le conduit à mettre au jour une structure du libre arbitre, laquelle intègre et unit sans confusion les deux ordres de réalité engagés dans l’acte libre : le métaphysique et le moral. Il offre ainsi une contribution de premier plan à l’élaboration d’une philosophie contemporaine de la liberté, attestant par-là la fécondité de la tradition thomiste.