Abstract
Si la tradition phénoménologique tend à fonder toute norme éthique et politique sur la manifestation fondamentale de l’alter ego, à la fois en rupture et en identité avec le moi, peut-on à partir d’une telle manifestation originaire rendre raison d’un principe pratique comme celui de la tolérance? L’ouverture à autrui ainsi décrite peut-elle même servir de structure de justification à un universel éthique et politique quel qu’il soit? Après avoir examiné les avantages mais surtout les apories d’une telle voie de justification à partir de l’alter ego, l’article tente de montrer qu’une phénoménologie devant rendre raison de la tolérance n’a pas davantage les moyens de s’établir du côté d’une histoire ou d’une anthropologie de la relation aux étrangers : en effet, le rapport immédiat à l’autre n’est que rarement dans l’histoire un rapport à un frère humain égal à soi, et l’intérêt télévisuel récent et frappant pour ce qui se passe partout sur la planète a nécessairement quelque chose de factice à cause de la phénoménalité même des images reçues par les écrans. L’article formule puis examine finalement une hypothèse à même de valider partiellement la justification de l’universalisme pratique par l’expérience d’autrui : l’universalisation de l’expérience de l’alter ego à tout autre n’est pas tant permise par des conditions perceptuelles particulières que par la possibilité ouverte de se trouver dans un même champ de parole, dont la tolérance apparaît précisément comme la condition nécessaire.