Abstract
À l’occasion de la publication en 1939 d’une critique particulièrement virulente du roman de François Mauriac La fin de la nuit, Sartre élabore une théorie de l’usage littéraire des pronoms de la première et de la troisième personne lui permettant de stigmatiser les ambiguïtés inhérentes au style littéraire de Mauriac. Établissant les fondements de son réalisme littéraire, Sartre s’attache à critiquer l’omniscience accordée par Mauriac à son narrateur au nom d’une fidélité d’inspiration phénoménologique à l’expérience de la liberté et à la description minutieuse de la vie de la conscience. Cet article propose une étude des racines philosophiques de la théorie sartrienne de l’usage littéraire légitime de la troisième personne en analysant les raisons pour lesquelles l’opacité de la conscience de soi, bien qu’elle compromette la possibilité de la connaissance de soi, est non seulement inéluctable mais nécessaire à l’expérience de la liberté humaine. On entend ainsi montrer que la cohérence extrêmement forte qui rattache la théorie du roman de Sartre à ses positions philosophiques fondamentales ne justifie pas seulement ses choix littéraires, mais permet d’éclairer la teneur de sa philosophie de l’esprit.