Abstract
Le caractère imprévisible du développement et des résultats de la science est souvent invoqué pour défendre la valeur épistémique d’une recherche libre, désintéressée, guidée par la seule curiosité, contre sa finalisation par des objectifs pratiques. Notre travail a pour vocation de poser les jalons d’une analyse critique rigoureuse de cet « argument d’imprévisibilité ». Pour ce faire, nous proposons de considérer une étude de cas : la découverte du phénomène d’interférence à ARN. Nous montrons que l’utilisation régulière de cet épisode pour défendre un principe d’autonomie scientifique est fautive. Dans ce cas en effet, la part d’inattendu a émergé d’une science « inspirée par l’usage », alors que de la recherche « fondamentale » n’a émergé que du prévisible, tant au niveau des démarches mises en œuvre que des résultats obtenus. Nous suggérons alors que l’argument d’imprévisibilité, mobilisé souvent de manière trop intuitive et superficielle, rate sa cible en négligeant de séparer la question de la genèse et celle de la gestion de l’inattendu. La distinction de ces deux aspects du problème nous semble nécessaire pour évaluer avec précision la portée et les limites de l’argument d’imprévisibilité.