Abstract
Cet article explore un point aveugle de la thèse d’Albert O. Hirschman dans Les passions et les intérêts : le topos du doux commerce aurait disparu des consciences au XIXe siècle en raison des conséquences sociales de la révolution industrielle. Pourtant, dans les débats qui animèrent les penseurs « industrialistes » sous la Restauration (1814-1830), l’association entre paix civile et développement économique prit de nouvelles formes topiques et argumentatives avec le passage conceptuel de la « nation commerçante » à la « société industrielle ». Ce passage n’est pas neutre : il reconfigura la topographie du doux commerce. D’une part, le thème de l’industrie pacifique superposa au modèle de l’échange marchand (délibératif et plutôt égalitaire) celui de l’atelier productif (coopératif et plus hiérarchique). D’autre part, il ouvrit la perspective non plus d’un simple adoucissement, mais d’une substitution radicale de l’intérêt aux passions et d’une élimination totale du conflit par la paisible exploitation de la nature. Toutefois, l’émergence de la question sociale sema la discorde au sein des industrialistes : sans rejeter entièrement le lieu commun, les saint-simoniens se séparèrent des libéraux en détachant le thème de l’industrie pacifique du dogme de la libre concurrence.