Abstract
Les conférences intitulées « Les Nourritures » et « Les Enseignements » sont révélatrices de la philosophie du sensible de Levinas, c’est-à-dire de sa manière de souligner la corporéité du sujet en insistant sur sa matérialité, sur le fait que nous « vivons de ». Comme dans De L’existence à l’existant et dans Totalité et Infini, le plan du sensible, qu’il appelle le monde des nourritures, se caractérise par la jouissance, ce qui veut dire que le besoin n’est pas pensé comme privation, ni rapporté à l’instinct et à la conservation de soi. Cependant, l’originalité de ces conférences tient au passage du plan de la jouissance à celui de la justice. Levinas ne se borne pas à dire que ce passage est une rupture, que seul l’autre m’arrache à « l’égoïsme innocent » de la jouissance. En disant que ma liberté m’apparaît comme injustifiée, il pose la question du droit de notre droit, remettant en question le fondement de la philosophie moderne et la manière dont nous interprétons les droits de l’homme. Bien plus, en associant cette interrogation au thème des nourritures, il articule son ontologie à une réflexion sur l’organisation sociale et politique dont il importe de mesurer toute la profondeur, même si les perspectives ébauchées dans ces textes soulèvent des difficultés.