Abstract

La logique spécifique des jugements de valeur est à chercher dans le discours rhétorique. Cette thèse développée par Ch. Perelman dans L'Empire rhétorique (1977) nous rappelle l'introduction à l'éthique de Jean Buridan (XIVe s.). Selon Buridan la philosophie morale ne peut se contenter d'appliquer la logique générale: elle a besoin d'une logique spéciale, une „logique morale” qui n'est rien autre que la technique persuasive qu'on étudie dans la Rhétorique. Roger Bacon (XlIIe s.) a même essayé d'intégrer cette rhétorique dans l'éthique : elle est la partie pratique de la science morale. Bien que leur textes rappellent parfois les considérations de la ‘nouvelle rhétorique’, la relation entre l'éthique et la rhétorique y est envisagée d'une manière toute différente. Pour les auteurs médiévaux la rhétorique est une science auxiliaire de l'éthique : elle sert de liaison entre la théorie et la pratique. Dans la partie théorétique de l'éthique la logique ‘générale’ reste en vigeur. Ce n'est que pour mettre en pratique les règles et valeurs qui ont été ‘démontrées’ par la théorie qu'on a recours à la technique persuasive et sa logique ‘spéciale’. La rhétorique n'a donc qu'une fonction subsidaire. On retrouve la même conception au début des temps modernes chez Francis Bacon qui attribue à la rhétorique la fonction d'appliquer le dictamen rationis à l'imagination pour exciter ainsi la volonté. Une tout autre conception est défendue par l'humaniste Lorenzo Valla qui essaie de réintégrer l'argumentation morale dans le discours rhétorique où elle trouve sa place originaire. Notre propre point de vue est développé en confrontation avec Aristote, de qui nous avons hérité le projet d'une ‘science pratique’ et l'ambiguité qui en est inhérente 1° La rhétorique présuppose l'éthique. 2° L'éthique qui se veut epistème, ne relève pas de la rhétorique qui n'est qu'une technè. Elle se présente comme une science à caractère dialectique. 3° Les difficultés arrivent dès qu'on exalte la fonction pratique de cette science (cf. récemment R. Hare). Dès que l'éthique veut être efficace dans la vie concrète, elle devient une argumentation qui relève plutôt du discours épidectique (Weltanschauung). Notre société, en pleine crise morale, a certainement besoin d'un tel discours qui essaie d'intensifier l'adhésion à des valeurs morales. Mais il nous semble qu'il reste à côté d'un tel discours - en pleine expansion des nos jours - une place bien discrète pour une reflection critique qui en analyse les raisons : qui n'est pas inutile, bien que peu efficace