Abstract

On sait que Heidegger et plusieurs autres philosophes d'aujourd'hui dénient aux croyants la possibilité d'affronter réellement la problématique philosophique et d'être philosophe. Or si, pour limiter la question, on se tourne vers la réalité de la vie philosophique parmi les catholiques, il faut bien reconnaître que, en effet, bien peu de catholiques prennent une part importante au dialogue philosophique de ce temps. On peut tenter d'expliquer cette infériorité en faisant appel à des circonstances extrinsèques et contingentes. Mais la question essentielle demeure : n'est-ce pas la foi elle-même qui fait obstacle à une vie philosophique authentique en rendant celle-ci superflue ? L'idée semble confirmée par deux attitudes que l'on observe assez souvent chez les philosophes catholiques. Les premiers conçoivent la philosophie comme une sorte d'apologétique qui n'aurait d'autre tâche que de requérir de la raison une confirmation aussi large que possible de la foi. Les autres, au contraire, estiment que la pensée philosophique n'est accessible au croyant que moyennant une épochè préalable et radicale de la foi. Et il ne s'agit pas seulement pour la pensée philosophique de ne faire aucun emprunt à la foi, mais aussi de couper tous les liens avec celle-ci. Il apparaît cependant assez facilement qu'une telle épochè ne peut être efficace et qu'elle ne peut même être réalisée. Faut-il donc se résigner à dire qu'une pensée philosophique authentique perd son sens et sa valeur aux côtés de la foi ? La réponse à cette question n'est possible qu'à la lumière d'une analyse de ce que la foi apporte à l'esprit de l'homme et ce qu'elle requiert de lui. A cette lumière il apparaît qu'une pensée humaine authentique, philosophique ou préphilosophique, a au regard d'une prise de conscience de plus en plus explicite de la foi et en même temps pour l'incarnation progressive de celle-ci dans l'esprit de l'homme, une valeur nécessaire. Or, c'est précisément dans la pensée philosophique du croyant que cette valeur se manifeset avec le plus d'évidence, si du moins cette pensée est exercée, non pas à la faveur d'une épochè de la foi , mais au contraire en continuité avec la foi ; une continuité qui d'ailleurs ne lèse en rien l'autonomie et l'intégrité de la pensée philosophique mais qui, au contraire, dans la situation du croyant, garantit son authenticité. Il y a ainsi une différence incontestable entre la pensée philosophique du croyant et celle de l'incroyant. Mais cette différence ne concerne aucunement la texture purement rationnelle de la pensée philosophique, mais, fondamentalement, la situation concrète dans laquelle cette pensée s'exerce. C'est pourquoi cette différence ne peut aucunement faire obstacle au dialogue philosophique entre croyants et non-croyants