Abstract
L’ Apologie de John Rawls a paru aux Puf en 2018. Son objectif principal était le suivant : à supposer que la critique rawlsienne de la notion (ou de l’absence de la notion) de la personne dans la pensée utilitariste soit fondée, est-il légitime, étant donné la caractérisation par Rawls de son « principe de différence », de retourner sa propre critique anti-utilitariste contre lui, en arguant que lui non plus ne permet pas de fonder une notion concrète et complexe de personne, ne laissant au lecteur qu’un pseudo-soi, purifié, hyper-abstrait, nouménal, détaché et désencastré de tout, une personne sans qualités, sans talents, aussi peu épaisse que la pseudo-personne utilitariste justement dénoncée par l’auteur de la TJ lui-même? Il s’agit donc de prendre au sérieux et de réfuter un argument de type Tu Quoque!, lequel retourne contre un argumentateur l’un de ses arguments critiques, en montrant que, malgré qu’il en eût, il tombe lui-même sous la critique qu’il a émise contre une tierce position. Cette stratégie argumentative, légitime, a été utilisée contre la TJ d’abord par Nozick, puis reprise et approfondie par le « communautarien » républicain anti-libéral Michael Sandel, et considérée comme valide par de nombreux auteurs. L’Apologie tente donc de répondre à cette accusation, et l’acquittement de John Rawls est proposé au lecteur. Ce ne sont pas les talents qui appartiennent au collectif, mais leur distribution différente peut être utilisée par la société comme fournissant une base adéquate pour des complémentarités et des coopérations bénéfiques à tous et en particulier aux plus démunis. L’argument de Nozick selon lequel le principe de différence n’est pas compatible avec tous les concepts parétiens est repris comme étant quant à lui valide. Une erreur terminologique sur les progressions parétiennes forte/faibles est ici corrigée. De plus, on tente d’y résoudre une perplexité sensible à la fin du chapitre V de l’Apologie. Il y a trois interprétations possibles du principe de différence, dont l’une est le simple maximin, et l’autre le leximin. On argue que ce principe n’est ni l’un ni l’autre, mais qu’il est formé par le couple lexicalement ordonné maximin et minimisation des inégalités, ce qui rend le principe de différence décisif, comme le leximin, sans courbes d’indifférence, comme en a le maximin. Malheureusement, cette caractérisation ne fonctionne qu’avec deux classes. Il faut sans doute admettre qu’il y a moins d’intuitions fortes concernant le sort des différentes classes moyennes pour définir la justice que concernant les actifs sur tout une vie, respectivement, des plus riches et des plus pauvres. Mais dans ce cas simple, représentable sur le plan, l’ambiguïté qui persistait dans l’Apologie est ici éliminée.