Abstract
La capacité des êtres humains à obéir aux ordres, même si ceux-ci sont jugés atroces, n’a plus à être prouvée. Comme l’a souligné Howard Zinn, « D’un point de vue historique, les évènements les plus terribles – tels que la guerre, les génocides et l’esclavage – ont résulté non pas de la désobéissance, mais de l’obéissance» (Zinn, 1997). Mais la question de savoir « comment» les individus peuvent commettre des atrocités lorsqu’ils suivent des ordres reste ouverte. Les études de Milgram sont célèbres pour avoir montré une forte soumission aux ordres de l’expérimentateur. Mais ces études n’ont révélé que les facteurs situationnels et sociaux favorisant l’obéissance. Elles n’ont pas permis de comprendre comment tant de personnes ont accepté d’envoyer des chocs douloureux et potentiellement mortels à une autre personne. Dans cet article, j’opposerai les entretiens qualitatifs réalisés avec d’anciens génocidaires au Rwanda et la recherche expérimentale en neurosciences pour tenter de faire émerger un élément de réponse à cette question critique. Je soutiendrai que le dépassement des frontières entre différentes disciplines scientifiques est la clé d’une meilleure compréhension de la façon dont l’obéissance modifie la prosocialité. Je défendrai également l’idée provocatrice que les chercheurs devraient saisir l’opportunité de quitter leur laboratoire pour étudier la question de l’obéissance.