Abstract
Au delà des différences de terminologie et de background culturel, on essaye ici de montrer que le physicien quantique David Bohm et le philosophe poststructuraliste Gilles Deleuze ont visé un but de pensée commun: remplacer l’image classique de la réalité, encore dominante à notre époque, par une métaphysique finalement en accord avec les concepts et les résultats de la relativité, de la mécanique quantique et de la biologie contemporaine. Pour ces deux penseurs, le monde des choses bien individuées dans l’espace et le temps, et ordonnées selon des relations mécaniques de cause et d’effet, n’est rien d’autre que l’expression momentanée d’une “Totalité indivise en devenir” qui en constitue le véritable fondement ontologique. Par le moyen de cette nouvelle métaphysique, le monde de l’expérience quotidienne et de la science classique apparaît comme la manifestation explicite ou développée de l’ordre implicite que la totalité indivise contient virtuellement en elle à des niveaux d’enveloppement et d’imbrication toujours plus profonds. Le monde explicite est le résultat d’un processus de répétition, ralentissement et stabilisation temporelle, déclenché par l’interaction de nos instruments de mesure – appareils techniques, organes sensoriels et moteurs, formes a priori et catégories de l’entendement – avec une totalité mouvante dont le sujet pensant et observant représente un reflet momentané et partial plutôt qu’un fragment solitaire et autonome. En critiquant l’image classique de la correspondance/adéquation entre l’être et la pensée, Bohm et Deleuze montrent enfin que la pensée qui veut saisir cette Totalité en devenir interagit inévitablement avec elle, en la modifiant, en la recréant, en l’accomplissant dans une direction plutôt qu’une autre. La pensée ressemble ainsi à une danse qui essaye de s’harmoniser avec le flux universel qui l’engendre et l’emporte dans un seul mouvement avec la matière.