Abstract
Cet article propose une interprétation de la relation entre l’aletheia et la doxa dans le poème de Parménide sur la base d’une analyse du voyage relaté dans le proème. À partir d’un examen précis du texte parménidien, il établit que l’hypothèse selon laquelle la citadelle de la nuit est la destination finale du voyage rend bien mieux compte de celui‑ci que l’hypothèse longtemps admise selon laquelle il s’agirait de la lumière. Cette lecture du proème permet non seulement d’établir un certain nombre de parallèles avec d’autres œuvres poétiques qui décrivent le trajet du Soleil, mais surtout de mettre au jour une analogie entre le récit de voyage et la partition en deux du poème parménidien : notre monde, où alternent le jour et la nuit, représente le monde de la doxa, où être et non-être sont mêlés et qui est gouverné par deux principes correspondants, le feu et la nuit, tandis que l’unicité de la déesse de la Nuit dans l’au‑delà renvoie à celle de l’être. De plus, en distinguant deux étapes dans le voyage du narrateur, celle où il atteint de lui‑même le chemin de la nuit et du jour et celle où les filles d’Hélios le guident sur ce chemin, on peut expliquer l’existence même d’un discours sur les opinions des mortels : de même que le narrateur a besoin d’abord d’aller de notre monde quotidien jusqu’au chemin de la nuit et du jour pour avoir ensuite accès à la connaissance divine, de même il faut expliquer le monde de l’opinion en le faisant remonter à deux principes fondamentaux pour montrer aux mortels le chemin vers l’aletheia. L’article conclut en expliquant, à partir des fragments B14 et B15, pourquoi Parménide a recours à la déesse de la Nuit pour faire cette révélation : ce choix repose sur une critique de la lumière du soleil comme condition de la vision trompeuse.