Abstract
Cet article répond aux critiques de Latour selon lesquelles Canguilhem, vénérant la science, était incapable d’en écrire l’histoire. Je soutiens, au contraire, que Canguilhem a poursuivi une philosophie critique qui cherche les limites de diverses pratiques, y compris celles des rationalités et idéologies scientifiques. Bien qu’il défende l’efficacité d’une pratique médicale scientifiquement informée, il en identifie également les limites en interprétant les mouvements anti-médicaux comme des réponses aux échecs d’une médecine considérée comme infaillible parce que scientifique. Pour Canguilhem, la pratique médicale doit être comprise en elle-même plutôt que considérée comme une application de connaissances scientifiques. En conséquence, il s’intéresse aux sciences dans leur rapport à la pratique médicale. Pour répondre en détail à l’accusation de Latour, cet article étudie la préoccupation fondamentale de la philosophie critique de Canguilhem. S’il s’agissait d’établir quelque vérité, valeur par excellence de la science selon Canguilhem, alors il semble que la critique serait valable. Mais en considérant attentivement l’histoire de ses projets et de ses réalisations telle que racontée dans son discours de réception de la médaille d’or du CNRS en 1987, cet article soutient au contraire que sa philosophie critique ne vénère pas la science, mais trouve son orientation ailleurs. En accordant une attention particulière à son intérêt constant pour l’erreur, et à sa distinction entre l’erreur intellectuelle et les essais et erreurs de la vie, je soutiens que sa philosophie critique s’intéresse en fin de compte à l’action et à la promotion du courage requis par la vie humaine.