Abstract
Le sentiment du sublime est une expérience de la nature qui nous fait prendre conscience de la place paradoxale que nous occupons dans le cosmos et provoque par ce biais un plaisir ambivalent. Selon la théorie classique, kantienne, cette expérience proviendrait d’une sorte de combat de catch mental, dont on perdrait les premiers rounds en laissant la nature déborder nos sens, mais que l’on finirait par remporter grâce à la puissance de notre raison et de notre liberté. On n’aurait d’expérience de sublime, toujours selon cette théorie, que face à des objets naturels dignes d’être (mentalement) combattus, des choses immenses ou terriblement puissantes comme le ciel étoilé, les montagnes ou les ouragans. Je prétends dans cet article que la théorie classique dépend d’une conception de la nature que nous ne pouvons pas trouver crédible aujourd’hui (une conception, très sommairement, agonistique et anthropocentrée) et qui la discrédite. Corrélativement, elle se trompe quant à l’objet du sublime, qui peut être une chose relativement petite comme un arbre ou même, peut-être, une brindille oscillant dans le vent. Je propose une théorie alternative du sublime qui repose sur une forme de décentrement empathique dans la nature, fût-elle indifférente et sauvage, plutôt que sur un combat mental contre elle.